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Eviter que la facture cloud ne prenne l’ascenseur

Les entreprises emploient toujours davantage le cloud public, quand ce ne sont pas plusieurs clouds publics. Les environnements devenant plus grands et plus complexes, la gestion des coûts devient rapidement une priorité poussant les entreprises à agir contre les gaspillages et les inefficiences.

(Source: ultramarinfoto / iStock.com)
(Source: ultramarinfoto / iStock.com)

Thomas Dullien est un expert reconnu mondialement en cybersécurité. Voilà sept ans qu’il est basé à Zurich, depuis que Google a racheté sa société Zynamics spécialisée dans les outils de reverse engineering. La nouvelle aventure de celui qui est aussi connu sous le pseudonyme de Halvar Flake s’appelle Optimyze. Et la jeune pousse zurichoise ne fait pas dans la sécurité, elle fait dans l’optimisation des coûts cloud. «Je cherchais un domaine où je pourrais exploiter mes compétences dans l’analyse de code et avoir un impact mesurable, et qui ne pose pas les questions éthiques de la sécurité», nous confie le spécialiste via Skype. L’équipe d’Optimyze a ainsi développé un modèle d’affaires plus sain: elle analyse le code des applications des entreprises pour améliorer leur performance dans le cloud et réaliser des économies. «Nous pensons pouvoir réduire les coûts de 20%», explique Thomas Dullien, qui facture ses clients en fonction des économies obtenues.

Optimyze s’attaque à un défi rencontré par de nombreuses entreprises, parfois surprises de l’augmentation de leurs coûts cloud. Il y a quelques semaines, le média américain The Information révélait que Pinterest - une application permettant d’organiser des images glanées sur la toile - a vu sa facture AWS progresser de 41% en un an et dépasser ses estimations de 20 millions de dollars.

Des environnements qui grandissent et se complexifient

Grandes consommatrices de cloud, les entreprises digitales ne sont pas les seules concernées par le phénomène. Les organisations de tous secteurs migrent de plus en plus de workloads dans le cloud. Selon le dernier rapport de Flexera/RightScale, 91% des entreprises recourent à des services de cloud public et leurs dépenses en la matière devraient croître de 24% cette année - trois fois plus vite que pour le cloud privé. En Suisse, l’institut MSM Research estime que les PME dépenseront cette année 17% de plus pour les services cloud et managés.

L’adoption du cloud grandissant, il est somme toute normal que la facture augmente. Il faut néanmoins prendre garde aux nouvelles inefficiences naissant de la complexité elle aussi grandissante des environnements. D’après le rapport de RightScale, 84% des organisations utilisent plusieurs clouds en parallèle. Et selon Gartner, 90% des entreprises emploieront une combinaison de IaaS et de PaaS à l’horizon 2022. Cette multitude de services rend la gestion des coûts de plus en plus difficile. A cela s’ajoutent des gaspillages liés au caractère dématérialisé du cloud: acheter un nouveau serveur est plus concret que démarrer des machines virtuelles dans le cloud, et on risque moins de laisser tourner 24h/24 un serveur non-utilisé lorsqu’il est dans son datacenter. Les responsables IT sondés par RightScale estiment eux-mêmes qu’ils gaspillent 27% de leurs ressources cloud.

Priorité à l’optimisation des coûts

On comprend pourquoi, selon l’enquête de RightScale, la gouvernance et la gestion des coûts sont les premiers défis des entreprises en matière de cloud. Et pourquoi l’optimisation des dépenses est la priorité numéro un de deux tiers des organisations en 2019.

Ce besoin croissant intéresse aussi Swisscom. L’opérateur, qui a lancé il y a un an et demi son offre de services managés pour Azure et AWS, assiste déjà les entreprises en matière d’optimisation des coûts. «Nous surveillons les services qu’elles consomment et nous les avisons si de nouvelles fonctionnalités leur permettraient de réduire la facture», nous explique Roland Bieri, Head of Product House Network & Cloud chez Swisscom. «Nous leurs donnons aussi des conseils pratiques, par exemple de faire tourner leurs environnement test uniquement la journée», ajoute le responsable. L’opérateur souhaite également offrir du conseil en matière d’architecture applicative, sachant que celle-ci peut impacter les coûts, en profitant par exemple de services serverless. Au-delà de ces prestations de conseil ponctuelles, Swisscom envisage de proposer ce même type d’accompagnement dans la durée dans une optique d’amélioration continue. «Nous y voyons une opportunité. Nous réfléchissons au meilleur modèle de tarification», nous confie Roland Bieri.

Un défi qui grandit avec la maturité cloud

La problématique des coûts concerne cependant davantage certaines entreprises. «Chez beaucoup de clients, la facture de cloud public n’est pas très élevée. La question des coûts grandit lorsque la quantité et la variété des services cloud utilisés augmente», souligne Roland Bieri. Pour Guido Greber, responsable du conseil cloud pour les services financiers chez Accenture en Suisse, les entreprises ont d’autres questions à régler avant les coûts: «Il faut d’abord réfléchir au business case et aux services que l’on va utiliser».

L’enquête de RightScale l’atteste également: chez les entreprises qui débutent dans le cloud, le manque d’expertise est plus souvent un défi que la gestion des dépenses. Et la migration de nouveaux workloads est davantage une priorité que l’optimisation des coûts.

Alors que l’adoption du cloud public progresse, la question des coûts va néanmoins devenir un sujet pour de plus en plus d’entreprises. En d’autres termes, si les dépenses de cloud public ne sont pas un problème pour votre entreprise, c’est sans doute que vous n’utilisez pas encore beaucoup le cloud…

Eviter le gaspillage, exploiter les rabais, transformer les applications

Que ce soit pour aujourd’hui ou pour demain, les entreprises - et leurs prestataires - ont plusieurs moyens de réduire leur facture de cloud public. Selon l’enquête de RightScale, nombre d’entre elles mettent en œuvre des directives pour optimiser leur consommation cloud, sous forme manuelle ou (mieux) automatisée. Ces consignes ont notamment pour objet d’éviter les gaspillages (dimensionnement des instances, dates d’expiration, élimination des stockages inactifs) et d’améliorer la gouvernance (tags/étiquetage des workloads). Selon RightScale, 35% des dépenses cloud sont en effet gaspillées.

Les entreprises peuvent aussi jouer sur les horaires et régions de déploiement les plus économiques. Enfin et surtout, elles peuvent profiter des importants rabais offerts par les fournisseurs leaders sous condition de s’engager à une certaine utilisation. Près de la moitié des responsables sondés par RightScale exploitent par exemple les instances réservées d’AWS (voir ci-dessous). L’emploi de ces rabais nécessite cependant une bonne planification: prévoir trop haut c’est gaspiller, prévoir trop bas c’est la facture qui explose… «La planification financière des services cloud n’a rien à voir avec la planification habituelle. Les entreprises doivent apprendre à gérer ce nouveau modèle», souligne Guido Gerber d’Accenture.

A ces mesures permettant d’optimiser les coûts de consommation s’ajoutent celles à prendre en amont. Le simple transfert des applications - le fameux lift & shift - n’aboutit pas à des économies substantielles voire alourdit la facture. Tous les experts s’accordent sur l’importance de (re)concevoir les applications avec des architectures cloud native et des containers afin de tirer parti des multiples services proposés sur les PaaS - un sujet déjà largement abordé dans ICTjournal (Les applications cloud native décollent).

Un modèle avéré mais pas si simple

Un responsable IT contacté par notre rédaction s’est inquiété qu’un article sur les coûts du cloud n’envoie un mauvais message alors que tant d’entreprises s’attellent justement à y migrer davantage de workloads. Il n’en est rien. Les atouts du cloud sont nombreux et avérés: flexibilité, scalability, accès à des innovations, délestage de certaines opérations non-stratégiques, transformation des frais d’investissement en charges d’exploitation, … ET économies. Mais, pour délivrer tout ses bénéfices, l’informatique dans le cloud nécessite de repenser les systèmes et leur gestion: c’est un nouveau métier.

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