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Les lacunes des algorithmes pour diagnostiquer la Covid-19 dans les radiographies des poumons

Depuis une année, des spécialistes du monde entier développent des algorithmes pour dépister la Covid-19, en particulier dans les radiographies des poumons. Une méta-étude montre que ces développements souffrent généralement de trop de lacunes pour une utilisation clinique et appelle à davantage de collaboration avec les praticiens.

Depuis l’irruption de la pandémie, de nombreux scientifiques cherchent à mettre au point des algorithmes à même de diagnostiquer les personnes infectées à partir de différentes données. Les développements ont en commun de chercher une alternative aux tests PCR, qui soit plus facile d’accès ou plus précise. Une équipe de l’EPFL a ainsi développé un algorithme pour diagnostiquer une infection à partir du son de la toux enregistré sur un smartphone et la start-up suisse Ava évalue la performance de son bracelet de fertilité pour dépister les personnes infectées par le coronavirus.

Si l’exploitation du son de la toux ou des données physiologiques captées par un bracelet, peuvent sembler incongrues pour dépister les personnes infectées, une autre source de diagnostic est déjà bien établie: l’imagerie des poumons.

Recherche à l’Hôpital de l’Ile

Une équipe de l’Université de Berne et de l’Hôpital de l’Ile, qui compte depuis peu un centre pour l’utilisation de l’IA en médecine, a ainsi publié en novembre dernier une étude sur la détection de Covid-19. Entraîné sur un corpus de près de 8000 images de torse aux rayons X, l’algorithme développé par les chercheurs s’est montré plus performant que les spécialistes humains, avec 97% de diagnostic correct, contre 53% pour les radiologues. «Les radiologues sont généralement bons pour détecter les anomalies. Ici aussi, ils ont été presque aussi bons que l'IA. Mais pour classer les pneumonies en cas de Covid-19 et de non-Covid-19, l'ordinateur était largement supérieur. Cela suggère que l'ordinateur peut détecter quelque chose dans les images qui échappe à l'œil humain. Cet aspect fera l'objet d'une attention accrue dans les recherches à venir. Grâce à la synergie entre l'analyse d'images assistée par l'IA et l'expertise des médecins, nous tirons le meilleur parti des nouvelles technologies», commente le professeur Andreas Christe, chef du service de radiologie de l’Hôpital de l’Ile.

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Des études manquant souvent de rigueur

Les travaux bernois ne sont pas un cas isolé. Des chercheurs de l’Université de Cambridge ont recensé pas moins de 2’200 études publiées l’an dernier ayant en commun d’utiliser le machine learning pour détecter une infection au coronavirus dans des radiographies et des scan des poumons.

Suite à l’analyse des 62 études les plus probantes, les chercheurs britanniques dressent un constat amer: «Notre examen révèle qu'aucun des modèles identifiés n’a de potentiel d’utilisation clinique potentielle en raison de défauts méthodologiques et/ou de biais sous-jacents».

Publié dans Nature, leur article explique que les publications actuelles sur le diagnostic Covid-19, pour prometteuses qu’elles soient, n’ont ni la robustesse ni la reproductibilité pour envisager leur utilisation clinique. Les chercheurs britanniques énumèrent de nombreux manquements tant au niveau des données-images (fiabilité et biais des sources, agrégation de jeux de données disparates, etc.) que des méthodologies employées «à la hâte» (utilisation de populations non-représentatives, non-prise en compte des erreurs des tests, etc.). Précisons que l'étude récente menée à l'Hôpital de l'Ile ne fait pas partie du corpus étudié par les chercheurs britanniques.

Collaboration avec les praticiens

Outre des recommandations pour combler ces lacunes techniques, les auteurs appellent les concepteurs à collaborer plus étroitement avec les praticiens: «Le lien complexe de tout algorithme d'IA pour la détection, le diagnostic ou le pronostic des infections à COVID-19 avec un besoin clinique clair est essentiel pour une application réussie. Le développement d'algorithmes d'IA nécessite donc une expertise informatique et clinique complémentaire, ainsi que des données de santé de haute qualité. Une évaluation significative de la performance d'un algorithme a plus de chances de se produire dans un cadre clinique prospectif». Précisément un aspect auquel les chercheurs de l'Hôpital de l'Ile ont prêté attention.

(*) «Common pitfalls and recommendations for using machine learning to detect and prognosticate for COVID-19 using chest radiographs and CT scans», Nature Machine Intelligence, Vol 3, Mars 2021

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