Parlement

«Il n’y a pas vraiment de clivage gauche-droite en matière de numérique»

Fondateur de Digitec, président d’ICTswitzerland, conseiller national PLR saint-gallois et candidat aux Etats, Marcel Dobler compte parmi les parlementaires les plus actifs en matière de numérique. Notre rédaction l’a rencontré pour évoquer les progrès réalisés et les chantiers pour la prochaine législature dans le domaine du digital.

Fondateur de Digitec (revendu à Migros), président d’ICTswitzerland, Marcel Dobler est l’un des parlementaires les plus actifs en matière numérique. (Source: Parlament.ch)
Fondateur de Digitec (revendu à Migros), président d’ICTswitzerland, Marcel Dobler est l’un des parlementaires les plus actifs en matière numérique. (Source: Parlament.ch)

Vous êtes très actif dans les propositions liées au numérique, ce qui vous vaut parfois le surnom de Mister IT. Avez-vous le sentiment que l’intérêt du parlement pour le sujet a augmenté durant la législature qui s’achève?

Comme l’avait dit le conseiller fédéral Schneider-Ammann à la fin de la législature précédente, nous avons dormi pendant la première moitié de la vague de la numérisation. Les choses se sont heureusement accélérées durant cette législature et nous avons beaucoup de projets en cours dans le domaine numérique. La Confédération a pris conscience de l’importance du sujet, même si les choses ne vont pas aussi vite que je le souhaiterais. Il n’y a pas encore suffisamment de parlementaires à l’aise avec ces sujets: au National, chaque parti a son spécialiste des questions numériques, tandis qu’aux Etats, il n’y a que Ruedi Noser. Je pense, toutefois, que la situation va s’améliorer avec le temps et l’arrivée de parlementaires des nouvelles générations.

Le numérique ne semble pas jouer un grand rôle dans la campagne actuelle...

Ce n’était pas différent il y a quatre ans. Le numérique est une question secondaire, ce qui est normal. En fin de compte, on élit des parlementaires pour leur personnalité et pour leur orientation politique, pas pour leur affinité avec l’informatique. Il n’y a pas vraiment de clivage gauche-droite en matière de numérique et c’est très bien ainsi.

Se pose tout de même la question d’une numérisation plus ou moins active et centralisée de l’administration... quelle est votre position sur la question?

Les cantons et les communes développent chacun des services et des outils numériques de leur côté, ce n’est ni simple ni efficace. Je ne suis pas opposé au fédéralisme, mais je pense qu’il faudrait une structure et des procédures pour simplifier et unifier les efforts en la matière. Cela pourrait prendre la forme d’un comité réunissant des représentants de la Confédération et des cantons, et dont les choix en matière de numérique, adoptés à la majorité, devraient être appliqués par tous.

«Le domaine de la cybersécurité doit être développé et piloté par la Confédération.»

Et pour la cybersécurité?

Le domaine de la cybersécurité doit être développé et piloté par la Confédération. Je me réjouis que les choses aillent dans ce sens avec, notamment, la nomination d’un Monsieur Cyber. Je pense que la centrale MELANI devrait également étendre ses activités et ne plus se limiter à la sécurité des infrastructures critiques. Les entreprises et les personnes doivent être informées sur les questions de sécurité via un organe compétent centralisé, d’autant plus que les attaques ne sont pas perpétrées à l’échelon local. Je me réjouis, par ailleurs, que la Confédération ait désigné Thomas Süssli comme nouveau chef de l’armée. C’est une personne très compétente en matière cyber et c’est une excellente nouvelle pour le pays.

Quels sont les projets actuels de législation numériques les plus importants pour l’économie?

La mise en place de la signature électronique est extrêmement importante pour les entreprises. Aujourd’hui, si on achète un smartphone en ligne, il faut imprimer un formulaire, le signer, le renvoyer à l’e-commerçant, qui doit encore le transmettre, etc. Cette discontinuité des médias disparaît avec la signature électronique et le potentiel d’économies est énorme.

«La formation continue est de la responsabilité des entreprises, mais on peut les y encourager.»

Vous avez déposé plusieurs motions pour lutter contre la pénurie annoncée de personnel qualifié, et notamment d’informaticiens. Voyez-vous d’autres solutions pour y remédier?

On sait qu’on souffrira d’une pénurie de spécialistes IT d’ici cinq ans. Je me suis engagé pour que les étudiants étrangers qui effectuent leur formation en Suisse puissent y rester ensuite pour travailler – après tout ce sont des talents que nous formons... En matière de formation de base, les choses progressent avec le développement du numérique à tous les niveaux de la scolarité, et cela ne se résume pas à mettre des iPads dans les classes! La formation continue – le life long learning, comme on l’appelle aussi – est un autre domaine à développer. Cette responsabilité incombe aux entreprises, mais on peut les y encourager. Il y a, par exemple, des réflexions en cours au niveau de la Confédération sur la possibilité d’accorder des déductions fiscales pour les investissements dans la formation continue. Il est également important d’augmenter l’offre: il existe de nombreuses formations de base, mais pas suffisamment de formations de reconversion...

Parlons vote électronique. Les spécialistes en informatique sont souvent les plus réticents quant à son introduction. Quel est votre avis?

Le système genevois ayant disparu, il n’y a plus qu’une solution disponible. A mon avis, le système d’e-voting actuel ne doit pas être déployé pour l’ensemble de la population, mais uniquement pour une certaine proportion des électeurs. Pour envisager un déploiement à l’échelle du pays, il faudrait un nouveau système répondant à plusieurs conditions, telles que la gestion décentralisée des données à des fins de renforcement, par exemple avec la blockchain, et la séparation nette entre le registre des électeurs et le logiciel de vote afin d’assurer la confidentialité du vote. Je pense donc que le système doit continuer à être développé et, en cas d’introduction, il faudrait abandonner les autres canaux pour passer à un votre purement électronique. Toutefois, force est de constater que les avantages du vote électronique ne sont pas nombreux. Hormis le cas des Suisses de l’étranger, le seul intérêt serait d’éviter les bulletins nuls. A mon avis, les efforts entrepris en matière d’e-voting sont surtout une question de prestige et motivés par le désir de faire gagner à la Suisse quelques places dans les rankings internationaux. Une fois encore, faute de centralisation des questions touchant au numérique, la Confédération peine à établir des priorités.

Vous êtes un entrepreneur à succès dans le domaine de l’e-commerce. Comment jugez-vous la domination des acteurs étrangers sur le marché suisse?

Les e-commerçants suisses ont un atout important: leur capacité à livrer le jour suivant. Je n’ai pas de souci avec la concurrence de firmes telles qu’Amazon ou Zalando, qui opèrent dans le même cadre que les entreprises locales. Le problème vient davantage des concurrents chinois qui n’obéissent pas aux mêmes règles commerciales. Mais c’est un problème que nous devons régler ensemble, avec nos partenaires européens.

L’UE projette de taxer les sociétés numériques. La Suisse doit-elle les suivre?

Il est problématique que des sociétés réalisent d’énormes revenus en Suisse sans aucun retour financier pour le pays. Je suis en faveur d’un alignement de la Suisse avec les pratiques des pays de l’UE, ni plus ni moins. Je suis, en revanche, opposé à une «finition suisse» qui risquerait de nuire à la place économique hélvetique.

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