Résilience

Pierre-Yves Niederhauser, Eraneos: «Peut-être faudrait-il encourager et provoquer le Shadow IT»

Consultant chez Eraenos, Pierre-Yves Niederhauser animait fin 2023 un atelier sur l’antifragilité pour les CIO romands du Digital Circle. En entretien, il revient sur cette notion et ce qu’elle peut apporter dans la façon d’envisager la gestion de l’IT.

Pierre-Yves Niederhauser est Managing Consultant chez Eraneos.
Pierre-Yves Niederhauser est Managing Consultant chez Eraneos.

Quelle est pour vous la principale utilité de la notion d'anti-fragilité pour les organisations? Comment s'articule-t-elle avec la question de la résilience?

L’anti-fragilité est d’une autre nature que la résilience. La résilience est de l’ordre de la robustesse qui peut se définir comme une absence de fragilité. Ne pas être fragile, ça n’est pas encore être anti-fragile. L’organisme anti-fragile, qu’il s’agisse d’un être vivant ou d’une organisation, n’évite pas simplement les effets des événements imprévus et dommageables : il en tire parti et évolue vers autre chose grâce à eux. La résilience, c’est le statu quo. L’anti-fragilité, c’est l’évolution.

Quelles orientations et choix concrets les organisations peuvent-elles prendre pour être davantage anti-fragiles?

Elles peuvent renoncer à la prétention de maîtrise absolue de l’environnement et accueillir une certaine part d’incertitude. L’illusion de la maîtrise a tendance à rigidifier les organisations. Au XVIe siècle, les arts et les sciences ont fait des bons gigantesques dès lors qu’on s’est autorisé à admettre que l’on n’avait pas fait le tour des savoirs. C’est l’apparition de la Terra Incognita sur les cartes du monde. L’avenir ne se laisse pas enfermer dans des dashboards ou des KPIs. Il est truffé de Terrae Incognitae.
De loin en loin, des événements chaotiques et par nature imprévisibles changent radicalement les «règles du jeu»: crises sanitaires, écologiques ou ruptures technologiques majeures. Dans ces états de bouleversement, ce n’est pas la capacité à revenir au statu quo qui permet aux organisations de survivre, mais bien la capacité qu’ont certains individus ou groupes d’individus à créer et à réagir sur le vif. Il peut donc être vital pour une organisation de laisser des espaces d’initiative et de désobéissance dans son système de management : c’est ce qui pourrait bien lui permettre de survivre à une situation chaotique.

Comment décliner le principe pour le cas particulier de l'organisation IT?

On se bat, moi le premier, contre le Shadow IT en voulant normaliser et standardiser à tout va. Pourtant, lors de la pandémie, bien des entreprises ont largement bénéficié d’une multitude de petites solutions mises sur pied dans des temps records, par des non-informaticiens, notamment par l’usage de plateformes no/low code. Ces solutions étaient-elles parfaites ? Sans doute que non. Mais elles ont permis d’apporter des réponses que les processus de développement «officiels» étaient incapables d’apporter, englués qu’ils étaient dans leur robustesse. Dès lors, lorsque l’on parle de Shadow IT, plutôt que de combattre, peut-être faudrait-il encourager et provoquer, sans attendre que la prochaine crise le fasse à notre place? 

La transformation numérique conduit à des organisations plus mécaniques et moins biologiques. Est-ce le chemin tout tracé vers la fragilité?

Je ne partage pas ce constat. Le côté mécanique vient du centrage sur les applications qui « mécanisent » ou automatisent des traitements. D’un autre côté, les applications servent à traiter des données. Essayez de vous faire une image d’un monde où des données de qualité circulent sans barrières inutiles et sont accessibles à qui en a besoin… est-ce que ça n’évoque pas justement une image très… organique?
Un dernier point fondamental à souligner: la liberté de l’anti-fragilité concerne le «comment». Elle ne peut être octroyée que dans la mesure où le «pourquoi» est clair et partagé par tous les acteurs d’une organisation. Cela remet sur le devant de la scène des notions comme la vision commune, l’adhésion, l’éthique, les valeurs fondamentales… Si l’on s’accorde sur ces concepts et leur contenu, nul besoin de dire aux humains comment ils doivent agir: s’ils sont convaincus, ils traverseront vents et marées pour tendre au but, crise ou pas crise.
 

 

 

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