Revente & distribution

Quel est l’impact de l’IA sur le channel IT suisse?

par Yannick Züllig et traduction/adaptation ICTjournal

Comment les distributeurs utilisent-ils l’intelligence artificielle pour optimiser leurs propres processus? L’IA peut-elle renforcer la capacité de résister aux crises économiques? Pour répondre à ces questions et à d’autres, Netzmedien a organisé une «Table ronde des distributeurs».

Driton Deda, Also; Andrej Golob, Alltron; Stefan Hoffmann, Zibris; Coen Kaat, réd. en chef adj. IT-Markt; Thomas Boll, Boll Engineering; Gabriele Meinhard, TD Synnex; Roland Silvestri, Secomp.
Driton Deda, Also; Andrej Golob, Alltron; Stefan Hoffmann, Zibris; Coen Kaat, réd. en chef adj. IT-Markt; Thomas Boll, Boll Engineering; Gabriele Meinhard, TD Synnex; Roland Silvestri, Secomp.

Le commerce d'équipements et de logiciels informatiques est en constante évolution. La mondialisation progressive pénalise la rentabilité des entreprises locales. La disponibilité et les prix jouent un rôle toujours plus important. En outre, après la période de croissance sans précédent observée pendant la pandémie, le marché traverse une phase de stagnation, voire de recul, sous l'effet des guerres en Ukraine et au Proche-Orient et des crises économiques qui en découlent.

Il n'est pas facile pour un distributeur de s'imposer sur ce marché: il lui faut s'adapter en permanence à des conditions changeant constamment. L’avènement de l'ère de l'intelligence artificielle en fait partie. Aucun service, aucun produit ne semble plus pouvoir se passer d'un label IA. S’agit-il d’une simple mode marketing? Les distributeurs peuvent-ils offrir une réelle valeur ajoutée à leurs clients grâce à des produits basés sur l'IA? Et comment l'intelligence artificielle transforme-t-elle les distributeurs eux-mêmes?

Pour répondre à ces questions, la rédaction de IT-Markt (une publication Netzmedien comme ICTjournal) a invité les directeurs des principaux distributeurs suisses à une «Table ronde des distributeurs». Thomas Boll, CEO de Boll Engineering, Driton Deda, Chief Customer Officer de Also, Andrej Golob de CEO, Alltron, Stefan Hoffmann, Business Development Manager chez Zibris, Gabriele Meinhard, Managing Director Switzerland de TD Synnex, Roland Silvestri, CEO de Secomp, ont participé à la discussion dans les locaux de Netzmedien, tandis que Michael Lüthold, Managing Director chez Infinigate, a transmis ses réponses par écrit.

Pas seulement un effet de mode marketing

Les participants à la table ronde s'accordent à dire qu'il y a assurément un phénomène de mode autour de l'IA. «Mais, à une époque, Internet et le smartphone ont aussi suscité le buzz», commente Thomas Boll, CEO de Boll Engineering. Et d’ajouter: «un buzz peut changer beaucoup de choses». Il faudra toutefois du temps pour que la hype atteigne les clients finaux et que l'IA soit entièrement adoptée. Andrej Golob, CEO d'Alltron, abonde dans ce sens: «Les fabricants ont besoin d'une histoire sur l'IA à raconter à leurs actionnaires et investisseurs. Mais il faudra plus de temps pour que ces histoires parviennent aux clients finaux».

De nombreuses fonctionnalités IA ne sont toutefois pas qu'une simple mode et offrent une vraie valeur ajoutée pour l'utilisateur, y compris dans les activités quotidiennes d'un distributeur. A l’instar de la traduction simultanée des conversations téléphoniques. Dans le contact avec les fabricants en Corée, c'est une aide et un soulagement énormes, explique Roland Silvestri de Secomp. «Certes, on dit actuellement beaucoup de bêtises en matière de marketing avec l'IA, mais à long terme, on ne pourra plus s'en passer».

Les équipes IT font figure de pionnières

Chez presque tous les distributeurs, l'IA est déjà utilisée pour l'optimisation des processus internes. «Par exemple dans le domaine de la Business Intelligence, où nous réalisons des projections à partir des données du passé», relève Gabriele Meinhard, Managing Director de TD Synnex Switzerland, l'IA peut aider à «devenir plus efficace et plus efficient».

Chez Boll et Also, ce sont notamment les équipes de développement logiciel et IT qui font avancer l’adoption de l'IA au sein de l'entreprise. Also a adopté une approche expérimentale: «Nous avons distribué des licences et demandé à nos équipes de «jouer avec», explique Driton Deda, Chief Customer Officer chez Also. C'est ainsi qu'un membre de l'équipe d'automatisation RPA a développé un chatbot basé sur Copilot, capable de lire et de traiter les dates de livraison et les conditions de garantie à partir des documents de l'entreprise.

Mais c'est pour créer du contenu que l'IA est le plus souvent utilisée. «Environ un tiers de nos pages produits contiennent déjà des éléments générés par l'IA», déclare Andrej Golob. Les outils d'IA doivent également contribuer à alléger la charge de travail des collaborateurs. Ainsi, Infinigate entend exploiter l'IA pour offrir à ses partenaires davantage de possibilités en self-service. «L'extension des fonctionnalités de self-service contribuera également à réduire la pression sur nos équipes de support client», indique Michael Lüthold, CEO d'Infinigate.

Tous les participants s'imaginent utiliser encore plus l'IA à l'avenir, par exemple pour la gestion des stocks ou les tâches administratives.

L'IA, tueuse de jobs?

Est-ce que cela conduira aussi à des suppressions de postes à l'avenir? Oui et non. Gabriele Meinhard, du grand TD Synnex, voit un potentiel d'économie dans les tâches faciles à automatiser, qui sont déjà externalisées à l'étranger. Roland Silverstri, de petit Secomp, voit plutôt le potentiel de l'IA dans l'allègement des tâches des employés en Suisse, qui peuvent s'occuper de tâches qui ont déjà été externalisées ailleurs.

C'est également l'avis de Thomas Boll: «L'expérience nous a montré que le secteur IT n'est pas doué pour la rationalisation des emplois. On en fait simplement toujours plus. Nous réutilisons simplement ailleurs les ressources libérées par l'automatisation IA».

Stefan Hoffmann abonde dans ce sens : «Nous l'observons aussi chez nos clients: lorsqu'ils transfèrent leur infrastructure chez nous dans le cloud, les ressources en personnel ainsi libérées ne sont pas supprimées, mais affectées différemment».

Inquiétudes au sujet de la protection des données

Si les distributeurs voient un potentiel dans l'IA, ils expriment aussi des inquiétudes. «Il y a 30 ans, la calculatrice était déjà meilleure que l'homme pour le calcul. Aujourd'hui, l'IA est supérieure à l'homme dans de nombreux domaines», estime Thomas Boll, «mais avec la calculatrice, on savait que le résultat était vraiment correct».

Les hallucinations de l'IA inquiètent les distributeurs, comme le fait que certains acteurs pratiquent sciemment l'empoisonnement des données pour fausser les résultats des chatbots. «La technologie est devenue tellement précise qu'il est difficile de faire la différence entre le réel et le virtuel», souligne Stefan Hoffmann, Business Development Manager chez Zibris, «il faut une gouvernance, aussi bien dans les entreprises que dans les institutions publiques».

Les entreprises IT ont un rôle particulier à jouer dans ce contexte. Au cours des dernières décennies, les technologies ont gagné en visibilité et les fournisseurs doivent donc prouver qu’ils savent les utiliser, estime Driton Deda. «La technologie évolue de manière exponentielle, pas la société».

Un avis partagé par Andrej Golob: «Si la société évolue moins vite que la technologie, alors la politique a encore cinq ans de retard. En fait, nous avons besoin de normes qui soient à peu près les mêmes pour la Suisse, l'UE et l'ensemble du monde occidental». C'est donc à l'industrie de trouver un terrain d'entente.

La pression du marché est perceptible

Les participants à la table ronde estiment que la concurrence est palpable sur le marché. A cela s'ajoute la pression économique due à l'inflation, à la hausse des taux d'intérêt et aux coûts croissants des préfinancements.

Mais en principe, les affaires marchent, estime le spécialiste des solutions de cybersécurité Thomas Boll: «Le marché est là, les gens savent qu'ils doivent veiller à leur sécurité. Malgré tout, la pression sur le marché est plus forte que les années précédentes».

Michael Lüthold, d'Infinigate, également spécialisé dans la cybersécurité, est du même avis: «Il y a déjà des signes positifs de reprise sur le marché. La cybersécurité est une priorité dans les investissements informatiques».

Outre le durcissement actuel du climat économique, on ressent toujours les effets de la pandémie, complète Andrej Golob: «En 2023, le marasme sur le marché des PC nous a fait plus de mal que l'inflation».

Mais le secteur fait preuve d'une grande résilience, selon Gabriele Meinhard. «Chaque année, on dit que ça va être plus difficile, puis on regarde en arrière et on se rend compte que c'était mieux que prévu». Driton Deda estime lui aussi que le marché IT suisse est en très bonne position par rapport à l'ensemble de l'économie: «Les échanges avec mes collègues d'Allemagne et surtout d'Europe de l'Est montrent la force de la place économique suisse».

L'abaissement des limites de crédit constitue cependant un défi. «Nous passons désormais beaucoup plus de temps à vérifier les lignes de crédit», explique Driton Deda. Nous avons déjà vécu des surprises lors de l'examen de la solvabilité des clients, des surprises positives comme négatives.

Défis de la conformité et concurrence étrangère

La conformité devient également un sujet de plus en plus important, selon les distributeurs. Les responsabilités sont transférées le long de la chaîne d'approvisionnement, de plus en plus de standards et de certifications ISO doivent être respectés et les négociations contractuelles deviennent de plus en plus compliquées. «Mon classeur conformité est de plus en plus volumineux», confie Gabriele Meinhard.

La concurrence étrangère est un autre problème. «Il y a aujourd'hui beaucoup de marchandises étrangères qui arrivent en Suisse. A long terme, ce sera un problème pour chacun de nous», affirme Roland Silvestri, «pour la distribution sur le marché suisse, c'est le plus grand défi à venir. Les fabricants aussi devront agir». L'un des problèmes est que les équipementiers eux-mêmes ne fixent pas les prix de manière uniforme et que la marchandise est disponible à l'étranger à un prix inférieur de 30%. «Le marché doit jouer, mais les mêmes critères doivent s'appliquer à tous», ajoute Driton Deda. «La politique est donc également appelée à prendre des mesures».

La chaîne d'approvisionnement se détend, en partie

La supply chain s'est à nouveau détendue après les goulots d'étranglement causés par la pandémie. Les distributeurs le vivent toutefois différemment. Depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas et la crise qui en a résulté au Proche-Orient, la prévisibilité a fortement diminué, expliquent Andrej Golob et Driton Deda.

«Nous n'avons en fait plus de problèmes de livraison», estime en revanche Thomas Boll. Gabriele Meinhard déclare également: «Il y a encore des problèmes ponctuels chez certains fabricants, mais le problème n'est plus généralisé». 

Chez Also, on observe par ailleurs une augmentation des échanges de courriers concernant les demandes et les clarifications de la part des revendeurs. Probablement une conséquence des nombreuses incertitudes apparues durant la pandémie.

Le channel devient plus proactif

D'une manière générale, la collaboration avec les partenaires a changé avec la pandémie. «Nous adoptons un rôle beaucoup plus actif et allons à la rencontre des partenaires et des fabricants», explique Stefan Hoffmann.

Même son de cloche chez Andrej Golob: «Le channel demande plus de services, car les partenaires ne disposent pas des ressources nécessaires pour les offrir eux-mêmes».

«En raison des nombreux changements apportés actuellement par les fabricants à leurs modèles et services, les partenaires comptent davantage sur nous», explique Thomas Boll. En général, la collaboration avec les partenaires est devenue beaucoup plus constructive, disent les distributeurs.

Reste à savoir dans quelle mesure la collaboration avec les partenaires va encore évoluer à l'avenir et quel rôle l'intelligence artificielle jouera, une fois passé l'effet de mode.


Les participants

Thomas Boll, CEO, Boll Engineering
Driton Deda, Chief Customer Officer, Also
Andrej Golob, CEO, ­Alltron
Stefan Hoffmann, ­Business Development ­Manager, Zibris
Gabriele Meinhard, VP Managing Director Switzerland, TD SynnexRoland Silvestri, CEO, Secomp

Michael Lüthold,Managing Director,Infinigate, a participé par écrit.

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