Stratégie digitale

Depuis Genève, Coty pilote la transformation des salons de coiffure du monde entier à l'ère du numérique

Depuis son siège genevois, la multinationale cosmétique Coty gère ses marques destinées aux professionnels des quatre coins du monde. ICTjournal a rencontré Mehdi Shili, en charge des opérations de l’équipe digitale qui pilote la digitalisation de cette activité. Un business typiquement B2B2C, dans lequel le numérique concerne en premier lieu le soutien à la transformation digitale des salons de coiffure.

Leader dans les produits de beauté, l’entreprise américaine Coty est moins connue que les multiples marques de son portefeuille. C’est elle qui se cache derrière les parfums Calvin Klein, les rouges-à-lèvres Covergirl ou les produits capillaires Wella utilisés par les coiffeurs. Et c’est justement depuis son siège genevois que la multinationale pilote l’unité de produits professionnels pour les salons de beauté et de coiffure du monde entier. Une activité typiquement B2B2C dans laquelle numérique rime avec innovation, mais d’abord avec relation et éducation, explique Mehdi Shili, qui dirige les opérations digitales sur ce marché. Notre rédaction s’est entretenue avec le manager expérimenté, qui a notamment passé 9 ans chez P&G, où il s’occupait déjà de la marque Wella avant le rachat de cette dernière par Coty en 2016.

Chez Coty, Mehdi Shili est aujourd’hui à la tête des opérations de la One Digital Team, une équipe de 60 experts répartis dans le monde entier, sans compter les relais dans les différents pays, et qui s’occupe du numérique pour toutes les marques pro (Wella, Sassoon, Nioxin, Clairol, Sebastian, etc.). «Notre équipe est le résultat d’un parcours démarré il y a une dizaine d’années. Coty a vu le besoin de développer des synergies et de briser les silos: ainsi, nous ne sommes ni dans l’IT corporate, ni dans le marketing, mais nous avons des talents et collaborons étroitement avec les deux domaines», explique le responsable.

On sait qu’une telle collaboration tripartite entre marketing, digital et IT - aussi souhaitable soit-elle - n’est pas une sinécure… La recette de Mehdi Shili: l’expertise technique et le savoir-faire des équipes digitales. «L’IT nous fait confiance: ils savent que nos projets tiennent compte des contraintes d’architecture et des intégrations. Idem pour le marketing: ils savent qu’en nous confiant leurs développements plutôt qu’à une agence, les applications seront robustes ou que nous anticiperons par exemple la question du support aux utilisateurs». Détentrice du budget des développements digitaux, l’IT est aussi impliquée dans le choix des prestataires externes auxquels ils sont confiés.

Conseiller les salons dans leur transformation

S’inspirant du modèle de Google, l’équipe digitale consacre 70% de ses efforts au cœur du métier, le reste étant dédié aux projets adjacents, comme l’e-commerce et à l’innovation de rupture, comme les technologies du salon augmenté. «Notre activité est fondamentalement un people business», souligne Mehdi Shili. En d’autres termes, les projets développés par l’équipe digitale s’appuient sur les forces de vente en contact avec les coiffeurs et ciblent tant la relation entre Coty et les salons de coiffure que celle des salons avec leur propre clientèle - on est bien dans le B2B2C…

Concrètement, les commerciaux sont notamment équipés depuis plusieurs années d’iPad dotés de multiples applications (prise de commande, CRM, etc.). Récemment, un nouvel outil de conseil a fait son apparition sur les tablettes qui permet aux vendeurs d’évaluer le degré de numérisation d’un salon par rapport au marché et de suggérer des améliorations, comme la prise de rendez-vous en ligne, la gestion de la présence sur Instagram ou le déploiement d’un logiciel de management du salon. Le cas échéant, l’entreprise peut conseiller le responsable de salon et lui proposer de nombreuses formations dans le domaine - dont certaines en ligne. «Grâce aux outils numériques, nos commerciaux ne sont plus des preneurs de commandes. Ils deviennent davantage des consultants qui aident les salons dans leur business, et cela se répercute naturellement sur les ventes. C’est un cercle vertueux», explique le responsable de l’équipe digitale.

Bientôt le salon augmenté

Côté e-commerce, l’équipe digitale s’active sur deux dimensions. D’une part, sa propre boutique en ligne migrée depuis peu sur une nouvelle technologie. Le shop est réservé aux clients professionnels, sachant que dans certains pays la vente de produits capillaires est strictement contrôlée. Pour éviter la concurrence entre shop en ligne et canal classique, Coty adopte la pratique de plus en plus répandue dans l’omnichannel d’affecter les revenus online aux magasins physiques. L’autre versant e-commerce de la stratégie digitale consiste à fournir les assets nécessaires aux grands salons et grossistes ayant leur propre activité de vente en ligne.

Mais l’innovation de rupture est aussi à l’agenda de l’équipe digitale de Coty. Au Consumer Electronic Show de Las Vegas, l’entreprise a présenté deux technologies susceptibles de participer au «salon augmenté» de demain, développées en collaboration avec de jeunes pousses. La première, un miroir intelligent, permet à la clientèle des salons de visualiser une coloration avant de l’appliquer. «Le fait de voir la couleur à l’avance évite les désaccords et les frustrations. Le smart mirror enrichit donc la consultation offerte dans les salons et la relation avec leur clientèle», commente Mehdi Shili. La seconde technologie présentée au CES joue la carte de la personnalisation. Développé avec les équipes R&D de Coty, le Color DJ permet de créer une couleur et un parfum personnalisés aux goûts du client. Le système combine une tablette pour concevoir la couleur et une machine «à la Nespresso» pour le fabriquer directement dans le salon.

«Les idées d’innovation viennent de multiples sources, explique Mehdi Shili. Parfois ce sont des salons et des start-up qui nous proposent des innovations, parfois c’est nous qui avons une idée et qui partons en quête de fournisseurs». Pour valider les idées d’innovation, le responsable digital s’appuie sur un réseaux de coiffeurs du monde entier, des experts faisant en quelque sorte office de focus group permanent, ajoute-t-il.

Organiser, mesurer, transformer

Conduire la numérisation pour de multiples marques avec une équipe dispersée au sein d’une organisation matricielle ne va pas sans contrainte. «Je n’ai que quelques heures de créneau pour échanger avec mes collègues en Californie ou en Australie», commente Mehdi Shili. Sans compter les spécificités des pays: Instagram ne sert pas à grand chose en Chine par exemple.

La structure rend aussi difficile un développement en mode Agile. «Il n’est pas possible de solliciter en permanence les key users des pays pour valider ce qui est développé, explique le responsable. Nous essayons plutôt de concentrer les périodes de test avec une approche hybride, mêlant Agile et waterfall».

Autre défi, réunir les données de mesure, définir les bons KPI et s’assurer qu’ils sont employés de façon standardisée. «Nous travaillons en permanence à aligner les KPI. Qu’est-ce que cela veut dire que de «gagner un client»? Il faut définir clairement chaque indicateur et éviter qu’il ne soit interprété différemment, voire perverti», explique le manager.

Last but not least, et comme dans la plupart des organisations, la numérisation se heurte à la résistance et aux doutes entourant le changement tant à l’interne que chez les salons. «Pourquoi offrir aux clients de prendre leur rendez-vous en ligne, alors que cela fonctionne très bien au téléphone?». Digitaliser la relation, tout un programme…

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