Michel Joye, TL: «Je ne veux plus voir seulement des trains et des bus: je veux voir ce qui se passe avec les usagers»
En février, les transports publics lausannois (TL) ont lancé zenGo, un abonnement multimodal en collaboration avec les transports publics genevois (TPG). Via une app, l’offre permet aux clients de circuler librement sur le réseau lausannois ou genevois et de disposer de jetons virtuels pour des courses en taxi, la location de voitures, ou l’emploi de vélos en libre service. ICTjournal a rencontré Michel Joye, Directeur des TL pour en connaître plus sur ce projet et la transformation numérique de l’organisation qu’il dirige depuis 20 ans.
Comment l’app multimodale zenGo a-t-elle vu le jour et qui ciblez-vous avec cette nouvelle offre?
Dans les transports publics, nous savons faire du prêt-à-porter. Le numérique est intéressant car il nous permet de proposer des cocktails sur mesure et zenGo en est un bon exemple. L’offre est née d’un projet pilote mené en 2016 auprès d’une centaine d’étudiants de l’Ecole hôtelière de Lausanne. Nous voulions développer un produit multimodal fonctionnel avec une seule app et une seule facture. L’objectif étant d’offrir une expérience augmentée à la majorité de la clientèle urbaine qui utilise aussi bien la voiture que les transports publics. Nous travaillons depuis longtemps avec les taxis lausannois, donc la collaboration était naturelle. Pour le reste, nous avons choisi des partenaires locaux - Alloc-Cars, Publibike, etc. – afin de créer un écosystème qui profite aux entreprises de la région. On espère voir d’autres partenaires et villes se joindre à l’initiative.
Comment collaborez-vous avec les TPG en matière de numérique?
Nous collaborons depuis plusieurs années, nous avons notamment développé un système de gestion des bus et d’information à la clientèle en commun. Plus récemment, nous avons créé, avec les TPG et d’autres sociétés, la coopérative Movi+ qui nous permet de collaborer sur des projets communs – zenGo en fait partie. La coopérative développe des initiatives dans des domaines tels que le Mobility-as-a-Service, l’échange de données horaire en temps réel des transports publics, ou l’accès à des ressources de développement informatique communes. Depuis peu, elle dispose en effet de la structure OpenIT qui compte une vingtaine de développeurs pour réaliser des projets liés à la digitalisation des transports publics. L’idée étant aussi de mutualiser les coûts. C’est d’ailleurs les spécialistes d’OpenIT qui ont conçu la nouvelle app des TL.
Dans le futur, je ne veux plus voir seulement des trains et des bus: je veux voir ce qui se passe avec les usagers.
Comment conduisez-vous la transformation numérique des TL?
Jusqu’à présent, les projets étaient déterminés et réalisés sur un mode relativement classique. Mais les choses changent. Nous avons élaboré et communiqué notre vision des transports publics à l’horizon 2025, qui consiste à accompagner chaque client sur l’ensemble de son trajet, de A à Z. J’insiste sur le fait que nous voulons servir chaque client individuellement. Dans le futur, je ne veux plus voir seulement des trains et des bus: je veux voir ce qui se passe avec les usagers. On ne peut pas compter sur des projets classiques pour y parvenir, il nous faut nous transformer. En nous appuyant sur des formations proposées à l’IMD, nous avons démarré cette transformation avec une roadmap qui comporte plusieurs chantiers.
Quels sont ces chantiers numériques?
En premier lieu, la valorisation des données. Nous avons à cet effet nommé un Chief Data Officer il y a quelques mois. Nous disposons d’un grand nombre de données: nous connaissons notamment la position des nos véhicules toutes les 20 secondes, nous connaissons la météo, nous connaissons les endroits où il y a des chantiers, toutes ces données nous permettent d’analyser les parcours réalisés par nos véhicules et de mesurer leur ponctualité. Nous voulons aussi exploiter les données et les algorithmes pour mieux planifier les horaires des chauffeurs. C’est un des chantiers, mais il y en a d’autres: nous travaillons aussi sur la sécurité, la protection des données ou la modernisation des espaces de travail – un vrai enjeu tant pour l’expérience client que pour l’expérience collaborateur, un facteur essentiel pour rester un employeur attractif. Nous travaillons aussi à rendre notre gestion de l’entreprise plus agile, qu’il s’agisse de leadership ou de la manière de conduire des projets. Nous transformons également le pilotage de l’entreprise afin de mettre en œuvre notre vision sans pour autant passer à côté des opportunités qui se présentent.
C’est très nouveau pour une organisation comme la nôtre d’être capable de démarrer des petits projets et de les tester rapidement, c’est totalement différent des investissements d’infrastructure caractéristiques des entreprises de transports publics.
Avez-vous une structure dédiée à cette transformation?
Nous avons lancé une plateforme d’innovation en octobre dernier. C’est un des chantiers de notre transformation. C’est à la fois un espace dédié et deux personnes qui sont là pour assister les différentes entités dans leurs initiatives numériques. L’idée est de développer des projets pour tester les idées et décider d’un financement en cas de succès. C’est très nouveau pour une organisation comme la nôtre d’être capable de démarrer des petits projets et de les tester rapidement, c’est totalement différent des investissements d’infrastructure caractéristiques des entreprises de transports publics.
Quelle est votre stratégie face aux sociétés digitales actives dans la Mobility-as-a-Service?
Comme dans d’autres secteurs, de nouvelles sociétés arrivent sur le marché et cherchent à jouer les intermédiaires – le gâteau est énorme. Je suis en faveur des collaborations dès lors qu’il s’agit d’entreprises locales qui nous permettent d’améliorer notre offre. J’ai du mal en revanche lorsque des plateformes profitent de notre service et de nos donnés pour en retirer des bénéfices qui partent ailleurs – il en va en fin de compte de l’argent des collectivités et donc des contribuables. Face à ces plateformes, notre atout c’est notre personnel et la relation directe avec la clientèle. De plus, en développant des offres numériques innovantes – je pense notamment à notre nouvelle app – nous pouvons occuper le terrain et éviter ces nouveaux intermédiaires.