Les opportunités et défis de la GenAI, selon trois observateurs avertis
Alors que l’IA générative intéresse de plus en plus d’organisations suisses, les responsables de ti&m, Nutanix, et Swisscom, partagent leur point de vue sur les défis qu’elles ont à relever, des enjeux organisationnels au travail sur la donnée, en passant par la protection des informations sensibles.
«On doit connaître son métier pour pouvoir évaluer ce que l’IA nous renvoie»
Chris Tschumper, Country Director Suisse, Nutanix
Quels défis les projets d’intelligence artificielle posent-ils en matière d’infrastructure IT?
Je vois les principaux défis dans les trois domaines de la sécurité des données, de la performance et de l’évolutivité. Comment protéger, contrôler et retracer l'accès et l’utilisation des données sensibles, comme la propriété intellectuelle de l’entreprise, les brevets ou les données personnelles? C’est là, à mon avis, qu’il faut faire particulièrement attention à ses tâches. S'y ajoutent le défi de la disponibilité et de la performance des composants de l’infrastructure d’IA, et enfin celui de l’évolutivité: la croissance imprévisible des données complique la planification des infrastructures et nécessite donc des solutions évolutives.
Comment ces nouveaux besoins impactent-ils les choix entre systèmes cloud, on-premise et Edge?
Les environnements on-premise et on-premise Edge sont à privilégier pour les solutions IA avec des données sensibles. Il est important que les systèmes Edge soient entièrement intégrés dans les opérations et la gestion centrale. On se tourne vers le cloud pour une disponibilité immédiate et hautement dynamique, pour les systèmes de test (PoC) ainsi que pour les solutions temporaires.
Quelles opportunités l’intelligence artificielle standard et générative offrent-elles pour la gestion des infrastructures IT?
Je vois des solutions dans le domaine des opérations et de la sécurité pour la détection d’anomalies, c’est-à-dire l’identification d’observations, d’événements ou de points de données qui s’écartent de l’habituel, du standard ou de l’attendu. Dans la gestion des charges et des performances, l’IA aide à la prévision des modèles prédictifs ou prévisionnels. Enfin, l’IA générative est une aide précieuse pour augmenter l’efficacité et la productivité de la programmation et de l’automatisation, notamment pour les tâches répétitives. Il me semble important de ne pas dépendre d’une IA et de ne surtout pas lui faire confiance aveuglément. On doit connaître son métier pour pouvoir évaluer ce que l’IA nous renvoie.
«L’IA exige un changement de culture»
Silvan Lohri, Head of Swiss AI Platform,Swisscom
Quelles sont les demandes de vos clients en matière d’IA? Certains usages sont-ils insuffisamment exploités?
Ils mettent l’accent sur l’augmentation de l’efficacité et une meilleure compréhension des besoins de leurs clients finaux. Les entreprises font leurs premières expériences exploratoires avec l’IA générative. On perçoit cependant encore une certaine réticence à l’utiliser en production. Il faut au préalable résoudre des questions centrales pour l’utilisation de l’IA: la qualité, la protection et la sécurité des données.
Les défis des organisations en matière d’IA sont-ils de nature technique, organisationnelle, stratégique?
Tous les trois. Sur le plan stratégique, plusieurs questions se posent: comment optimiser le modèle d’affaires pour en retirer un avantage concurrentiel? Comment démontrer le succès financier des projets IA? Et, compte tenu de la réglementation croissante, comment ancrer stratégiquement la gouvernance pour que l’IA soit utilisée en conformité avec les lois en vigueur? Cette dernière question touche aussi à l'organisation: comment garantir un usage responsable des données qui préserve la sphère privée des clients et des collaborateurs? Du point de vue organisationnel, il faut aussi un changement de culture: il faut donner aux collaborateurs les moyens d’utiliser l'IA. Il s’agit également de veiller à fidéliser les spécialistes en IA ou à faire appel à une expertise externe, je pense aux aspects techniques en particulier. Les applications IA exigent un environnement IT adapté, en fonction notamment de la sensibilité des données que l’on traite. Bien entendu, la qualité et la disponibilité des données doivent être garanties.
Quelle approche recommanderiez-vous aux entreprises pour expérimenter l’IA générative? Laisser faire et encourager l’expérimentation ou être volontariste et travailler sur des cas d’usage précis?
Les deux démarches sont utiles. L’expérimentation favorise l’innovation, par exemple au moyen de projets de recherche ou de terrains de jeu. Le développement proactif de cas d’application concrets a en revanche l’avantage d’utiliser les ressources de manière ciblée et d’augmenter la valeur ajoutée.
«Les grands modèles de langage sont de mieux en mieux adaptés aux différents besoins»
Thomas Wüst, CEO et fondateur de ti&m
On entend souvent dire que l’IA rendra de nombreux emplois en col blanc obsolètes d’ici un à deux ans. Cette crainte est-elle fondée?
Je pense que beaucoup de personnes ont des attentes démesurées à court terme à l’égard de l’IA. De nombreux emplois, y compris administratifs, supposent des tâches complexes comportant plusieurs étapes. Ces emplois ne seront pas simplement remplacés par la Gen- AI sous sa forme actuelle. En ce moment, nous sommes submergés de projets IA. De nombreuses organisations mettent en œuvre les premiers cas d’usage et les limites des grands modèles de langage apparaissent clairement. L’idée de confier des tâches humaines complexes à des assistants humains n’est pas réaliste, en tout cas aujourd’hui. Prenons le cas du développement applicatif: un ingénieur ne crée pas seulement de courtes séquences de code, mais des systèmes globaux complexes. Il communique avec des personnes, il réalise des intégrations avec des systèmes environnants, il effectue des tests. Avec la génération d’IA actuelle, nous en sommes encore loin.
ti&m réalise de nombreux assistants IA pour ses clients. Quel est le plus grand défi?
En théorie, il est relativement simple de bâtir un assistant intelligent recourant aux données internes de l'entreprise. Le problème, ce sont les données, qui sont souvent non structurées et réparties dans de nombreux systèmes. Avant de chercher à créer un assistant AI, les entreprises devraient s’intéresser à la gestion, à l’intégration et à l’orchestration de leurs données. L’assistant IA que l’on met au-dessus est relativement vite développé.
Comment se développe l’offre technologique?
Lorsque Chat GPT a été lancé fin 2022, OpenAI avait pour ainsi dire le monopole. Aujourd’hui, on trouve diverses alternatives comme Llama, Gemini, Mixtral et bien d’autres. Je pense que les LLM deviennent de plus en plus des commodités, autrement dit des produits relativement faciles à se procurer. Et ces produits sont de mieux en mieux adaptés aux différents besoins. Les LLM peuvent désormais être exploités sur site, la confidentialité est meilleure. L’offre étant plus large, il y a moins d’effets de lock-in et les tarifs s’améliorent également.