Assureurs maladie

Ecosystèmes numériques: les assureurs maladie multiplient les collaborations

Les assureurs maladie veulent être davantage acteurs du système de santé suisse en matière de numérisation et d’innovation. Cette volonté se traduit par l’émergence ces derniers mois de multiples collaborations et alliances avec des prestataires de soins, des acteurs de la médecine en ligne, ou encore des start-up. ICTjournal s’est entretenu avec des décideurs sur des sujets allant de la coordination du traitement, à la télémédecine, en passant par le value-based healthcare.

(Source: Luis Louro / AdobeStock.com)
(Source: Luis Louro / AdobeStock.com)

Fin janvier, les assureurs Groupe Mutuel, Helsana et Swica et les groupes de santé Medbase et Hirslanden annonçaient la création de l’alliance Bluespace Ventures et le lancement d’un portail numérique commun baptisé Compassana. Via la mise en réseau et le partage d’informations entre les acteurs de santé et les patients, la plate-forme en ligne a pour vocation d’améliorer la coordination des prestataires de santé et les décisions de traitement que le patient prend avec son médecin. Des fonctionnalités et des motifs qui font évidemment penser au dossier patient informatisé décidé il y a de nombreuses années et qui commence à peine à être déployé en Suisse. En entretien avec ICTjournal, le CEO de la joint-venture Peter Mittemeyer se garde toutefois de vouloir créer un dossier patient informatisé bis: «Compassana est un écosystème de santé et nous mettons délibérément l’accent sur les soins intégrés. Nous souhaitons proposer des services de santé hybrides, associant services numériques et analogiques. Notre objectif n’est pas de remplacer le médecin ou le professionnel de la santé, mais de leur apporter un soutien numérique».

L’initiative n’est pas isolée. En automne 2020, les caisses-maladies CSS et Visana, le prestataire de télémédecine Medi24 (Allianz Care) et la pharmacie en ligne Zur Rose décidaient eux aussi de nouer leurs compétences dans une plateforme commune susceptible de s’ouvrir à d’autres acteurs. Et en août dernier, les partenaires concrétisaient leur projet avec le lancement de Well, une application mobile donnant accès à des consultations en ligne 24h/24, des ordonnances électroniques, des informations et recommandations santé ou encore des outils de gestion de documents. «Avec notre plateforme, notre objectif est de mettre en réseau tous les acteurs importants du système de santé et aussi de le changer durablement.

Cette évolution est dans l’intérêt de toute la population en vue d’un accès simplifié aux prestations de santé, mais également à des processus plus efficaces et donc moins coûteux», expliquait Alexander Bojer, Directeur général de l’opérateur de la plateforme Well Gesundheit AG.

Ecosystèmes de santé

Plusieurs facteurs expliquent l’émergence de ces écosystèmes de santé à forte composante numérique développés par et autour des caisses-maladies. Il y a d’abord une volonté des assureurs d’accélérer une numérisation du système de santé attendue par la population. Selon l’étude «Switzerland’s Digital DNA» d’Oliver Wyman, la majorité des suisses estiment qu’internet et les technologies améliorent les soins et deux tiers d’entre eux font confiance aux hôpitaux, aux médecins et aux assurances maladie lorsqu’il s’agit de leur transmettre des données. En Suisse et dans le monde, cette disposition à l’emploi de technologies dans la santé s’est encore renforcée avec la pandémie.

Par ailleurs, outre des gains d’efficience et de qualité des soins, la formation d’écosystèmes permet aux assureurs de s’associer à des acteurs aux compétences et services crédibles et complémentaires, de manière à étendre l’offre de santé. Dans un rapport sur le sujet paru l’an dernier («The Untapped Potential of Ecosystems in Health Care»), BCG distingue quatre stratégies d’offres que ces alliances peuvent développer:

  • Optimiser le traitement d’une maladie. Les stratégies peuvent se concentrer sur le traitement et la prévention d’indications spécifiques, telles que les maladies cardiaques ou le cancer.

  • Améliorer la vie avec une maladie. Les stratégies peuvent dépasser le cadre étroit des soins de santé et inclure d’autres domaines de la vie tels que la nutrition, le logement, la mobilité ou le bien-être afin d’améliorer la vie des patients atteints d’une patho-logie spécifique.

  • Améliorer les processus dans le domaine des soins de santé. Les stratégies de l’écosystème qui peuvent être exploitées pour rendre les processus de soins de santé plus efficients et efficaces comprennent les dossiers électroniques et les offres complètes de télésanté.

  • Favoriser un mode de vie sain. La proposition de valeur la plus large d’un écosystème de soins de santé est de couvrir différents domaines de la vie tels que la mobilité ou l’éducation afin de promouvoir un mode de vie sain – avec ou sans maladie – y compris la prévention et la santé générale.

Open innovation

La collaboration avec les start-up est un autre moyen mis en œuvre par les assureurs maladies pour insuffler de l’innovation de l’extérieur et étendre leur offre. Depuis 2020, la CSS investit ainsi dans des jeunes pousses actives dans la santé via un fond spécialement créé et doté de 50 millions de francs. «Nous cherchons à apporter leurs innovations dans l’entreprise et à créer des ponts avec les unités d’affaires», explique Torsten Butz, en charge de l’innovation chez l’assureur. Quatre start-up profitent du soutien de l’assureur. Elles sont actives dans des domaines variés: diagnostic à distance, thérapie contre la dépression, programme de santé, ou encore prévention des accouchements prématurés.

Le Groupe mutuel s’intéresse également aux jeunes pousses développant des solutions numériques de santé féminine (femtech). Au lieu d’investir directement, l’assureur a lancé l’an dernier le programme d’accélération Tech4Eva avec l’EPFL. Les 30 start-up qui ont participé à la première édition ont levé 60 millions de francs. En 2018, le Groupe Mutuel avait également lancé Innopeaks, une plateforme d’open innovation combinant incubateur et accélérateur. «Nous pourrions investir dans des start-up ou en coopter pour proposer de nouveaux services, mais il ne s’agit pas là nécessairement de l’objectif prioritaire pour le Groupe Mutuel. Pour nos équipes, il y a également un intérêt commun à collaborer étroitement avec des start-up pour s’imprégner de leur mode de travail afin d’accélérer les capacités d’innovation en interne», déclarait à l’époque le responsable du projet Nicolas Loeillot.

Value-based healthcare

Lyfegen est l’une des sociétés ayant participé au programme Innopeaks. La start-up bâloise qui a levé 3 millions depuis sa création est active dans le value-based healthcare (VHBC). Le domaine représente un changement profond dans la manière de financer les traitements thérapeutiques et à ce titre il intéresse de près les assureurs. L’idée consiste à ce qu’un traitement soit payé en fonction de sa performance et donc de la valeur apportée au patient. Et l’approche repose là aussi sur des collaborations et des technologies et données numériques.

Preuve en est, le Groupe mutuel a conclu un partenariat en septembre pour mener un projet pilote dans le domaine avec l’Hôpital universitaire de Bâle et l’Hôpital de La Tour, pour deux types d’intervention. «Afin de mesurer la qualité des interventions, les partenaires du projet se baseront, entre autres, sur les données des questionnaires relatifs aux résultats de santé rapportés par les patients. Ce principe consiste à demander directement aux patients le ressenti sur leur état de santé et leur qualité de vie avant et après un traitement. L’efficience des soins fournis sera aussi évaluée sur le principe du rapport coût/bénéfice. Dans la mesure du possible, les données seront analysées tout au long du parcours de soins des patients car le résultat d’un traitement dépend de plusieurs prestataires ainsi que de leur coordination», expliquent les partenaires.

C’est précisément pour gérer cette mesure et les remboursements qui en résultent qu’intervient la solution de Lyfegen. «Notre plateforme, qui est en cours de brevetage, utilise des algorithmes pour collecter et analyser les données sur le coût des médicaments pour les patients afin d’exécuter des accords complexes de paiement à la performance entre les parties», explique Girisha Fernando, CEO de la jeune pousse. Lyfegen a ainsi récemment signé un contrat avec l’assureur maladie Sympany, mais aussi avec la filiale suisse de Johnson & Johnson pour les équipements médicaux. Au-delà, le modèle de value-based healthcare et les technologies sur lequel il s’appuie pourraient s’avérer décisif pour sceller des accords de remboursement pour des traitements onéreux à l’issue incertaine, comme certaines thérapies géniques. Des collaborations numériques d’un nouveau genre au bénéfice des pharma, des assureurs… et des patients.

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