Ecologie & numérique

L’IT, incontournable pour mesurer les émissions indirectes de l’entreprise

Faute de mesure de leur impact, les entreprises peinent à atteindre les objectifs de réduction d’émissions carbone qu’elles se sont fixé, sans parler des exigences règlementaires qui pourraient les attendre dans le futur. Mesurer l’impact s’avère particulièrement complexe pour les émissions hors de leur contrôle mais néanmoins liées à leur chaîne de valeur. Echange et gouvernance de données, automatisation… A bien des égards, leur défi est un défi informatique.

(Source: Saffu on Unsplash)
(Source: Saffu on Unsplash)

Sous la pression des autorités et des groupes avec lesquels elles interagissent – clients, actionnaires, employés, etc. – la durabilité est à l’agenda de la plupart des organisations. De nombreuses grandes entreprises se sont notamment fixé des objectifs de réduction conformes à l’Accord de Paris, voire de net zéro. Pour y parvenir, pour déterminer les leviers les plus efficaces et orienter leurs initiatives, pour prouver et communiquer les effets de leurs actions, elles doivent nécessairement comprendre leur impact environnemental... et ce n’est pas facile.

Lors du World Economic Forum, Alan Jope, CEO d’Unilever, reconnaissait ainsi qu’en dépit d’une équipe dédiée au reporting de durabilité, son organisation «se démenait pour disposer de la capacité la plus élémentaire à mesurer ces domaines». Selon une enquête de Deloitte auprès de 2000 CxOs dans 21 pays, la difficulté à mesurer l’impact environnemental est l’obstacle le plus souvent rencontré par les organisations dans leurs efforts en matière de durabilité, avant les coûts élevés ou la focalisation sur le court et moyen terme (1).

Mesures partielles et exigences en augmentation

Unilever n’est donc pas la seule société à éprouver des difficultés à mesurer son empreinte carbone. Et si 85% des organisations sont soucieuses de réduire leurs émissions, seules 9% parviennent à les mesurer de manière exhaustive et seulement 11% les ont réduites conformément à leurs ambitions au cours des cinq dernières années, selon une autre enquête menée par BCG auprès de 1290 entreprises (2). L’étude montre d’ailleurs que les deux choses sont corrélées: les organisations qui sont les meilleures à mesurer leur impact sont aussi plus nombreuses à s’approcher de leurs objectifs.

L’enjeu est aussi règlementaire. En Suisse, le Département fédéral des finances doit présenter cet été un projet pour exiger des grandes entreprises du pays (bilan de plus de 20 millions ou revenus de plus de 40 millions) qu’elles publient un rapport sur les questions climatiques abordant les effets de leur activité commerciale sur le climat et inversement. La mise en œuvre contraignante devrait intervenir en 2024 pour l’exercice 2023. Et aux Etats-Unis, la SEC a dévoilé en mars son projet d’étendre les exigences de reporting climatique des entreprises cotées aux émissions de Scope 3 pour les plus grandes sociétés si ces émissions sont importantes.

La complexité des émissions Scope 3

Le Scope 3 est le troisième périmètre d’émissions distingué dans le protocole GES (GHG/Greenhouse Gas Protocol), faisant office de quasi standard. Complémentaire du Scope 1 (combustion d’énergies fossiles) et du Scope 2 (achats d’énergie), le Scope 3 englobe les émissions indirectes tout au long de la chaîne de valeur de l’entreprise bien que hors de son contrôle. Qu’il s’agisse d’émissions en amont côté fournisseur et production (déchets de l’entreprise, achat et transport de matériaux de fabrication, IT, déplacements des collaborateurs, etc.) ou d’émissions en aval côté commercialisation et clientèle (transport et distribution de ses produits, utilisation de ses produits, fin de vie des produits, etc).

L’intégration de ce troisième périmètre change grandement la donne. C’est d’abord le plus important, puisqu’il représenterait souvent jusqu’à 80% des émissions d’une organisation. «L’accent mis sur le Scope 3 signifie que les entreprises ne peuvent pas simplement transférer leur défi en matière d’émissions aux fournisseurs en externalisant ou en cédant des activités», souligne par ailleurs Paulina Ponce de León Baridó, partenaire chez BCG. L’intégration du Scope 3 a aussi cette utilité de stimuler un ruissellement vertueux vers les PME fournisseuses, qui se verront exiger des données et des engagements de durabilité de la part de leur clientèle de grandes entreprises.

Enfin et bien entendu, les émissions de Scope 3 sont bien plus compliquées à calculer et donc rarement mesurées. Ainsi, 66% des organisations sondées par BCG ne mesurent aucune émission externe et 76% s’estiment incapables d’évaluer l’empreinte carbone de leurs produits et services en y intégrant l’emploi du produit et son impact en fin de vie. Sans compter que ces mesures affichent en général des taux d’erreur de 30 à 40%.

Un défi en grande partie informatique

Ces lacunes illustrent la complexité de mesurer les émissions indirectes tout au long de leur chaîne de valeur. Les organisations décidées à le faire font face à de nombreux défis et ils sont en grande partie liés aux données. Des données qu’il faut collecter auprès de partenaires et partager avec d’autres, dont il faut contrôler la qualité, qui doivent être standardisées, qu’il faut pouvoir visualiser, analyser, etc.

Les standards sectoriels font souvent défaut, mais aussi les données. Plus du tiers des entreprises sondées par BCG indique manquer de données brutes et opérationnelles. Elles disent aussi manquer de divers outils avancés nécessaires à un reporting davantage automatisé sachant que 86% d’entre elles enregistrent et déclarent encore leurs émissions manuellement à l’aide des feuilles de calcul.

On l’aura compris, l’IT est une pièce centrale pour la mesure étendue des émissions de carbone, elle-même indispensable aux objectifs de réduction de l’entreprise et aux exigences règlementaires à venir. «Les responsables IT peuvent jouer un rôle clé, en développant notamment les données, indicateurs et connaissances pour mesurer l’impact environnemental, orienter les actions de durabilité de l’organisation et apporter davantage de transparence et de responsabilité à dans la chaîne de valeur», avancent les spécialistes de Deloitte.

Dans la plupart des organisations, les responsables IT vont donc devoir s’atteler à bâtir une plateforme aussi automatisée que possible à même de collecter et de combiner les données des émissions tout au long de la chaîne de valeur, mais aussi de les mouliner et d’offrir des visualisations pour orienter et assurer le suivi des initiatives de réduction. L’occasion aussi pour les CIO de mettre en œuvre leur savoir-faire en matière d’organisation et de processus de gouvernance des données. Les responsables IT peuvent aussi s’appuyer sur les outils des gros éditeurs de logiciels d’entreprises. Après le pionnier Salesforce, ils sont nombreux à avoir lancé ces derniers mois des solutions cloud de mesure d’impact.

Outre l’arsenal technologique lié à la data (hub, lake, API, etc.), des technologies émergentes peuvent être mobilisées. A l’instar de l’intelligence artificielle qui peut servir à simuler l’impact des initiatives envisagées ou à proposer des valeurs réalistes là où les données manquent. Idem avec la blockchain pour documenter l’origine et l’empreinte carbone des composants tout au long de la chaîne sans risque de falsification. Une information qui peut d’ailleurs être ensuite partagée avec le client final, comme le fait Firmenich avec son application de traçabilité Path2Farm.

Reste cependant à ne pas perdre de vue que les outils informatiques contribuant à gérer les données d’impact carbone ont eux-mêmes une empreinte écologique. Avant de mesurer informatiquement, il faut donc être bien sûr que les mesures se traduiront par des actions…

(*) Références:
CxO Sustainability Report, Deloitte 2022
«Use AI to Measure Emissions Exhaustively, Accurately, and Frequently», BCG 2021

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