Portails d’emplois

Le machine learning révèle les discriminations à l'embauche en Suisse

Des chercheurs ont puisé dans le Big Data et des algorithmes de machine learning pour analyser plusieurs millions de données sur un portail suisse d’emplois en ligne. Les résultats montrent, entre autres, que les étrangers sont discriminés à l'embauche.

A l'aide d'algorithmes de machine learning, les chercheurs ont analysé des millions de données collectées sur la plateforme Job-Room du SECO. (Source: job-room.ch)
A l'aide d'algorithmes de machine learning, les chercheurs ont analysé des millions de données collectées sur la plateforme Job-Room du SECO. (Source: job-room.ch)

A l’aide du machine learning et du Big Data appliqués aux données d’un portail d'emplois en ligne suisse, des chercheurs ont pu étudier à large échelle la discrimination à l’embauche. Publiée dans la prestigieuse revue Nature, l’étude financée par le Fonds national suisse (FNS) est le fruit d’une collaboration entre Daniel Kopp et Michael Siegenthaler, économistes à l'institut KOF de l'EPFZ, et le politologue Dominik Hangartner.

Un échantillon bien plus large qu’avec les méthodes traditionnelles

Les chercheurs ont pu avoir accès aux données anonymisées de la plateforme web d’emploi Job-Room (gérée par le SECO), l’une des plus grandes de Suisse selon le communiqué du FNS. En moyenne, 170’000 profils de chercheurs d’emplois sont disponibles quotidiennement sur ce portail (soit 85% des personnes inscrites au chômage, lit-on dans l'article académique des chercheurs).

«La quantité de données à disposition nous a permis d'étudier les préférences des recruteuses et recruteurs par rapport à de nombreuses caractéristiques des candidats et pour différentes professions, là où les méthodes habituelles sont bien plus limitées», explique Daniel Kopp. Les méthodes employées dans des études passées, consistant à envoyer de faux CV, présentent en effet des limites selon les chercheurs. «La présentation de candidatures fictives implique une tromperie, augmente la charge de travail du personnel des ressources humaines et pourrait vraisemblablement interférer avec le résultat de candidatures réelles», souligne l'article scientifique. Autre faiblesse mentionnée: le fait de se concentrer sur un échantillon limité, soit un petit nombre d'emplois de premier échelon à un moment donné.

Les étrangers moins souvent contactés pour un entretien d’embauche

Job-Room permet aux recruteurs de préciser les critères requis pour un emploi particulier. Ils reçoivent ensuite une liste de candidats correspondants qui, dans l'optique d'un entretien, peuvent être contactés en un clic. Les chercheurs ont analysé pendant dix mois comment les recruteurs ont fait leur sélection. Ils ont pour ce faire recueilli les données sur 43’352 recruteurs, 452’729 recherches et 3,4 millions de profils consultés. La masse de données de clics collectées a été analysée à l'aide d'algorithmes de machine learning supervisés, précisent les scientifiques dans leur article. Objectif: comprendre comment l'origine ou le genre d'un candidat influencent la probabilité de le contacter. Le papier de recherche souligne que la méthodologie employée a permis d'identifier les effets causaux de caractéristiques immuables telles que le sexe ou l'origine ethnique sur les chances d'être contacté. La méthodologie a été validée en utilisant un sous-ensemble de recruteurs n'ayant pas accès aux informations sur le nom ou la nationalité des demandeurs d'emploi. Verdict: les personnes d’origine étrangère étaient contactées pour un entretien d’embauche en moyenne 6,5% moins souvent que les Suisses. Une pénalité particulièrement marquée chez les personnes originaires des Balkans, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie.

La discrimaition fluctue selon l'heure de la journée

Les scientifiques ont également montré que les candidats étrangers sont plus ou moins pénalisés selon le moment de la journée auquel les recruteurs consultent leur profils. Ainsi, l’origine étrangère est davantage pénalisante en fin de matinée et en fin de journée (quand les recruteurs consacrent moins de temps à l’évaluation de chaque CV). Un comportement qui, selon les auteurs de l’étude, renforce l’hypothèse d’une discrimination inconsciente. La recherche ne révèle en revanche aucune discrimination liée au genre.

Selon les chercheurs, les méthodes en ligne ne favorisent pas davantage la discrimination à l'embauche que les démarches traditionnelles. Mais force est de constater que les prosessus numériques n’excluent pas la discrimination. Pour changer la donne, les chercheurs préconisent que les portails d’emplois mettent par exemple davantage en avant l’expérience et les compétences des candidats.

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