Economie à deux vitesses

Le fossé numérique se creuse dangereusement entre les PME suisses

L’écart grandit entre les entreprises suisses qui numérisent à toute allure et celles qui sont à la traîne, relève une enquête d’EY. Une situation inquiétante qui touche d’autres pays avec un impact tant sur la productivité que sur les inégalités salariales.

(Source: Galina Barskaya / Fotolia.com)
(Source: Galina Barskaya / Fotolia.com)

Les PME suisses investissent de plus en plus dans le numérique, selon une enquête d’EY qui a sondé 700 organisations comptant de 30 à 2’000 employés. Les technologies digitales jouent désormais un rôle important dans le modèle d’affaires de deux tiers des entreprises du pays et 88% pensent que cette importance va encore grandir, en particulier dans le secteur des services.

Actuellement, plus de la moitié des PME suisses exploitent le numérique dans leurs processus commerciaux (relation client, e-commerce). Elles sont en revanche bien mons nombreuses à en profiter pour la production (37%) et le développement produit (28%). Et elles ne sont que 13% à proposer des produits entièrement ou partiellement numériques.

Economie numérique à deux vitesses

Derrière ces progrès des PME suisses en matière de numérique, se cache en fait une réalité très contrastée. Selon l’enquête d’EY, les sociétés ne se digitalisent pas au même rythme, loin s’en faut. Ainsi, les grandes entreprises sont bien plus nombreuses (41%) à donner un grand rôle au numérique que les plus petites (29%). Un même fossé apparaît entre les PME les plus prospères (marche des affaires actuelle et future) et les autres.

Pour Andreas Bodenmann, Chief Digital Officer d’EY en Suisse, on voit se dessiner une société numérique à deux vitesses: «Pour bon nombre de nos clients, nous constatons que les entreprises prospères ont depuis longtemps mis en œuvre au quotidien les opportunités offertes par les technologies numériques. Dans le même temps, nous constatons que de nombreuses PME suisses attendent toujours et hésitent à faire les investissements nécessaires. Ces entreprises pourraient payer cher l’absence de recours au numérique, ou même courir le risque de disparaître dans certains cas, si elles se font distancer par leurs concurrents ou si de nouveaux concurrents innovants apparaissent de manière inopinée».

A l’échelon global, le Gartner dresse un constat similaire avec un écart grandissant entre les entreprises leaders qui pilotent et déploient des initiatives digitales, et celles qui n’en sont qu’à la phase d’exploration.

Impact sur a productivité et les différences salariales

Selon un rapport de l’OCDE, ce fossé numérique entre entreprises explique en partie la stagnation de la productivité dans les pays industrialisés, y compris en Suisse. La vague digitale actuelle n’apporte en effet pas les mêmes gains de productivité, que ceux engendrés par les progrès informatiques des années 90 et 2000. La mécanique semble enrayée. Plus précisément, les firmes les plus productives continuent de progresser, alors que les autres stagnent. Ce ne serait donc pas l’innovation qui est en panne, mais sa diffusion au sein d’un même pays ou d’un même secteur, diagnostiquent des experts de l’OCDE.

A ce double fossé s’ajoute un fossé salarial. Les entreprises les plus numérisées et les plus productives attireraient les meilleurs talents auxquels elles seraient en mesure d’offrir les meilleurs salaires. Comme l’explique l’OCDE: «Des degrés différents d’adoption des nouvelles technologies pourraient conduire à une dispersion de la productivité, qui conduirait elle-même à une inégalité salariale. Avec pour résultat une économie duale et la co-existence de sociétés hautement productives, offrant des hauts salaires, recourant aux nouvelles technologies et à des collaborateurs très compétents, et en face, des entreprises peu productives employant de vielles technologies.»

Améliorer la diffusion des meilleurs pratiques numériques

Pour réduire ces écarts et stimuler la diffusion des meilleures pratiques numériques, l’OCDE préconise quatre mesures. Premièrement, une intensification et une extension des échanges au niveau mondial pour que les firmes puissent apprendre de leurs homologues dans d’autres pays. Deuxièmement, un accès plus facile au marché pour les jeunes entreprises afin qu’elles puissent y expérimenter des technologies et des modèles d’affaires. Troisièmement, une meilleure allocation des ressources aux entreprises les plus productives pour qu’elles puissent grandir. Quatrièmement, des investissements dans l’innovation au-delà des technologies, notamment dans les compétences et le savoir-faire du management.

Face à ce même problème de manque de diffusion du numérique et de son impact sur la productivité, McKinsey estime que les Etats peuvent agir. En numérisant le secteur public afin de «montrer l’exemple», en soutenant l’adoption des technologies digitales par les plus petites entreprises, en s’engageant pour la formation de spécialistes, mais aussi en comprenant la nature des plateformes numériques pour identifier les comportements anticoncurrentiels nuisibles aux utilisateurs.

Sources:
Digitalisierung in der Schweizer Wirtschaft, EY, 2018
The Future of Productivity, OCDE, 2015
The Great Divergence(s), OCDE, 2017

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