Interview CIO

Roland Bosshard, KPT: «Nous avons pu planifier et construire le nouveau système IT de A à Z»

par René Jaun et (traduction/adaptation ICTjournal)

Depuis avril 2022, la caisse-maladie KPT exploite entièrement son informatique dans le cloud. Responsable IT, Roland Bosshard explique les raisons de ce transfert et comment l’assureur en a profité pour transformer son architecture informatique.

Roland Bosshard, Responsable IT de la caisse-maladie KPT.
Roland Bosshard, Responsable IT de la caisse-maladie KPT.

En avril 2022, KPT a transféré ses opérations, dont l’application centrale Syrius, dans le cloud privé d'Inventx. Qu'est-ce qui vous a incité faire ce pas?

Avant le changement, nous avions deux grands fournisseurs. T-Systems exploitait le système central, une ancienne solution sectorielle basée sur Cobol, qui a malheureusement fini par devenir un frein à l'innovation. Et Swisscom était responsable de la plupart des autres éléments de l’IT. Ce sont deux bonnes entreprises avec des gens compétents. Toutefois, en cas de problème, nous nous retrouvions souvent dans une position désagréable à l’interface de ces deux grandes entreprises. Cette situation m'a décidé de confier les services d'infrastructure et de plate-forme à un seul partenaire. Nous avons opté pour Inventx, une PME suisse comme KPT. Nous voulons générer de la valeur ajoutée en Suisse avec un partenaire suisse.

Comment avez-vous abordé ce changement?

Le fait que nous ayons attendu si longtemps pour remplacer le système central s'est révélé être une chance. Cela ne faisait plus de sens de reprendre les anciens systèmes. Nous avons donc pu planifier et construire le nouveau système informatique de A à Z avec notre nouveau partenaire Inventx, en suivant une approche "greenfield". Nous avons misé sur les technologies et les architectures les plus récentes. Nous avons par exemple pu séparer rigoureusement les systèmes frontaux et back-end, les interfaces utilisateur, la logique commerciale et la gestion des données et les intégrer dans une couche d'intégration. Un tel nettoyage de l'architecture est extrêmement coûteux et ne se justifie guère en tant que projet. Nous avons eu l'occasion unique de le faire, car nous devions de toute façon tout reconstruire. 

Combien de temps a duré la migration vers le cloud?

Le projet a démarré début 2019 et nous avons été opérationnels en avril 2022. Pendant cette période, nous avons littéralement reconstruit tout ce qui fait l'informatique, du câble en fibre optique en Suisse orientale aux systèmes de gestion et de sécurité, en passant par toutes les couches de l'infrastructure et de la plateforme. Le programme comprenait 16 sous-projets, mobilisant chacun environ 150 personnes à temps plein en même temps. Au total, quelque 400 collaborateurs internes et externes ont été impliqués. Voir ces équipes travailler main dans la main a été pour moi une expérience particulière. Cela a été particulièrement impressionnant lors du cut-over proprement dit, lorsque nous avons mis en service ce que nous avions mis trois ans à bâtir. Quelque 150 collaborateurs ont migré toutes les données et activé les nouvelles interfaces en onze jours, 24 heures sur 24. Le scénario comportait plus de 1500 étapes.  La migration s'est déroulée entièrement en home office et s’est achevée conformément au plan, pratiquement à l'heure près.

Quel a été l'impact de la pandémie sur le projet?

En fait, juste avant l'arrivée du Covid nous avions aménagé une grande salle de projet pour 70 à 90 personnes afin de faciliter les échanges et la collaboration. Puis la pandémie est arrivée et tous les collaborateurs ont disparu du jour au lendemain pour travailler depuis leur domicile. Je trouve formidable que tout ait quand même fonctionné, que nous ayons pu respecter les étapes et que la qualité ait continué à être au rendez-vous. Cela montre que lorsque les gens veulent atteindre un objectif ensemble, ils y parviennent, quelles que soient les difficultés.

Comment vivez-vous la collaboration avec Inventx?

Comme KPT, Inventx est une PME suisse. De plus, nous partageons des valeurs similaires telles que l'orientation client, l'indépendance et la fiabilité. Nous nous rencontrons souvent sur le terrain, nous discutons de solutions aux problèmes, qu'ils mettent ensuite en œuvre de manière simple et pragmatique. C'est un monde nouveau et je suis heureux de ce partenariat.

Lors de l’annonce des résultats annuels 2021 de KPT, il a été question de la mise en place d'un écosystème numérique. Voilà qui fait penser aux plateformes Well ou Bluespace Ventures. Voulez-vous leur faire concurrence?

Non, en tant que KPT, nous n'avons certainement pas besoin de notre propre écosystème pour rendre nos clientes et clients heureux. Lorsque nous utilisons en interne le terme d'écosystème, nous entendons par là les acteurs du système de santé suisse, avec des fournisseurs de prestations tels que les les médecins, les pharmacies, les hôpitaux, les laboratoires, mais aussi les assureurs. Pendant longtemps, nous sommes restés à l'écart de ces alliances en raison de l'obsolescence de nos systèmes, qui empêchait d’intégrer des nouveautés. Aujourd'hui, nous sommes à nouveau prêts. Nous ne construisons donc pas notre propre écosystème, mais, pour l’heure, nous ne participons pas non plus à l'une des plateformes que vous avez mentionnées - cela étant dit nous pourrions tout à fait changer d'avis dans un an ou deux.

> Sur le sujet: Ecosystèmes numériques: les assureurs maladie multiplient les collaborations

Depuis cette communication, KPT a lancé "EverAsk", une antisèche numérique pour les visites médicales. Qu'en est-il du deuxième produit annoncé, un service de mesure de données telles que le pouls ou la fréquence cardiaque?

Ce service est sur le point d'entrer en phase pilote. Je pense que nous pourrons le déployer au premier semestre 2023.

Avant de rejoindre la KPT, vous avez travaillé dans l'administration publique. A quoi pensez-vous lorsque vous entendez parler de la lenteur de la numérisation, notamment à l'Office fédéral de la santé publique?

Spontanément, je pense: trop d'argent, pas assez de pression pour faire des économies - ce qui est typique du fédéralisme. Dans l'administration, il y a énormément d'acteurs qui travaillent sur les mêmes thèmes et qui ont tous leur mot à dire. A cela s'ajoutent de nombreux intérêts personnels et une faible motivation à trouver des solutions communes. Il est incroyablement difficile d'agir dans un tel contexte. Tant que cette situation perdurera, il appartiendra aux acteurs du secteur privé de faire avancer la numérisation dans le domaine de la santé.

En tant qu'assureur-maladie, comment jugez-vous l'état de la cybersanté en Suisse?

En comparaison avec les pays nordiques, nous sommes encore au Moyen Âge. En même temps, notre pays est régulièrement cité comme l'un des pays les plus innovants. La Suisse a mis le turbo relativement tard dans le domaine de la fintech, mais elle est maintenant sur la bonne voie. Et quand je vois toutes ces personnes innovantes et idéalistes qui investissent de l'argent et développent des solutions vraiment géniales, je suis convaincu que cela se produira aussi dans le domaine de l'insurtech. Je pense qu'il va se passer énormément de choses ces deux ou trois prochaines années.

Le dossier électronique du patient (DEP) est un chantier permanent de la cybersanté en Suisse. En avez-vous vraiment besoin de votre point de vue?

Je ne peux pas parler au nom de KPT. Mais du point de vue de l’IT, je pense qu'il s'agit d'une solution passionnante que nous soutenons volontiers dans la mesure du possible. Je le dis d'ailleurs aussi en tant que patient. Lorsque le médecin que j'ai consulté pendant des années a récemment pris sa retraite, il m'a remis un sac rempli de dossiers papier au nouveau médecin. Je ne comprends pas qu’il faille encore procéder ainsi, et cela me laisse parfois songeur.

Quels projets numériques allez-vous entreprendre en 2023?

Nous avons toute une palette d'idées. Nous mettons l'accent sur l'interface client, c'est-à-dire sur la création d'une plus-value immédiate pour nos clientes et clients. L'automatisation des processus opérationnels est une autre de nos priorités. Nous voulons améliorer la qualité de notre travail, réagir plus rapidement aux besoins des clients et réduire encore nos frais administratifs.

L'intelligence artificielle est-elle à l'ordre du jour?

Pas pour 2023. Pour des raisons de temps, nous misons encore sur d'autres moyens comme la Robotic Process Automation, même si cela ne peut pas être une solution à long terme. Mais nous nous penchons bien sûr déjà sur le thème de l'IA et examinons comment nous pouvons l'utiliser pour optimiser nos processus et proposer de nouveaux services.

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