30 ans d'API

Maxime Borros, API: «Pour tenir aussi longtemps, il faut savoir s’adapter»

Le prestataire IT romand API fête ses 30 ans, une longévité rare dans le secteur. En entretien avec ICTjournal, son CEO fondateur Maxime Borros revient sur les moments clés et les choix qui ont permis à la société de s’adapter à un environnement économique et technologique, qui a considérablement changé au cours de ces trois décennies.

Maxime Borros, API: «Nous sommes une société familiale avec des collaborateurs qualifiés qui se reconnaissent dans nos valeurs.»
Maxime Borros, API: «Nous sommes une société familiale avec des collaborateurs qualifiés qui se reconnaissent dans nos valeurs.»

Comment API a-t-elle vu le jour il y a 30 ans?

A la fin des années 80, je dirigeais l’activité PC pour la société CMI. Les affaires se développaient bien et, vu que la société avait déjà cédé certains business florissants, j’ai proposé au patron de l’entreprise de reprendre l’activité PC à mon compte. J’ai trouvé les financements nécessaires, notamment via un crédit bancaire chez UBS et un prêt du patron de CMI. C’est ainsi que l’histoire d’API a commencé en juin 1990. Cinq ans plus tard, j’avais remboursé tous les créanciers. Depuis lors, je suis resté seul propriétaire de la société et nous avons grandi de manière organique. Nous n’avons ni fait rentrer d’investisseur, ni racheté de sociétés. Nous avons aussi la particularité d’être une société familiale, avec des collaborateurs qualifiés qui se reconnaissent dans ces valeurs, et avec le projet d’un passage de témoin à la deuxième génération – je pense que c’est unique dans le secteur IT romand.

La question d’une acquisition ou de l’ouverture du capital s’est-elle posée?

Lorsque l’on est seul à la tête de l’entreprise, et que l’on est entièrement pris dans la conduite du business et la gestion de l’organisation et des collaborateurs, on manque de temps pour ce genre d’initiative stratégique. Il y a deux ans, j’ai cependant fait l’exercice et cherché des investisseurs avec l’idée de développer une activité d’accompagnement des entreprises migrant sur S/4 HANA. J’y ai toutefois renoncé, sachant que certains investisseurs souhaitaient prendre une part majoritaire, tandis que d’autres trouvaient notre EBIT trop faible. L’exercice a toutefois été utile, car nous avons lancé un programme pour réduire nos coûts et augmenter notre marge. C’est en partie grâce à ces efforts que nous sommes aujourd’hui relativement sereins face à la crise.

En trois décennies, bien des choses ont changé en matière de numérique dans les organisations. Quelles évolutions vous semblent particulièrement marquantes?

La crise actuelle montre l’étendue de la numérisation et de ce qui peut encore être numérisé et automatisé. Nous voyons combien la digitalisation avance à grande vitesse dans de nombreux secteurs. Dans la santé, la télémédecine et les soins à distance vont sans doute encore se développer, notamment pour répondre au vieillissement de la population. On pourra traiter les gens avec une meilleure qualité et à moindre coût. Dans la banque, on assiste aussi à une profonde transformation des attentes de la clientèle avec le souhait d’une relation et de transaction entièrement en ligne. Côté technologie, l’essor des objets connectés impacte quantité de domaines, sans oublier l’intelligence artificielle et toute la question de la place de l’humain.

Depuis la création de la société, comment les besoins IT de vos clients ont-ils évolué et comment votre offre s’est-elle développée pour y répondre?

Pour tenir aussi longtemps, il faut savoir s’adapter. En 1990, lorsque l’on vendait un PC, on touchait une grosse marge et le service était offert. A la fin de la décennie, les prix ont chuté et avec eux les marges. C’est à cette époque que nous avons décidé d’évoluer vers les services d’externalisation. Pour la petite histoire, Nestlé a été notre premier client important dans le domaine: ils souhaitaient abandonner Netware Novell pour passer à Microsoft, et avaient ainsi besoin d’une équipe sur site pour gérer leurs serveurs dans le monde entier. C’est d’ailleurs à cette époque que nous avons développé un service 24x7. A partir du moment où vous proposez ce type de services, les clients commencent à demander de disposer de spécialistes ponctuellement ou pour une certaine durée. Nous avons saisi ce potentiel et lancé une offre de délégation en 2002. Quelques années plus tard, le cloud a commencé à se développer et il nous a paru que, contrairement aux infrastructures, les besoins applicatifs allaient augmenter – chose qui continue d’ailleurs de se vérifier. En 2010, nous avons ainsi décidé lors d’un séminaire sur l’innovation d’élargir nos prestations au développement. Le Groupe mutuel a été notre premier gros projet. Nous avons ensuite étendu nos capacités en la matière avec des plateformes nearshore, d’abord à Grenoble avec Hardis, puis dans les pays de l’Est.

Avec l’essor du cloud, l’activité infrastructure se réduit presque mécaniquement. Comment la compensez-vous?

Nous y répondons d’une part avec notre activité de développement applicatif. D’autre part, nous avons une clientèle de PME dont les besoins d’infrastructure n’ont pas disparu mais changé avec le cloud. Les entreprises disposent aujourd’hui de systèmes tant sur site que dans le cloud privé ou public, et elles cherchent des partenaires à même de prendre en charge ces environnements pour se concentrer sur les besoins métiers. La transition vers le cloud est donc aussi une opportunité pour nous de proposer des services d’externalisation complète. Nous profitons par ailleurs du fait que les PME privilégient aujourd’hui des partenaires qui leur ressemblent et qui couvrent l’ensemble des services dont elles ont besoin.

Et à l’interne, comment votre organisation et mode de management ont-ils changé en trois décennies?

Je relèverais plusieurs aspects. D’abord, nous avons toujours fonctionné de manière collégiale. Depuis le début, j’ai privilégié des décisions réunissant une majorité de la direction; il est aussi plus aisé de faire des changements lorsque l’on a décidé ensemble. Ensuite, notre état d’esprit a toujours été de nous remettre en question. En 2000, nous avons ainsi décidé de nous certifier avec la norme ISO 90001, tant pour documenter le fonctionnement de notre entreprise que pour nous interroger sur notre manière de travailler. Et de la même façon, nous n’avons cessé de réfléchir et de nous renouveler dans des domaines tels que la communication, l’innovation et la vente. Il y a deux ans, nous avons par ailleurs démarré une réflexion sur l’holacratie, car il nous importe d’augmenter la participation et la responsabilité des collaborateurs. Une entreprise spécialisée nous a accompagnés et le processus nous a beaucoup appris. Nous avons notamment mis en place des séances tactiques. ­Enfin, vu que notre structure de management était trop lourde à nos yeux, nous avons récemment fait passer notre direction de sept à cinq membres. Tous ces changements correspondent bien à notre démarche.

Quels ont été pour vous les moments charnières dans l’histoire d’API?

Pour tenir sur la durée, il faut faire preuve d’audace, de persévérance et avoir un peu de chance. En tant qu’entrepreneur on doit faire des choix et on connaît des moments clés, j’en retiendrais deux. En 2004, la société a frôlé le dépôt de bilan et des amis versés dans les finances m’ont suggéré de nous placer en sursis concordataires. J’y ai toutefois renoncé et je suis parvenu à dégager des fonds en vendant notre bâtiment. J’ai eu du flair en achetant l’immeuble au démarrage de la société, alors qu’en général on considère qu’il n’est pas bon d’avoir de l’immobilier au bilan d’une entreprise informatique. Le deuxième moment clé que je retiens date de 2008 et de notre décision de nous lancer dans le développement applicatif, sur la base de conseils bien avisés. Cette activité représente aujourd’hui 20% de nos ­revenus.

Comment votre entreprise traverse-t-elle la crise actuelle?

Nous la traversons très bien pour plusieurs raisons. Premièrement, comme je l’évoquais précédemment, nous avons lancé un programme de réduction des coûts avant la crise. Deuxièmement, nous réalisons environ la moitié de notre chiffre d’affaires avec le secteur public et parapublic, qui a été relativement épargné. Troisièmement, nous démarrons l’année avec près de 65% de business récurrent. Il nous reste donc 35% à dégager avec des projets et nous avons heureusement pu gagner quelques appels d’offres même pendant le confinement. Au final, nous devrions enregistrer cette année des revenus égaux ou supérieurs à 2019 et avec une meilleure marge.

Quels sont aujourd’hui vos défis et perspectives pour API?

Il y a un ou deux ans je vous aurais dit la question de décider si l’on arrête certains services ou pas. Aujourd’hui, je suis optimiste et je ne me fais guère de souci. Nous avons une grande part de business récurrent, et nous avons la chance d’avoir une offre et une clientèle très diversifiées – aucun client ne représente plus de 12% de notre chiffre d’affaires. Nous avons aussi une équipe commerciale renouvelée et Luc Béhar comme nouveau directeur des ventes et du marketing. Cela me permet de me retirer progressivement avec l’objectif de lui transmettre la direction d’ici deux ans, pour ne conserver que la présidence. Dans quelques années, mon fils Nathanel va certainement rejoindre API pour s’occuper de l’innovation et du futur de la société. Les perspectives sont très bonnes…

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