Conférence à la HES-SO

Sobriété numérique, quelles voies pour éviter les effets rebond?

Lors d'une conférence à la HES-SO, des experts ont abordé l'impact du numérique sur l'environnement, les risques d'y apporter de mauvaises réponses et des pistes pour des solutions plus inédites et vertueuses.

Xavier Verne, en charge du numérique responsable à la SNCF et expert au Shift Project
Xavier Verne, en charge du numérique responsable à la SNCF et expert au Shift Project

La HES-SO Genève organisait mardi dernier une journée sur la sobriété numérique. Au menu, des conférences et tables-rondes avec un panel d'experts francophones qui ont abordé tant les défis de la sobriété numérique que l'intégration de la question écologique dans l'enseignement supérieur et la recherche en technologies. Une journée destinée donc à faire un état des lieux de ce que l'on sait (ou pas) de l'impact du numérique sur l'environnement, à identifier les principaux enjeux, à rendre compte des initiatives les plus intéressantes et, plus généralement, à penser les mutations en cours, a expliqué en préambule Thomas Perrot, Maître d’enseignement en humanités à la Haute école du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève (HEPIA).

Complexité des impacts

Dans sa conférence d'introduction, Xavier Verne, en charge du numérique responsable à la SNCF et expert au Shift Project, a décrit l'impact croissant du numérique et expliqué l'importance d'analyser l'entier du cycle de vie des dispositifs. Leur empreinte ne se limitant pas à l'énergie consommée, mais concernant tout autant leur production - avec notamment la problématique de matériaux se raréfiant de sorte que le coût écologique de leur extraction ne cesse de croître - que leur (éventuel) recyclage en fin de vie. Une approche d'analyse du cycle de vite d'ailleurs adoptée par la start-up romande Resilio également présente à l'événement. Le spécialiste du Shift Project a ainsi plaidé pour une approche systémique et à identifier les bons leviers. Il a enfin averti du risque de s'orienter vers des solutions trompeuses, appelant les individus et organisations à faire preuve de courage et de créativité.

Solutionnisme, optimisation et effet rebond

A ce titre, plusieurs intervenants ont souligné ce risque d'apporter de fausses réponses au défi écologique. A commencer par le solutionnisme technologique et la quête systématique d'innovations numériques pour répondre aux problématiques environnementales, sans considérer l'impact de la solution apportée. "La dématérialisation est une rematérialisation", a rappelé Xavier Verne.

Le recours massif aux énergies vertes par les hyperscalers a également été critiqué comme un leurre lors de la conférence. Des intervenants soulignant que les géants de la technologie s'accaparent une grande partie des certificats verts disponibles et que cet usage ne change rien au mix énergétique global, s'il n'est pas accompagné d'investissements et de projets de production d'énergie renouvelable. Clément Marquet, chercheur à Mines Paris, a également mis en lumière la concurrence que la concentration de datacenters dans certaines zones urbaines fait peser sur d'autres utilisations de l'énergie.

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Enfin et surtout, plusieurs experts ont expliqué les limites de l'optimisation des systèmes numériques. A chaque fois que des innovations rendent des dispositifs et applications "plus verts", cela s'accompagne d'une augmentation de leur usage neutralisant les vertus de la mesure. La 5G a été citée comme exemple caractéristique de cet effet rebond, alimenté selon Xavier Verne tant par un idéal d'autonomie et d'abondance des individus, que par des modèles d'affaires reposant sur une augmentation des volumes. Signalons que le dernier rapport du GIEC évoquait également cet effet rebond, notamment à propos à propos du télétravail.

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Longévité logicielle et mainteneurs

Fort heureusement - et pour faire écho au titre de la conférence "en route vers la sobriété numérique" - les experts invités par la HES-SO ont aussi abordé des pistes plus vertueuses évitant les écueils du solutionnisme et de l'optimisation vaine. Les responsables IT le savent, diminuer l'impact écologique de leur IT passe notamment par une réduction du nombre d'équipements et des renouvellements plus rares. Souvent cependant, les dernières versions des logiciels exigent aussi du matériel plus récent. L'intervention d'Agnès Crépet, responsable du développement chez Fairphone était à ce titre très intéressante, car le fabricant de smartphones durables est confronté à une problématique analogue. La spécialiste a ainsi expliqué que les équipements risquent l'obsolescence lorsqu'une nouvelle version d'Android n'offre plus de support et de mises à jour pour les puces dont ils sont équipés. Pour y remédier et afin de permettre qu'un smartphone dure plus de quelques années, l'équipe d'Agnès Crépet prend le relais et fournit les patchs de sécurité et mises à jour Android avec l'aide de la communauté open source.

Autre piste vertueuse avancée par Nicolas Nova, professeur à la HEAD, prolonger la vie des appareils en misant sur l'ingéniosité des utilisateurs, mais aussi sur l'extraordinaire écosystème de boutiques et ateliers de réparation qui se sont développés autour des smartphones dans le monde entier. Le chercheur a ainsi plaidé pour une meilleure inclusion de ces "mainteneurs" et appelé à "passer de l'enthousiasme pour l'innovation à celui pour la maintenance et la réparation"...

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