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Marc Besson, Visilab: «L’omnichannel n’est pas un projet, c’est notre futur»

Marc Besson et Frédéric Magnin de Visilab racontent la genèse et le développement du projet omnicanal, grand vainqueur du Digital Award 2017.

Marc Besson (à gauche) et Frédéric Magnin, respectivement CIO et responsable marketing de Visilab.
Marc Besson (à gauche) et Frédéric Magnin, respectivement CIO et responsable marketing de Visilab.

Comment est née cette initiative omnichannel chez Visilab?

Marc Besson: L’initiative remonte à mi-2014 sous l’impulsion de Daniel Mori, président de Visilab, qui a vu dans l’omnichannel l’un des futurs de la société. Cette vision s’est ensuite déclinée dans un programme d’entreprise, commençant par la refonte de notre site internet.

Frédéric Magnin: Il nous fallait en effet refaire notre site qui était jusqu’alors une simple vitrine de produits et que l’on souhaitait rendre plus conforme aux attentes des utilisateurs actuels et l’appuyer sur un socle technologique e-commerce. En démarrant ce projet, nous avons également saisi l’opportunité de refaire le design du site en le rendant totalement « responsive ». Le comportement et les usages des utilisateurs ont passablement évolué. On voit l’arrivée d’e-commerçants et on constate que certains clients sont prêts à acheter des produits en ligne, notamment des lentilles de contact. Nous avons donc décidé de nous lancer dans la vente en ligne de lentilles et de lunettes solaires. Dès le début, il s’agissait d’une démarche omnichannel, le but étant de travailler sur le site pour ensuite avoir des échanges avec les magasins, sachant que notre valeur ajoutée réside dans notre réseau et dans la compétence de nos opticiens. Avec un site performant, nous voulions inciter les utilisateurs en ligne à passer en magasin, mais aussi les clients des magasins à poursuivre leur expérience online.

Comment avez-vous mené à bien ce projet ? Vous êtes-vous fait accompagner?

MB: Dans l’omnichanel, le « time to market » est important et cela nous a conduit à prendre quelques raccourcis. Nous avons en effet défini en interne de travailler avec la solution Magento avant de lancer un appel d’offre restreint auprès de quelques partenaires pour décider au final de travailler avec SQLI. Le projet a vraiment démarré au printemps 2015 avec une première phase destinée à cristalliser les besoins. La vente en ligne a été activée un an plus tard, sachant qu’il fallait également conduire le changement pour que les magasins soient prêts à gérer ce canal complémentaire.

Les autres projets de votre programme omnichannel ont-ils démarré en parallèle?

MB: Nous avions déjà initié une refonte de notre système d’information et dans ce cadre, certains projets ont démarré avant. Nous avons notamment unifié la gestion des clients de nos points de vente afin d’apporter un meilleur service mais également avec la perspective que cela nous servirait pour le web. Nous avons également procédé à une refonte complète du référencement des articles avec la mise en place d’un PIM (Product Information Management) qui se connecte à notre e-commerce et à nos back-end logistique, supply chain et point de vente. L’objectif étant d’avoir une gestion unifiée des articles quel que soit le canal de distribution. Suite à ces deux projets de fondation, nous avons continué à décliner l’omnichannel dans l’entreprise. En parallèle à la refonte du site web pilotée par le marketing, nous avons lancé d’autres projets au niveau IT. Notamment un projet qui vise à apporter de nouvelles fonctionnalités sur tablettes en magasin.

Quel est l’objectif de ce projet de déploiement de tablettes en magasin?

MB: L’idée est de compléter nos outils actuels avec des solutions plus graphiques et plus mobiles dans nos point de ventes, mais également de poursuivre notre démarche omnichanel et d’intégrer plus fortement le monde physique et le monde digital. Quelqu’un qui prépare un panier d’achat en ligne pourra par exemple poursuivre son expérience d’achat en magasin. En l’état actuel, nous avons déjà intégré les informations provenant du site internet dans les systèmes existants - ERP, logistique - utilisés dans les points de vente. Reste à les mettre à disposition via une interface web et à déployer les tablettes, courant 2017.

L’interface de la tablette colle-t-elle aux usages en magasin ou plutôt à l’expérience client en ligne?

FM: Bonne question… Le but est que, via la tablette, les opticiens puissent eux aussi s’approprier ce média internet qui a été réalisé pour les clients.

MB: L’idée est de conserver le meilleur des deux mondes. Nous allons faire évoluer les usages en magasin en reprenant une partie des concepts développés pour le web. Néanmoins un utilisateur en magasin a des besoins spécifiques, comme d’accéder à des informations de supply chain, de disponibilité en stock, de temps de fabrication, etc. Les deux mondes vont se ressembler au niveau ergonomique, sans être identiques. L’une des raisons c’est également que nous devons faire cohabiter la tablette avec les systèmes actuels des magasins. . Au final l’idée est d’en faire un vrai portail d’entreprise avec des informations sur les prises de rendez-vous, l’e-learning, etc.

Quels scénarios omnichannel sont supportés aujourd’hui?

FM: Nous avions une idée assez claire de ce que nous voulions sur le web. Il s’agissait en fin de compte de répliquer ce qui se faisait déjà naturellement en magasin, le but étant d’offrir une expérience homogène comparable sur le site avec des ponts entre les deux.

MB: Nous avons aujourd’hui décliné la majorité des scénarios omnichannel. Les clients peuvent notamment commander en ligne et aller chercher leur produit en magasin, ils peuvent commander en ligne et le recevoir à la maison (et si nécessaire retourner en magasin), ils peuvent réserver en ligne et essayer en magasin.

Comment la boutique online est-elle intégrée à vos autres systèmes?

MB: La brique Magento se connecte à de nombreux systèmes : avec un prestataire pour l’envoi de notifications via SMS, avec la Poste pour la validation des adresses, avec SaferPay pour les encaissements, avec MFGroup pour les cartes-cadeaux, et nous migrons actuellement notre plate-forme en mode full cloud sur Amazon, en collaboration avec Oxalide. De plus, la brique online est connectée avec nos solutions back-end, telles que notre ERP, les systèmes d’expédition ou encore le PIM. Il s’agit à chaque fois de véritables intégrations, notre site web étant considéré comme le septantième magasin de notre réseau

FM: Cette approche a l’avantage de montrer que la vente en ligne n’est pas concurrente des boutiques, mais qu’elle s’intègre avec ce qui se faisait déjà dans le parcours d’un client, qui peut typiquement visiter différents magasins.

Quel est l’impact de l’omnichannel sur le travail dans les points de vente?

MB: Nous avons dû faire évoluer certaines pratiques et avons pour cela modélisé de manière graphique nos nouveaux processus afin que les collaborateurs des magasins comprennent comment la boutique online s’intègre dans la pratique à leur activité.

FM: Il y a eu un gros travail de gestion du changement. Les collaborateurs des magasins se sont tout à coup trouvés impliqués dans des processus nouveaux, avec des clients qui ont démarré un processus d’achat en ligne qu’ils poursuivent en magasin.

MB: Nous avons aussi fait en sorte que les revenus générés par l’activité en ligne soient réaffectés aux magasins. Il était important que le site ne soit pas vu comme un concurrent. Nous avons enfin mis en place un service client pour les utilisateurs web, complémentaire du service assuré par les magasins.

La logistique est-elle affectée?

FM: Notre supply chain était un grossiste livrant les points de vente et a dû s’inventer détaillant.

MB: Alors qu’auparavant nous utilisions des canaux logistiques spécifique au retail, nous avons dû apprendre à livrer à des clients finaux en nous interfaçant avec la Poste par exemple. Il a également fallu trouver des cartons de petite taille pour envoyer une paire de lunettes ou des lentilles, etc. Nous avons rendu notre dispatching multichannel.

Quels challenges avez-vous rencontré au niveau de la gestion du changement?

FM: C’est un projet d’entreprise. Chaque département a été impacté et s’est retrouvé à devoir faire des choses en plus de son activité opérationnelle de routine. Il a fallu dégager du temps, composer avec les autres équipes et mener ce projet ensemble.

MB: Les défis sont permanents. Mais le plus gros challenge est remporté : c’était que l’ensemble de l’entreprise adhère à cette démarche.

Comment tous ces projets sont-ils financés?

FM: Il y a eu un investissement de plusieurs millions de francs. Nous avons la chance d’être dans une société familiale qui peut se projeter dans l’avenir et faire des investissements qui ne porteront leurs fruits que dans quelques années, sans chercher la rentabilité immédiate.

MB: Et il y aura encore des investissements. L’omnichannel n’est pas un projet, c’est notre futur. L’omnichannel est destiné à devenir le quotidien et l’ADN de Visilab. Chaque nouvelle action est pensée omnichannel.

Quelle structure avez-vous mis en place pour conduire l’ensemble de ces projets omnichannel?

MB: Nous avons mis en place un comité de pilotage, devenu comité stratégique, qui réunit tous les grands départements de Visilab, comme les managers régionaux, le marketing, la supply chain, l’IT, la finance. Ce comité définit les grands axes stratégiques qui sont déclinés sous forme de projets.

Au niveau marketing, l’omnichannel va vous apporter des informations précieuses sur les parcours clients…

FM: En effet. Ce qui est fantastique pour l’avenir, c’est que l’on pourra lier toutes les informations récoltées sur le parcours digital d’un client avec l’éventuelle poursuite de son parcours en magasin. Le potentiel est énorme.

MB: Cela rejoint un projet mené en 2016 avec la migration complète vers Office 365 qui a débouché sur la décision d’utiliser Power BI pour nos tableaux de pilotage. . Cette année, nous allons fusionner nos données internes des magasins avec les données web provenant de Magento ou de Google Analytics.

Les magasins physiques sont souvent le parent pauvre en termes de données. Projetez-vous de saisir davantage de données au moment des visites de clients dans vos boutiques?

MB: Ce n’est pas la direction dans laquelle nous allons. La charge de travail dans les magasins est déjà importante. De plus, notre activité d’opticien fait que nous connaissons bien nos clients et nous disposons déjà de beaucoup de données.

FM: Y compris sur des personnes qui ne sont pas encore clientes. Nous faisons des devis, mais aussi des examens de la vue qui débouchent sur la création de fiches clients, même s’il n’y a pas de conversion.

Votre initiative comporte aussi des projets plus disruptifs. Où en sont-ils?

MB: Nous avons notamment un projet exploratoire dans le domaine de l’internet des objets afin d’apporter plus de service à nos clients. Aujourd’hui, la solution fonctionne techniquement, mais elle nécessite encore du travail pour simplifier l’expérience client. C’est encore un domaine en pleine recherche de maturité même si l’on en parle beaucoup.

Concernant l’identification et l’authentification des clients, où placez-vous le curseur entre sécurité et simplicité?

MB: Ça a été l’objet de beaucoup de débats et de réflexions. Nous avons dû trouver le juste milieu entre convivialité, simplicité et protection des données client. Un client peut aujourd’hui créer simplement un compte sur notre plate-forme web afin de pouvoir passer des commandes. En revanches, s’il souhaite accéder à ses données issues du monde des magasins, nous avons mis en place un mécanisme de protection plus complexe. Cela nous permet de garantir l’identité du client et ainsi pouvoir lui permettre de consulter ses données de corrections visuelles ainsi que ses anciens achats. Au niveau des paiements et afin notamment de rester en conformité avec les directives PCI-DSS, nous avons pris le parti de nous appuyer sur les solutions proposées par Saferpay.

Vous avez aussi un projet de réalité immersive…

FM: Oui, le projet a été lancé en août 2016 afin d’offrir une expérience unique en magasin, en proposant aux clients une démonstration virtuelle d’un nouveau verre progressif. Concrètement, le système repose sur un casque de réalité virtuelle intégrant un smartphone, et qui permet de montrer de manière innovante que les verres actuels offrent un confort bien plus grand que ce que pensent les gens. Il s’agissait aussi d’apporter quelque chose de nouveau à nos clients. La réalité virtuelle se démocratise, mais beaucoup de personnes ne l’ont pas encore essayée.

Et le résultat?

FM: Ça n’a pas marché ! Le métier de nos collègues opticien est d’offrir des solutions afin que nos clients puissent avoir une vision la plus parfaite possible, et les casques actuels n’offrent pas une vision parfaite. On demandait en quelque sorte aux opticiens d’offrir à leurs clients une expérience imparfaite.

MB: Mais nous avons trouvé un autre emploi aux centaines de smartphones que nous avions achetés : nous les a reconvertis en lecteurs code-barres afin de pouvoir réaliser les inventaires, ce qui a été un franc succès ! ça fait partie de la créativité qu’il faut avoir dans ce genre d’initiative…

Vous aviez déjà un projet permettant de tester virtuellement des montures…

MB: Oui, nous menons depuis plusieurs années un projet de réalité augmentée avec Fittingbox, une société toulousaine. Il s’agissait au départ de permettre aux clients d’essayer des montures sur internet, et le projet s’est désormais décliné en magasin. La prochaine étape sera de déployer la solution sur les tablettes dans les boutiques. L’objectif est de permettre d’essayer des montures qui ne sont pas en stock.

L’initiative omnichannel a-t-elle un impact sur la production de lunettes?

MB: Elle aura un impact car, courant 2017, nous allons commencer à vendre des lunettes optiques en ligne, et, pour pouvoir garantir des délais courts, nous allons les produire de manière centralisée.

Avez-vous des projets dans le domaine des médias sociaux?

MB: Nous projetons des pilotes pour l’année prochaine. Nos magasins sont d’ores et déjà équipés de bornes permettant de prendre des photos. L’idée est de permettre aux clients de partager ces photos sur les réseaux sociaux.

FM: Il est aujourd’hui très facile de prendre un selfie et de le partager sur les médias sociaux. Il faut donc que notre solution soit extrêmement simple et apporte une vraie valeur ajoutée par rapport à ce qui existe.

IoT, bornes et tablettes dans les magasins, vente en ligne de lunettes d’optique, cela fait beaucoup de projets pour 2017. La taille de l’IT a-t-elle augmenté ?

MB: Nous avons fédéré des partenaires externes, mais nous n’avons pas agrandi les équipes. Certes, nous avons des journées un peu plus longues… A nouveau, l’omnichannel ne doit pas être un projet, mais notre nouveau mode de fonctionnement. Nous avons donc dû apprendre à faire les choses différemment, nous avons modifié l’organisation, industrialisé des processus et certaines personnes se voient confier de nouvelles tâches.

Comment mesurez-vous le succès de votre initiative?

MB: Nous n’avons pas à proprement parler de KPI spécifique, mais notre succès se mesure au fait que nous réussissons à mener des projets, que nous osons davantage, que nous osons nous tromper. Il s’agit d’une transformation d’entreprise et nous sommes convaincus qu’elle nous permettra de conserver notre part de marché dans le futur.

FM: Le jour où l’on sera capables de permettre à tout type de client de vivre une expérience d’achat fluide comme il l’entend, nous serons gagnants. Aujourd’hui, nous mettons en place des fonctionnalités qui simplifient la vie de nos clients existants et attirent de nouveaux clients disposés à acheter en ligne. Nous avons encore du chemin, mais nous voyons déjà de plus en plus d’achats et de prises de rendez-vous qui s’effectuent sur le site, c’est prometteur.

Webcode
DPF8_23088