Jumeaux numériques

Digital Twins: des clones virtuels au service du réel

par Yannick Chavanne et Erich Cazzoli

Avec les progrès réalisés dans le domaine de l’internet des objets et de l’analytics, les Digital Twins – ou jumeaux numériques – suscitent toujours plus l’intérêt des entreprises. Représentations digitales d’actifs du monde physique, les solutions qu’englobent ce concept sont susceptibles d’apporter plus d’un bénéfice dans des industries diverses.

Basée à l’EPFL, la start-up Akselos a créé des algorithmes capables d’exécuter des milliers de simulations pour prévenir les défaillances d’un actif tel qu’une plateforme offshore. (Source: Akselos)
Basée à l’EPFL, la start-up Akselos a créé des algorithmes capables d’exécuter des milliers de simulations pour prévenir les défaillances d’un actif tel qu’une plateforme offshore. (Source: Akselos)

Lire les interviews sur les Digital Twins d’Akselos et des CFF:
>> Thomas Leurent, Akselos: «On fait des choses que la NASA n’a jamais faites»
>> Philipp Lombriser, CFF: «Les Digital Twins améliorent le service à la clientèle»

«Houston, nous avons un problème», alertait l’équipage d’Apollo 13 un jour d’avril 1970, déclenchant une opération de sauvetage qui a durablement marqué les esprits. L’issue positive de la mission est en partie due au fait que la NASA possédait sur Terre un système miroir d’Apollo 13: une réplique physique de la navette et de ses composants. Un concept à la base de celui connu aujourd’hui sous l’appellation de Digital Twins, ou jumeaux numériques, défini par Gartner comme un modèle logiciel qui représente un actif du monde physique dans le but d’en comprendre l’état, de réagir aux changements, d’améliorer les opérations commerciales et d’apporter de la valeur. Bien que le concept existe déjà depuis plusieurs années, les jumeaux numériques prennent aujourd’hui une dimension supplémentaire.

Représenter un actif physique avec un maximum de détails

Avec les progrès de l’internet des objets, de l’analytics et de l’intelligence artificielle, les Digital Twins sont aujourd’hui en mesure d’apporter de la valeur ajoutée aux entreprises. Au point que d’après Gartner, près de deux tiers de celles qui mettent en œuvre des projets d’internet des objets sont en train d’établir ou prévoient d’établir un jumelage numérique.

«Un Digital Twin offre la possibilité d’une représentation virtuelle de l’appareil IoT intelligent tout au long de son cycle de vie», explique René Stäbler, consultant en industrie 4.0 et transformation digitale chez IBM. L’expert ajoute que les jumeaux numériques les plus aboutis représentent un actif physique avec un maximum de détails. Ils peuvent donc être utilisés à des fins de simulation. Par exemple, des ingénieurs peuvent par ce biais apprendre comment les équipements devraient idéalement être construits et faire des recommandations pour les plans d’entretien. Ces répliques numériques permettent par ailleurs de fournir un service après-vente à forte valeur ajoutée, en décloisonnant la R&D, la production et le commercial.

De la simulation à l’optimisation

Les algorithmes d’optimisation puisent dans les modèles de simulation pour calculer un grand nombre de variantes de fonctionnement possibles. «Un Digital Twin peut également être utilisé pour simuler des processus qui ne peuvent pas être mis en œuvre dans la réalité – par exemple, parce qu’ils consommeraient trop de ressources en production», souligne Christopher Ganz, Group Service R&D Manager chez ABB.

Lorsqu’une installation est d’abord testée dans le cadre d’une simulation et optimisée sur cette base, elle permet d’économiser du temps, de l’énergie et du matériel. L’automatisation d’un processus dans le monde physique nécessite en effet l’achat de la technologie d’automatisation, son installation et sa mise en service. Avec un Digital Twin, l’automatisation devient plus rentable et plus évolutive. «Même si le client a acheté le produit et l’utilise déjà, il peut encore être optimisé. Sur la base des données d’utilisation collectées, les fonctions du logiciel sont mises à jour sur le terrain. L’optimisation peut également se faire à distance via internet», explique Timo Gessmann, Directeur du Bosch IoT Lab à l’Université de Saint-Gall.

A l’aide du machine learning, le système apprend à réagir à des écarts de mesure – même les plus infimes – et à optimiser ses processus en conséquence. Les données d’utilisation collectées par les Digital Twins fournissent aussi des informations sur la façon dont la prochaine génération de produits pourra être améliorée.

Jumeaux numériques du port de Rotterdam et du réseau routier suisse

Pour le consultant d’IBM René Stäbler, le projet du port de Rotterdam est un cas d'application emblématique du concept de jumeaux numériques. Le plus grand port commercial d’Europe ambitionne d’accueillir des navires autonomes d’ici 2025. Un objectif qui demande de mettre en place une infrastructure IoT en mesure de suivre avec une haute précision les mouvements des navires et de coordonner ces données à celles de la météo, de la topographie ou encore de la profondeur des eaux. Promettant d’optimiser l’ensemble des opérations portuaires, cette réplique numérique permettrait de réaliser des économies tout en respectant des normes de sécurité strictes.

En Suisse, un projet de Digital Twin a pour objectif d'améliorer la sécurité des automobilistes. En collaboration avec l’Office fédéral des routes (OFROU) et le Touring Club Suisse, le Bosch IoT Lab travaille sur l’élaboration d’un jumeau numérique du réseau routier suisse. L’objectif étant de proposer une application mobile servant à alerter en temps réel sur les lieux au risque d’accident élevé.

Quand la réalité augmentée entre en jeu

Les jumeaux numériques devraient pouvoir tirer profit des technologies de réalité augmentée, souligne Christopher Ganz d’ABB. Un technicien de maintenance pourra regarder une machine ou un système et toutes les données associées seront affichées directement dans le champ de vision de ses lunettes de protection, dont les valeurs de mesures prises en temps réel. Mais aussi les messages d’erreur éventuels et les instructions de réparation précises. «De cette façon, un ingénieur junior peut accéder aux connaissances existantes de ses collègues expérimentés et ainsi être guidé», explique René Stäbler d’IBM. Dans le monde d’aujourd’hui, où la génération des baby-boomers est sur le point de prendre sa retraite et où un savoir-faire important pourrait être perdu, un tel moyen de transférer rapidement des connaissances spécialisées n’est pas à négliger.

Le défi de la protection des données

Le récolte de données, via des dispositifs d’internet des objets, n’épargne pas les jumeaux numériques des problématiques de sécurité et de confidentialité. «Les Digital Twins conduisent à une optimisation des produits et des services pour le client, mais pour cela, les fabricants doivent être en mesure de collecter des données pendant le fonctionnement.

Or, certains clients, en particulier les clients professionnels, ne souhaitent pas partager leurs informations et leurs flux de travail avec le fabricant de leurs outils», fait observer le consultant d’IBM, précisant que ces aspects doivent être anticipés à l’avance de façon contractuelle. Cette problématique devient d’ailleurs d’autant plus complexe quand on sait que, selon Gartner, un tiers des entreprises ayant déployé des jumeaux numériques le font dans la plupart des cas en connexion avec diverses parties prenantes, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur d’une entreprise.

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