Hommes - femmes, même management?

Petra Jenner, Microsoft Suisse: «Aujourd’hui, les cadres travaillent dans des espaces ouverts, au vu et au su de tous»

| Mise à jour
par Interview: René Mosbacher

Petra Jenner a pris les rênes de Microsoft Suisse il y a plus d’un an. En entretien avec notre rédaction alémanique, elle revient sur son livre qui paru récemment, où il est notamment question de la place des femmes dans les entreprises et de leur style de management.

Petra Jenner, country manager de Microsoft Suisse
Petra Jenner, country manager de Microsoft Suisse

Vous avez récemment écrit un livre sur les questions de management. Quelles sont les réactions?

Le livre a rencontré un franc succès, en particulier auprès de jeunes cadres féminins. Elles trouvent souvent le livre utile, car elles apprennent qu'une femme à un état plus avancé de sa carrière a rencontré les mêmes difficultés. Beaucoup d’entre elles sont contentes que ces expériences soient enfin exposées de manière transparente. 

Toutefois, vos critiques dirigées contre les modèles de cadres masculins n'ont pas déclenché l'engouement partout.

Sincèrement, j'ai également reçu des échos positifs de la part de cadres masculins. Mon intention n'est absolument pas de mettre des bâtons dans les roues des hommes. Au contraire, je pense que beaucoup d'hommes souhaitent également évoluer dans un autre environnement de travail, mais ils ne l'expriment peut-être pas parce qu'il ne leur vient même pas à l'idée que cela est possible. Je suis persuadée que s'ils en avaient l'opportunité, ils tenteraient volontiers l'expérience, voire instaureraient le changement. Au cours de ces dernières années, j'ai côtoyé pas mal d'hommes qui ont adopté ce style de direction basé sur l’empathie et qui ont ensuite rencontré beaucoup de succès. Concrètement, cette forme de management s'est avérée favorable à au moins deux anciens membres de mon équipe dans leur carrière. Ils ont d'ailleurs aussi reçu un excellent feed-back de leur équipe. 

Comment cela se passe-t-il avec votre chef Steve Ballmer? Il est plutôt connu pour son style viril.

A première vue, je dirais que c'est quelqu'un de très énergique et d'extraverti – du moins sur le plan de sa fameuse présence sur scène. En entretien personnel, je l'ai perçu comme un bon interlocuteur, toujours à l'écoute et montrant beaucoup d'intérêt. Une attitude complètement opposée à ses apparitions publiques. Mais là, il doit assumer une autre mission, et non des moindres, à savoir susciter l'engouement des foules. Pour être franche, j'étais aussi sur mes gardes au début parce que je ne le connaissais pas sur le plan des échanges professionnels directs. En fin de compte, il m'a surprise positivement. 

Pour en revenir à votre livre, la thèse selon laquelle l'économie s'effondrera si les hommes continuent leur domination n'est pas vraiment nouvelle. Les mêmes propos étaient tenus il y a 40 ans et l'économie semble pourtant toujours passablement fonctionner.

Dans l'ensemble, ma thèse n'est effectivement pas une nouveauté, je vous le concède. Je ne connais évidemment pas exactement tous les tenants et aboutissants en matière de leadership il y a 40 ans de cela. J'ai toutefois le sentiment que quelque chose a changé. On peut dire qu'avant, le style de direction était beaucoup plus patriarcal qu'aujourd'hui. En outre, à l'époque, il n'y avait pas tous les moyens et outils dont nous bénéficions aujourd'hui. Prenez par exemple les canaux de communications. Il y a 40 ans, vous ne receviez pas des masses d'e-mails quotidiens auxquels vous deviez réagir promptement. Autrefois, il y avait encore des lettres, mais elles requéraient une autre cadence de traitement. La différence est encore plus flagrante si vous utilisez des microblogs dans votre management. Les dirigeants ont dû s'adapter au progrès technique. De plus, la direction a énormément gagné en transparence et en visibilité. Les concepts d'aménagement de bureaux actuels en sont bien la preuve. Tandis qu'autrefois les chefs occupaient un bureau particulier et se déchaînaient occasionnellement, ils travaillent aujourd'hui dans des grands espaces ouverts partagés ou dans des réduits en verre, au vu et au su de tous. Ces aménagements ne permettent pas les débordements et requièrent nettement plus d'auto-réflexion. Une nouveauté est aussi le fait que de nombreuses entreprises, surtout les grandes, entretiennent une culture du feedback contraignant tant les managers que les collaborateurs à se remettre en question. Il y a 40 ans, cela aurait été inimaginable.

Donc, tout suit son cours et va pour le mieux.

Nous sommes encore bien loin d'avoir atteint notre objectif. Nous ne sommes pas assez rapides et le changement n’est pas assez visible. Je suis toutefois persuadée que le processus va s'accélérer. Les changements techniques et structurels évoqués vont contraindre les dirigeants à appliquer des méthodes de direction plus empathiques, voire plus féminines. S'ils ne le font pas, ils ne pourront probablement plus faire leur travail d'ici quelques années. 

Je me demande naturellement si les femmes peuvent sauver le monde en s'élevant aux postes de dirigeantes.

Bien sûr que non, mais ensemble, les hommes et les femmes peuvent avoir plus de succès.

Les qualités féminines qui font défaut au sein du management ne constituent donc qu’une partie du problème?

Oui, le principal problème est que les cadres dirigeants sont la plupart du temps triés sur le volet en fonction de leurs compétences professionnelles et moins pour leurs aptitudes sociales. Résultat, ils sont souvent dépassés sur le plan du management. 

Et les femmes sont-elles moins sujettes à ces mauvaises décisions? 

Je ne généraliserais pas. Il ne s’agit pas non plus de hisser autant de femmes que possible au poste de manager. Il s'agit plutôt pour moi de la manière dont les entreprises s'y prennent avec leurs collaborateurs. Les problèmes que nous rencontrons encore, nous pouvons uniquement les résoudre ensemble. Le quota de femmes n'est pas vraiment d'une grande utilité dans ce cas. Raison pour laquelle j'ai aussi écrit dans mon livre qu'une entreprise doit être une sorte de famille sans pour autant la remplacer. Comme au niveau familial, il faut également avoir un équilibre entre femmes et hommes dans l'environnement professionnel. Aujourd'hui, dans le monde du travail, les hommes dominent nettement et je trouve cette situation délicate. Il s'agit en fait de compléter le système actuel. Cela va bien au-delà de la dimension du genre et de l'égalité des sexes. Il est tout aussi important d'avoir une représentation équilibrée de jeunes et d'anciens cadres dirigeants au sein de l'entreprise. Dans l'idéal, un bon mélange offre les conditions optimales pour le succès de l'entreprise. J'en ai en tout cas fait l'expérience et les meilleures équipes sont celles dont les membres se complètent autant que possible dans leurs qualités.

Mais ne règne-t-il pas justement dans l'IT une sorte de culte de la jeunesse, par exemple par rapport aux Digital Natives?

Dans une certaine mesure, mais je n’y adhère pas. Je pense que chaque génération a des forces qui sont importantes pour l’économie. Je trouve très dangereux la tendance d'engager exclusivement des jeunes gens qualifiés dans les entreprises. C'est en contradiction avec mon entendement de la diversité. S'il est primordial d'avoir des jeunes dans l'entreprise, il est tout aussi important de s’entourer de collaborateurs plus âgés et chevronnés. Les enjeux et défis que doit relever une entreprise sont si multiples qu'ils ne peuvent être surmontés qu'avec une palette de capacités aussi large que possible. L'entreprise qui opte uniquement pour des Digital Natives n'atteindra pas deux tiers de la société. Jusqu'à un certain point, c'est logique que les Digital Natives soient glorifiés par notre branche. Ils incarnent l'image idéale d'un individu à l’aise et adapté aux nouvelles technologies. Je me demande néanmoins quelle part de leur vie numérique est réellement consacrée à un travail productif. Les études réalisées dernièrement sur le sujet par la Commission européenne sont à cet égard plutôt sceptiques.

Existe-t-il des concepts de management typiques pour l'IT?

Du fait que la branche est très dynamique et internationale, nous avons appris à vivre sous une charge de travail élevée avec des horizons temporels courts et nombre de thèmes différents. Ce n'est pas évident. Nous avons également appris à bien nous y prendre avec les organisations matricielles et à agir dans un contexte international. Justement, dans cet aspect interculturel, l'IT a une longueur d'avance par rapport à beaucoup d'autres branches. Parmi les spécificités du secteur, je mentionnerais encore une pensée orientée sur les objectifs, qui nous aide beaucoup dans l'introduction de nouveaux produits et solutions.

Peut-on néanmoins affirmer que les spécialistes IT préfèrent certains modes de direction?

Je pense que les collaborateurs IT ne veulent pas être dirigés différemment que d'autres spécialistes. En fin de compte, nous sommes tous des êtres humains. Peut-être que nos collaborateurs accordent davantage d'importance à des modes de travail plus flexibles, permettant notamment d'effectuer une partie du travail à domicile. Mais cela est peut-être simplement lié au fait que nous sommes souvent les premiers à disposer des technologies et des compétences appropriées. 

Ce qui me frappe, c'est que beaucoup de filiales suisses de grandes entreprises IT sont dirigées par des femmes. Est-ce un hasard?

Il y en a de nouveau moins... Je ne peux pas dire si cela est un hasard ou non. C'est peut-être juste un peu dans l'ère du temps. Nombre de ces femmes étaient depuis longtemps dans la branche. Peut-être était-ce simplement l'étape suivante dans leur carrière, et le fait qu'elle ait lieu en Suisse n’est que le fruit d’un hasard providentiel. Mais ce que je peux dire, c'est que, comparé à l'Autriche, la Suisse compte plus de femmes dirigeantes. Là-bas, pendant deux ans et demi, j'étais la seule dans le secteur ICT.

Sur un autre sujet, avez-vous déjà touché votre ordinateur portable aujourd'hui?

Oui, en effet.

Je veux dire, travaillez-vous en mode tactile?

Non, je n'ai pas d'écran tactile. Mais Windows 8 fonctionne tout aussi bien sans la version tactile.

Je vous demande cela car c'est encore un mystère pour moi comment le fossé entre l'utilisation du clavier/souris et les commandes tactiles peut être comblé.

Ce n'est pas un fossé, ils se complètent de manière judicieuse; en fin de compte, c’est le client qui décide ce qui lui plaît le plus. C'est exactement la fonction de Windows 8: c'est une expérience optimale pour le clavier/souris, le stylet et le toucher. Avec les nouveaux ordinateurs convertibles, les trois scénarios peuvent même être combinés au gré du besoin et de la situation. 

Mais Windows 8 est un système destiné aux particuliers…

Pas du tout, Windows 8 a été conçu et développé tant pour le monde des particuliers que pour celui des entreprises. Par ailleurs, cette distinction s’estompe toujours plus avec des tendances comme le BYOD et l’emploi de tablettes. Par le passé, la plupart des tablettes étaient effectivement conçues pour la consommation de contenus et donc plutôt destinées au monde des particuliers. Cette situation va changer radicalement. Nous avons des projets pilotes intéressants avec de grands clients internationaux, qui testent l’utilisation productive de tablettes, p. ex. dans la vente. Une tablette dotée du Windows 8 ou un auxiliaire hybride peut être géré en toute simplicité et sécurité comme un ordinateur conventionnel. Cet avantage fait que les clients nous ouvrent tout grand leurs portes.

A propos de poste de travail, comment voyez-vous l'interface homme-machine évoluer ces dix prochaines années?

Le Natural User Interface fait actuellement l’objet de nombreuses recherches, également chez Microsoft. Au final, l'utilisateur doit pouvoir exécuter des tâches de manière intuitive et efficace. La forme de commande optimale dépend de la situation. Regardez le Kinect: à l'origine, le système a été développé pour les jeux. Depuis, de nombreuses applications commerciales exploitent ce système. Le contrôle par les gestes n’est par exemple pas très judicieux dans un bureau. En revanche, dans un environnement hautement stérile, comme la médecine, cette technologie permet de toutes nouvelles approches. De nombreuses expériences testent actuellement les technologies de contrôle gestuel et vocal. Mais nous n'en sommes globalement qu'aux débuts dans le domaine.

Revenons aux questions de direction. Vous êtes depuis une année la responsable de Microsoft Suisse. Quels sont les objectifs que vous avez réalisés durant cette période?

Microsoft Suisse était déjà très prospère avant mon arrivée. L'an dernier, nous avons en outre réussi à nous orienter dans la perspective du moyen terme. Nous avons également franchi une nouvelle étape en matière de développement de nos collaborateurs. Si je regarde les résultats des sondages actuels, il semble que nous sommes parvenus à améliorer la fidélisation des clients et des partenaires. C'est ce dont je me réjouis le plus. Notre succès n'est pas seulement mesuré en chiffres, mais aussi dans la façon dont nos clients et partenaires nous perçoivent. C’est un grand succès pour l'équipe.

Et où sont vos chantiers?

Nous devons assurément continuer à travailler sans relâche à la collaboration avec nos clients et partenaires. Il en va de même pour le développement de nos collaborateurs. Notre initiative de places d'apprentissage lancée récemment en fait également partie.

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