Interview CIO

François Jolles, UICN: «Nous devons prendre garde à utiliser les dons à bon escient»

François Jolles est CIO de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) depuis 2014. En entretien avec ICTjournal l’automne passé, il expliquait la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie informatique globale, afin d’assurer sur le long terme la numérisation de cette organisation mondiale, basée à Gland.

François Jolles, CIO de l’UICN: «Notre approche globale vise à mutualiser ressources financières et compétences humaines.» (Source: ICTjournal)
François Jolles, CIO de l’UICN: «Notre approche globale vise à mutualiser ressources financières et compétences humaines.» (Source: ICTjournal)

Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter la fonction de CIO de l’UICN?

J’ai postulé à ce poste après avoir occupé plusieurs années des postes à responsabilité dans l’IT, notamment chez Galderma et Bacardi, ainsi que longtemps chez Nestlé. J’étais arrivé à une étape de ma carrière où je trouvais intéressant de pouvoir relever des challenges techniques tout en mettant mon expérience au service de la conservation de la nature, une cause qui m’est chère. L’UICN fait autorité en ce qui concerne l’état de la nature et l’identification de mesures nécessaires pour la préserver.

Quelle est la taille de l’effectif du département IT de l’UICN et qui sont vos clients?

Parmi les 1’100 employés actuels du secrétariat, répartis dans 52 bureaux à travers le monde, 29 personnes font partie de l’IT globalement, dont 12 basées ici à Gland, au sein de notre siège mondial. En plus des employés du Secrétariat, les clients de l’IT sont des collaborateurs des 1300 organisations Membres, notamment des ONG, mais aussi les plus de 10’000 experts – universitaires et spécialistes – qui nous fournissent bénévolement des informations et alimentent nos bases de données.

En quoi consiste votre mission?

On m’a demandé d’élaborer une nouvelle stratégie IT et de la mettre en place. Auparavant, la division informatique de l’UICN était intégrée dans les services généraux et gérée séparément sur chaque site. Nous procédons aujourd’hui non pas à une centralisation mais à une globalisation de l’IT, un projet planifié en tout sur cinq ans et dont l’objectif est de créer des piliers solides pour assurer la numérisation de l’organisation sur le long terme. L’un des défis principaux concernait la résolution des problèmes de réseau. Lors de ma prise de fonction, l’attachement à internet de nos bureaux était géré partout localement et passait par les solutions les moins coûteuses. D’où une faible performance de réseau qui ne garantissait pas la fiabilité des communications entre nos différents sites.

Etes-vous parvenu à améliorer la performance réseau?

Oui. Pour y parvenir, nous avons mis en place une infrastructure SD-WAN avec par-dessus une solution SteelFusion de Riverbed. La performance s’est améliorée et les coûts d’exploitation ont baissé, car nous avons été en mesure d’optimiser le trafic de lignes souvent dotées de faible bande passante. Il faut savoir qu’environ 70% de nos sites se situent entre les deux tropiques, dans des régions où la qualité des connexions reste majoritairement faible. Notre réseau est aujourd’hui fiable mais nous ne sommes pas à l’abri de pannes de courant qui surviennent parfois dans certains pays. Grâce à une solution complémentaire de Riverbed, ces accidents n’ont plus de conséquences fâcheuses. Nous avons su remédier aux faibles taux de réplication des données et améliorer la sécurité, ainsi que la sauvegarde des données.

Quel est l’impact de cette modernisation de l’infrastructure réseau sur les coûts d’exploitation?

Grâce à la compression réseau permise par les solutions que je viens de mentionner, nous pouvons nous contenter de bandes passantes moins énergivores sans que la performance en pâtisse. L’économie en termes de consommation électrique se situe entre 30 et 40%. Cette optimisation est en partie due au déploiement de serveurs virtuels venus remplacer des serveurs physiques obsolètes qui, sur certains de nos sites, tournaient trop souvent à vide. Nous sommes maintenant en mesure d’ajuster le nombre de serveurs aux besoins réels. Sur certains sites, des applications ne peuvent pas être virtualisées, par exemple pour des raisons de conformité. Mais notre infrastructure est aujourd’hui virtualisée à quasiment 100%.

L’optimisation de votre réseau a-t-elle modifié les modes de collaboration?

C’est évident, pouvoir s’appuyer sur un réseau qui tient la route a dopé nos capacités de collaboration et de communication. Les visioconférences entre nos collaborateurs basés dans les quatre coins du monde sont désormais fiables et d’excellente qualité. Pour encore améliorer davantage la collaboration entre nos équipes, l’étape suivante consistera à passer tous nos outils bureautiques dans le cloud.

Comment gérez-vous le monitoring de ce réseau et plus généralement les activités de support?

La gestion du réseau est globale et standardisée, en suivant une approche «follow-the-sun». Divisé en trois zones horaires, le monitoring est assuré 24 heures sur 24. Nous faisons utilisons une plateforme sur le cloud pour gérer globalement les tickets des opérations IT. Pour organiser ce support, on a réparti les tâches à travers nos différents bureaux, par groupe de process. J’ai par exemple des collaborateurs à Washington et Belgrade pour superviser le support de notre ERP. Et pour le CRM, à Colombo au Sri Lanka et à Quito, en Equateur.

Quelles autres applications avez-vous déployée au niveau global?

L’ERP, les achats, le CRM et les RH. Nous sommes aussi en train de mettre en place un système global de gestion de projets. Ces applications sont une combinaison de solutions de fournisseurs et développées à l’interne, à l’image de notre système pour les RH, déjà déployé à mon arrivée et qui répond encore parfaitement aux besoins.

Ne gérez-vous aucune application spécifique en lien avec les activités de l’UICN?

Beaucoup de données collectées par notre réseau d’experts doivent être représentées sur des cartes. Pour ce faire, des applications SIG, des systèmes d’information géographique, sont utilisées. Pour l’heure, ces applications sont encore gérées localement, mais nous avons créé un centre de compétences en vue d’optimiser également la gestion de ces outils spécifiques. Dans le cadre de notre stratégie de globalisation de l’IT, l’objectif est de les faire passer dans le cloud. En procédant ainsi, nous pourrons entre autres optimiser nos services de support. Mais aussi encourager l’utilisation de ces solutions spécifiques, qui ne sont pas encore adoptées par tous nos bureaux, en raison du coût des licences ou d’un manque local de connaissances. En ce sens, notre approche globale vise également à mutualiser ressources financières et compétences humaines.

Quelle est votre approche en matière de mobilité?

La grande majorité de nos clients étant des spécialistes amenés à voyager et travailler sur le terrain, nous privilégions naturellement les technologies mobiles. Depuis déjà un certain nombre d’années, nous ne nous fournissons plus qu'en laptops et plus du tout en desktops. Les laptops présentent aussi un avantage en termes de résilience en cas de coupure de courant. Cela concerne notamment nos experts sur le terrain que nous équipons de tous les appareils nécessaires à leur travail. Tous nos applicatifs seront également adaptés à une utilisation sur mobile, c’est par exemple déjà le cas de notre application d’approbation de dépenses pour nos managers, ainsi que de notre intranet. Cette adaptation des interfaces se complète progressivement et concerne nos applicatifs développés en interne, mais aussi certains outils spécifiques de fournisseurs tiers, pas toujours mis à jour pour les mobiles.

Vos équipes se chargent-elles aussi du développement et du maintien de vos sites internet?

Oui. Nous sommes d’ailleurs en train de procéder à la refonte de notre principal knowledge product, la Liste rouge de l’UICN des espèces menacéesTM. Cette liste est accessible sur un site web doté d’un moteur de recherche. Sa fonction est de répertorier les espèces et d’informer quant à leur risque d’extinction. Mais l’interface date déjà d’environ 10 ans et elle sera prochainement mise à jour avec un design responsive. D’autres outils de connaissance sont gérés directement par des Membres de l’UICN. Il m’est apparu que cette particularité engendre un manque d’intégration des différentes données à disposition concernant la conservation de la nature.

Planifiez-vous de travailler à l’intégration de ces données disparates?

J’ai effectivement le projet d’unifier l’architecture de ces différents knowledge products pour pouvoir davantage les intégrer les uns ou autres. Il s’agit d’uniformiser l’expérience utilisateur mais surtout de faire en sorte d’interconnecter les données. Un projet passablement complexe, car nous parlons ici de données passant par un sérieux processus de validation. Par exemple, concernant la Liste rouge de l’UICN, les données récoltées par les spécialistes sur le terrain sont entrées dans un système sécurisé. Des informations qui, avant de pouvoir être publiées publiquement, doivent passer par la vérification, le contrôle et l’approbation d’experts indépendants. Cette procédure s’applique à tous nos knowledge products, de manière à ce que toutes les données disponibles soient scientifiquement validées. L’UICN est le gardien de ces données, nous garantissons leur intégrité.

Quelles innovations technologiques récentes présentent de l’intérêt pour vos activités?

Nos ressources financières provenant de donateurs, nous devons spécialement prendre garde à utiliser cet argent à bon escient et trouver le juste équilibre. Notre priorité n’est donc pas d’expérimenter de nouvelles technologies mais d’enrichir notre base de connaissances. Cela dit, je suis de près les technologies émergentes dont certaines pourraient à l’avenir optimiser et enrichir notre cœur d’activité. Je pense par exemple aux drones, pour la récolte de données sur le terrain. La blockchain aussi présente de l’intérêt pour sa capacité à valider et garantir l’intégrité des données stockées. Par ailleurs, nous faisons aussi déjà appel à des méthodes de crowdsourcing, notamment en proposant au public une application mobile via laquelle il est possible de télécharger des photos sous-marines et de contribuer ainsi au monitoring des espèces invasives en Méditerranée.

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