Analyse

Tarifs douaniers: quelles conséquences pour l’IT?

La hausse des tarifs douaniers américains aura des conséquences sur les prix de certains équipements et, indirectement, sur la demande des entreprises et le secteur IT suisse.

(Source: Getty Images via Unsplash+)
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Les nouveaux droits de douane américains sont entrés en vigueur aujourd’hui avec pour effet immédiat de faire plonger les bourses du monde entier. A Zurich, le SMI est en recul de plus de 5% ce mercredi et de 13% sur cinq jours. Avec une taxe de 31%, le coup est dur pour les entreprises exportatrices suisses, sachant que les Etats-Unis sont le 2ème partenaire commercial du pays. Le Conseil fédéral annonce d’ailleurs la mise en place d’une structure de pilotage et la nomination d’un envoyé spécial pour «intensifier les contacts avec les États-Unis afin de trouver des solutions aux questions ouvertes, notamment en matière commerciale, économique et financière».

Quelle que soit l’ampleur de la guerre commerciale qui se dessine, le Centre de recherches conjoncturelles de l’EPFZ (KOF) juge que l’économie suisse est particulièrement exposée et qu’elle va souffrir, à commencer par le secteur pharmaceutique et les industries des machines et des instruments de précision. Co-directeur du KOF,  Hans Gersbach estime ainsi que le PIB suisse pourrait perdre 1% par an, et même davantage en cas de réponse européenne touchant également les biens en provenance de Suisse. 

Menace pour les start-up medtech et robotiques

Outre l’industrie des machines, la hausse des droits de douane menace aussi directement les jeunes pousses suisses exportant des biens technologiques vers les Etats-Unis. Les start-up medtech et robotiques sont très actives sur le marché américain, qui est aussi privilégié pour le passage à échelle des deep tech, analyse Stefan Kyora sur le site spécialisé Startupticker. De nombreux entrepreneurs vont devoir décider s’ils répercutent la hausse sur leurs clients ou sur leur marge. A terme, ils pourraient aussi délocaliser leur production aux Etats-Unis, voire en Europe pour bénéficier de droits de douane inférieurs. Ou encore essayer de se réorienter vers d’autres marchés.

La situation pourrait aussi se compliquer côté financement. Impliquant souvent des investisseurs américains, les exits et levées de fonds pourraient en effet pâtir de la détérioration des perspectives pour les start-up suisses, ainsi que de l’évolution des taux. «Si l'inflation reprend aux États-Unis et que les baisses de taux d'intérêt attendues ne se concrétisent pas, cela aura un impact négatif sur les investissements en capital-risque», relève Stefan Korya.

Inflation des produits IT aux (et des) Etats-Unis

Au-delà delà du cas particulier des entreprises exportant des produits technologiques vers les Etats-Unis, la conjoncture va peser sur le secteur IT mondial sous l’effet de l’inflation et d’une baisse de la demande des entreprises utilisatrices. Le cabinet d’analyse IDC vient de diviser ses pronostics par deux et anticipe désormais une croissance du marché IT mondial de 5% en 2025. 

La hausse des droits de douane aura en premier lieu un impact sur les chaînes d’approvisionnement et le prix des technologies aux Etats-Unis. Qu’ils soient importés de fabricants asiatiques, produits par des firmes américaines à l’étranger, ou assemblés aux Etats-Unis avec des composants importés, les équipements IT vont voir leur prix augmenter pour la clientèle américaine. Selon une enquête de Gartner, la majorité des CFO comptent en effet absorber moins de 10% des hausses tarifaires, ils vont donc la répercuter sur leurs clients. 

Cette inflation pourrait aussi s’étendre à la clientèle suisse, qui achète du hardware fabriqué aux Etats-Unis. Dell a par exemple déclaré aux investisseurs le mois dernier qu'une augmentation des droits de douane l'obligerait probablement à augmenter ses prix, rapporte The Register. Au-delà des équipements, l’inflation pourrait aussi toucher les logiciels et services cloud achetés à des fournisseurs américains devant supporter des coûts plus élevés (composants, infrastructure). 

Baisse des dépenses IT

Composé dans son écrasante majorité de prestataires servant une clientèle suisse, le secteur IT suisse n’est pas directement impacté par la hausse des tarifs d’exportation ni par l’inflation. Il l’est en revanche directement par la baisse des investissements IT de ses entreprises clientes, que ces dernières soient elles-mêmes exportatrices ou simplement touchées par un ralentissement de l’économie mondiale. 

Contacté par notre rédaction alémanique, Giancarlo Palmisani, responsable des services aux associations et membre de la direction de l'association Swico, mentionne en particulier le risque d’investissement en baisse et de projets interrompus dans les domaines du logiciel et du développement applicatif. Franziska Barmettler, CEO de Digitalswitzerland, pense également que les entreprises IT locales sont indirectement touchées par la politique douanière américaine, même s’il est difficile d'estimer comment la situation va évoluer, précise-t-elle.

En mars, IDC constatait qu’au niveau mondial, la majorité des entreprises cherchaient à maintenir leurs priorités d’investissement IT, notamment dans les domaines de l’IA et de la cybersécurité. Le cabinet souligne aussi l’importance qu’a aujourd’hui l’IT dans les organisations et la robustesse du secteur IT par rapport à d’autres branches. 

IDC relève néanmoins que la sensibilité au prix augmente et que le ralentissement économique aura immanquablement un impact direct sur les dépenses informatiques, avec notamment une réduction des frais liés aux terminaux et infrastructures sur site (prolongation de la durée de vie par exemple) et un ralentissement de la signature de nouveaux contrats. Des hausses de tarif consécutives aux taxes douanières risquent d’être mal acceptées. Gage de flexibilité, le domaine de la location de services devrait en revanche profiter du ralentissement et de l’incertitude. 

Incertitudes sur les investissements IA et le cloud

Pour terminer, relevons deux cas particuliers. D’abord la menace agitée par l’Europe de taxer les services numériques américains en guise de représailles, si les négociations avec les Etats-Unis sont infructueuses. Une telle mesure pénaliserait les géants du cloud et rendrait les offres européennes bien plus compétitives. Ce n’est pas par hasard que le cours de l’action OVH a bondi de près de 40% en quelques jours. Bien que peu probable, une telle situation pourrait aussi profiter aux fournisseurs cloud suisses, en même temps qu’elle mettrait la pression sur la Suisse pour qu’elle s’aligne avec ses voisins.

Les voix sont d’ailleurs nombreuses à plaider pour une approche davantage souveraine en matière de numérique, à l’instar du conseiller national vert et entrepreneur informatique Gerhard Andrey qui confiait à notre rédaction alémanique: «Nous devrions faire de cette nécessité une vertu et devenir enfin plus autonomes sur le plan numérique et moins dépendants des grands groupes américains de big tech qui sont écrasants. Nous aurions dû le faire même sans Trump, maintenant l'urgence est simplement plus grande».

Enfin, le second cas particulier concerne les investissements massifs dans les infrastructures IA auxquels se livrent les géants américains de la tech. Ces projets sont fortement dépendants de technologies importées. Avec les nouveaux tarifs douaniers, leur coût (microprocesseurs, bâtiment, systèmes d’énergie) va considérablement augmenter, ainsi que le relèvent plusieurs médias américains. 

Face à la menace d’un ralentissement économique, certains de ces développements vont être abandonnés ou tout au moins sérieusement contestés par les investisseurs. Par ailleurs la hausse des coûts de ces infrastructures aura des conséquences sur les tarifs d’inférence proposés aux entreprises. Et ce n’est pas bénin, quand on sait que de nombreuses organisations scrutent les gains de productivité réels obtenus avec l’IA et le feront encore davantage dans une économie tournant au ralenti.
 

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