Thomas Leurent, Akselos: «On fait des choses que la NASA n’a jamais faites»
Basée à l’EPFL et issue du MIT, la start-up Akselos est spécialisée dans les jumeaux numériques prédictifs, en particulier pour le secteur énergétique. Son CEO Thomas Leurent détaille pourquoi les simulations exécutées par Akselos les distinguent de la concurrence.
Comment se positionne Akselos sur le marché des Digital Twins?
Nous nous sommes spécialisés dans les Digital Twins prédictifs concernant le comportement mécanique d’un actif dont la valeur est énorme et qui opère dans des conditions extrêmes. Il peut s’agir d’une navette spatiale, d’une ferme d’éoliennes offshore ou encore d’une plateforme pétrolière. Avec Shell, nous avons par exemple déployé des capteurs permettant de recevoir des données sur le comportement structurel d’une plateforme pétrolière en mer du Nord, afin de calibrer une simulation dans le cadre d’une étude sur une extension de vie de cet actif.
La NASA utilise des jumeaux numériques depuis des décennies. En quoi des solutions comme celles d’Akselos font-elles progresser ce champ technologique?
Je le dis depuis cinq ans: on fait des choses que la NASA n’a jamais faites. Je peux le garantir. Aujourd’hui, 99% de l’industrie fait appel au même type d'algorithmes que nous développons, mais uniquement au stade du design et jamais au moment des opérations. Or, pour reprendre le cas de la NASA, c’est précisément quand quelque chose change soudainement sur l’actif qu’il est impératif de savoir si oui ou non celui-ci peut continuer à être opéré. Pour répondre à cette question, il fallait repasser par toute une phase de réanalyse, nécessitant un retour à l’étape de design, ce qui pouvait prendre des mois. Alors que notre technologie permet de fournir une réponse en quelques heures, car nos algorithmes optimisés sont mille fois plus rapide que ceux traditionnellement employés au moment de la conception. De plus, nos solutions couplées à des capteurs fournissent un workflow simplifié, adapté à une utilisation durant les opérations.
Vos Digital Twins n'exploitent-ils pas de données en temps réel?
Nous avons des projets qui permettent des retours en quasi temps réel. Par rapport à certaine conditions opérationnelles, nous somme ainsi capables de dire dans les 4 à 10 secondes si l'infrastructure est à risque. Concernant les plateformes pétrolières, pouvoir prendre des décisions dans un délai de quelques heures est en général suffisant. Nous intervenons typiquement lorsqu'un actif subit un événement imprévu le faisant sortir de ce que nous appelons son enveloppe de design. Par exemple, si une plateforme offshore subi l’impact d’une vague cassante plus haute que ce qui était défini comme probable au moment de sa conception. C’est un cas de figure qui survient de nos jours en mer du Nord.
Que faites-vous concrètement avec les données que reçoivent vos Digital Twins?
Contrairement à ce que les gens pensent souvent, nous n’effectuons pas d’analyse statistique sur la base des données. Car l'analyse statistique est impossible pour notre champ d’expertise, étant donné que trop peu de scénarios de défaillance se sont déjà réellement produits. Or, pour pouvoir faire des inférences sur ce type de données historiques, il faudrait que l’actif ait connue des milliers de défaillances pour disposer du dataset nécessaire. Nos jumeaux numériques se basent ainsi sur des simulations de scénarios virtuels et permettent de comprendre si un scénario est à risque à partir des données de fonctionnement de l’actif. Nos algorithmes sont capables d'exécuter des milliers de simulations en moins d’une heure. Cette rapidité produit des simulations très précises, ce qui permet souvent de découvrir qu’il existe encore beaucoup de capacités résiduelles non utilisées.
Vos modèles prennent-ils en compte les différences opérationnelles entre avant et après le changement d’état d’un actif?
Non, ces données ne nous sont pas utiles pour comprendre si et comment un actif peut continuer à opérer. Je vous donne l’exemple d’une recherche que nous menons avec le MIT, avec des drones dont l’aile est truffée de capteurs. Après avoir détérioré l’aile, nos simulations de vol permettent de savoir comment adapter la mission habituelle du drone pour qu’il puisse continuer de voler sans incident. Les simulations servent dans ce cas à définir de nouveaux paramètres, par exemple une nouvelle vitesse de vol et de nouvelles courbes adaptées à l’état actuel du drone.
Vos jumeaux numériques font-ils appel au machine learning?
Le machine learning puise dans un ensemble de données mais, comme je l’ai déjà mentionné, les données qui ne correspondent pas à des cas de défaillance ne nous servent à rien. Donc nous nourrissons nos algorithmes de machine learning d’un histogramme virtuel des défaillances probables.