10 ans

«Les promesses circulent à travers les époques»

Co-fondateur du Near Future Laboratory, agence de prospective et d’innovation, et professeur à la Haute-Ecole d’Art et de Design (HEAD) à Genève, Nicolas Nova livre son regard sur les promesses des technologies numériques et leur faculté à circuler à travers les époques.

Nicolas Nova, co-fondateur du Near Future Laborator et professeur à la Haute-Ecole d’Art et de Design (HEAD) à Genève. (Source: ICTjournal)
Nicolas Nova, co-fondateur du Near Future Laborator et professeur à la Haute-Ecole d’Art et de Design (HEAD) à Genève. (Source: ICTjournal)

Comment voyez-vous l’évolution du Web 2.0 apparu il y a une dizaines d’années?

Au cœur de ce que l’on a appelé le Web 2.0, l’idée de mise en réseau à travers des plateformes auxquelles chacun peut contribuer s’est aujourd’hui imposée. On le constate avec la place prise par Wikipédia, les apps de partage de photos, les réseaux sociaux et plateformes similaires pour le monde de l’entreprise. En ce sens, ce concept est un succès. Mais on constate aussi que la promesse d’un Web 2.0 qui s’autorégulerait n’est aujourd’hui pas tout à fait tenue. Des dérives sont apparues. Je pense au phénomène des fake news à des fins de propagande politique. Ou encore au problème des vidéos YouTube manipulant l’algorithme de référencement de la plateforme pour générer des revenus publicitaires en ciblant les enfants, qui du coup se retrouvent parfois confrontés à des vidéos parodiques ou des détournements aux contenus choquants et traumatisants.

D’autres innovations tirant parti des technologies web ont moins percé, à l’instar de Second Life…

Le rêve d’un croisement entre web et réalité virtuelle, incarné par Second Live, a en effet fait un flop. Pourtant, beaucoup de monde y croyait à l’époque, y compris des Etats et des entreprises comme IBM ou Cisco, qui y installaient des ambassades et des succursales virtuelles. L’engouement pour les environnements virtuels et les interfaces 3D est ensuite revenu avec les casques de réalité virtuelle. Mais on se rend déjà compte qu’en dehors d’une utilisation spécifique dans un but de divertissement, ou pour des applications professionnelles, ces dispositifs ne sont pas près de remplacer les interfaces classiques. Il faut dire que les êtres humains éprouvent beaucoup de difficultés à adopter des interfaces complètement nouvelles à cause du poids des habitudes.

Les objets connectés sont-il selon vous passés de mode?

A mes yeux, des interrogations subsistent quant à la réelle utilité de tout ce que l’on range dans cette vaste catégorie. Les promesses d’usage des podomètres et montres connectées, notamment, n’ont finalement pas suscité tant d’intérêt, provoquant la faillite de sociétés parfois gigantesques. Aujourd’hui, on observe un renouveau autour des ces objets, dont les applications sont notamment prometteuses dans le domaine médical. On a aussi vu apparaître les enceintes connectées, par exemple celles d’Amazon avec Alexa. L’utilité de ces produits va-t-elle être attestée sur le long terme? Je me pose la question. C’est toutefois intéressant de remarquer encore une fois que, comme avec les mondes virtuels, des promesses d’actualité voici dix ans sont toujours présentes.

A peine plus de dix ans après le premier iPhone, les smartphones ont aujourd’hui envahi le quotidien. Etait-ce prévisible?

La phénoménale courbe d’adoption par le grand public des iPhones et smartphones Android constitue tout de même une surprise. C’est fascinant de constater qu’un objet aujourd’hui totalement ancré dans le quotidien n’avait rien d’une évidence en 2007-2008. Les smartphones ont percé bien davantage que ce que pas mal de monde prédisait à l’époque. Les fabricants comme Nokia et Blackberry avaient fait le pari – à tort – de cibler les entreprises avec leurs téléphones mobiles connectés. On se souvient aussi des déclarations d’un dirigeant de Microsoft, qui ne croyait pas du tout au succès de l’iPhone.

Dans dix ans, l’intelligence artificielle sera-t-elle infiltrée partout?

C’est encore une fois passionnant de voir comment des promesses technoscientifiques circulent à travers les époques et se répètent. Dans le courant des années 2000 est revenue à la mode l’idée du web sémantique et de data mining, qui avaient déjà émergé à la fin des années 90, et qui s’articulaient autour de la possibilité de tirer des bénéfices en croisant et en analysant des données. L’intelligence artificielle (IA) telle qu’on la définit aujourd’hui, qui ne correspond plus du tout au terme des années 60, constitue le prolongement de cette promesse. Il y a une quinzaine d’années, on parlait déjà d’IA et de machine learning dans le milieu scientifique. Enthousiasmantes mais suscitant aussi des peurs, ces technologies portent aujourd’hui clairement la transition entre passé et futur. Compte tenu de l’évolution des technologies de l’information et de la communication, l’apprentissage machine est pour le coup autre chose qu’un concept limité aux articles scientifiques ou aux brevets. Les algorithmes de machine learning s’invitent dans les smartphones et les voitures, bien souvent sans que les gens ne prennent conscience de la performance technologique qui se cache derrière les applications qu’ils utilisent. Je pense par exemple aux outils de traduction, qui ont progressé de manière assez formidable. C’est déjà du concret et il y a des chances de voir des évolutions semblables dans d’autres domaines.

Dans dix ans, helpdesks et services clients seront-ils largement automatisés et pris en charge par des assistants virtuels?

Je ne le pense pas. Cette forme d’interaction a des limites et risque de créer des frustrations. Le monde de l’entreprise va ainsi devoir s’interroger. L’automatisation promet de gagner en efficacité et de réduire des coûts, mais peut être dommageable quant à la qualité de certains services. Il y aura ainsi certainement un retour de bâton. On réalisera être allé trop loin et l’on reviendra en arrière d’ici quatre ou cinq ans. On comprendra que le modèle le plus efficace n’est pas de remplacer les humains par des robots, notamment pour les activités de service. Il s’agira alors de trouver de nouvelles formes de collaboration et de cohabitation entre humains et machines. A l’image de ce qu’on observe dans le domaine du jeu d’échecs: on sait que la machine peut battre un humain, par contre une machine et un humain, ensemble, peuvent battre une intelligence artificielle. Autre exemple, dans le monde de la robotique, le domaine de la cobotique s’inscrit dans l’idée d’équiper des agents humains avec des programmes et outils les rendant plus performants. Etant donné que dans beaucoup de domaines, le fait de parler à des humains sera toujours valorisé, ces approches m’apparaissent prometteuses et efficaces.

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