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Frédéric Wohlwend, Merck: «Il est crucial de savoir retirer la prise des applications devenues superflues»

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par Interview: Rodolphe Koller (parue dans ICTjournal en février 2010)

Frédéric Wohlwend a été nommé CIO de Merck. Fin 2009, alors qu'il dirigeait l'IT de la division pharma de la société, il avait expliqué à notre rédaction comment le groupe allemand était parvenu à intégrer rapidement les systèmes de Serono et, plus généralement, les facteurs contribuant à la flexibilité de l’IT.

Frédéric Wohlwend, CIO de Merck
Frédéric Wohlwend, CIO de Merck

Serono a été reprise fin 2006 par le groupe Merck. Quel a été l’impact de ce rachat sur l’informatique de la société?

Avant l’acquisition, le groupe Merck comptait environ 30 000 employés. Il était actif dans la chimie et dans la pharma. Peu après l’acquisition de Serono, Merck a cédé son activité de médicaments génériques. L’enjeu, au niveau informatique notamment, était donc en même temps d’intégrer Serono, soit une division de 5000 collaborateurs, et d’en éliminer une autre de même taille. En deux ans, nous avons réussi à intégrer 80 % des systèmes, sachant que la plupart d’entre eux, par exemple l’ERP, devaient être partagés au niveau du groupe. Serono jouissait déjà de systèmes très standardisés alors que ceux de Merck étaient très fragmentés.

Quels facteurs ont permis une intégration si rapide?

Il y a plusieurs éléments. En premier lieu, l’IT a été réorganisée et sa stratégie établie très rapidement en l’espace de quelques mois. Ensuite, nous avons identifié très vite quels étaient les processus métiers à harmoniser comme la manière dont on fait des études cliniques, des enregistrements, la production. Ces décisions effectuées en amont au niveau de la direction ont permis en quelque sorte d’utiliser l’informatique comme moteur de standardisation des divers métiers. Je pense par ailleurs que nous avons très bien planifié les investissements requis pour cette intégration. Une intégration cela coûte toujours très cher. À l’automne 2007, nous disposions d’une roadmap approuvée par la direction avec le choix des applicatifs et tout le plan stratégique y compris les investissements. Dès lors, bien sûr, la plus grande difficulté était d’exécuter ce plan. Il fallait par exemple refaire toute la couche applicative, ce qui signifie mener une quarantaine de gros projets en parallèle qui ont des impacts majeurs. Notre succès doit beaucoup au fait que nous avons été efficaces dans cette exécution. En outre, nous avons bien réussi à décommissionner des applications. Avec autant de nouveaux applicatifs, vous ajoutez de la complexité et il est donc crucial de savoir retirer la prise de celles qui sont superflues.

Quelles sont les spécificités économiques du secteur biotech et comment affectent-elles l’informatique d’une société comme Merck Serono?

La nature de notre portefeuille de médicaments fait que nous sommes moins touchés par la crise que d’autres acteurs du secteur pharmaceutique. En ce qui nous concerne, nous sommes actifs dans des marchés de niche avec des médicaments prescrits par les médecins spécialistes, qui sont généralement remboursés par les assurances et où les besoins thérapeutiques demeurent importants. Par contre, indirectement, nous pouvons aussi ressentir la récession si les gouvernements décident de prendre des mesures pour réduire les coûts de la santé. Par exemple si les autorités sanitaires décident de ne plus rembourser certains traitements.
Ensuite, de façon plus générale, il existe une certaine incertitude inhérente aux activités de recherche et développement. Nous investissons des montants considérables, mais il n’y a aucune garantie que cela débouche sur le lancement d’un nouveau médicament. De plus, si les autorités sanitaires exigent des tests complémentaires, les projections peuvent changer énormément. Cette incertitude exige que l’informatique soit extrêmement agile et flexible, à tous les niveaux.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement au niveau de votre organisation?

Il ne s’agit pas d’être flexible pour être flexible, mais de répondre aux besoins changeants du business. Ces deux dernières années nous avons mis en place une structure, avec des account managers dédiés à chacun des différents métiers, qui nous permet d’identifier assez tôt les changements du business et de faire un véritable suivi de la relation avec les clients internes. Outre la structure, un deuxième élément clé pour offrir cette agilité est l’orientation service de l’organisation. Nous complétons actuellement l’organisation actuelle avec une structure de services, comme si nous étions un prestataire externe. Ainsi, lorsque le business vient avec une nouvelle demande, nous pouvons faire appel à des processus horizontaux au sein de l’IT pour fournir ou adapter le service demandé. Cette organisation matricielle nous permet d’établir des niveaux de service et des indicateurs de performance, et de les communiquer aux métiers.
Sans une telle organisation, nous ne pourrions pas être flexibles. Nous allons par exemple investir plus de 150 millions d’euros pour créer un centre de recherche en Chine. Qu’est-ce que cela signifie pour l’informatique? Ce n’est pas seulement un projet, nous devons aussi adapter nos services et évaluer leur coût. Pour y parvenir, il faut non seulement que l’IT ait une vue interne de ses coûts, mais qu’elle soit capable de les exprimer sous forme de services et non pas sous forme de salaires, de contrats ou de fonctions. Il faut être structuré comme une entreprise. Pour moi, une bonne organisation IT est celle dont on pourrait faire une spin-off pour la lancer sur le marché. Si par exemple une unité d’affaires me dit qu’elle aura 15 collaborateurs de moins l’année prochaine, je dois pouvoir lui dire ce qu’elle économisera au niveau de l’informatique. Dès lors, les métiers sont en mesure de décider s’ils continuent d’investir dans tel ou tel domaine de l’IT.

Vous avez cependant des coûts fixes, comme les salaires, que vous ne pouvez pas éliminer d’un jour à l’autre…

C’est toute la difficulté. Si vous avez une perte de business trop importante, vous devez faire un downsizing. En général, nous arrivons avec suffisamment d’innovations pour compenser les services et applicatifs qui sont interrompus. Nous n’avons cessé d’innover et de proposer de nouveaux projets qui apportent de la valeur au business.
Par ailleurs, la flexibilité doit être là dans les deux sens. Si les conditions business changent, nous devons tout aussi bien être en mesure d’augmenter que de réduire la voilure.

Cela passe-t-il par l’appel à des partenaires externes?

Exactement. Je suis convaincu que le sourcing intelligent est capital pour avoir de la flexibilité, tout autant que l’organisation interne, sinon vous êtes bloqué. Nous ne faisons par exemple aucun développement en interne, parce que c’est un besoin ponctuel. Ce qui est stratégique c’est la gestion et la gouvernance du projet pour délivrer dans les temps et les budgets. Pour le reste, j’ai des SLA avec des partenaires externes qui sont payés en fonction du résultat. Nous ne pratiquons cependant pas un sourcing massif, parce que si vous allez trop loin en signant des contrats pluriannuels avec des grands prestataires, vous êtes à nouveau paralysé. Tous mes contrats avec des entreprises externes me permettent d’en sortir dans les trois mois. Si le partenaire n’est pas bon ou que le business me demande de réduire les coûts, je dois être capable de bouger. Bien entendu, cette agilité a un coût et nous n’économisons pas autant que des entreprises qui sous-traitent massivement afin de réduire leurs dépenses.

Hormis l’organisation interne et l’externalisation, quelles sont les choix technologiques qui contribuent à la flexibilité de votre informatique?

Nous choisissons toujours des technologies qui sont des standards du marché et qui ont fait leur preuve. Cela tient entre autres au fait que nous sommes dans une industrie très réglementée où les efforts de validation sont conséquents. Au niveau des commodités, par exemple l’ERP, nous utilisons des solutions standards. Par contre, pour les domaines qui contribuent à créer des avantages compétitifs, comme les applications pharma, nous veillons à choisir le meilleur logiciel et le plus adapté à notre activité – bien souvent il n’y en a qu’un. Dans les couches plus basses de l’infrastructure, nous nous efforçons de rationnaliser et de limiter le nombre de technologies utilisées.

Comment répartissez-vous votre budget entre l’innovation et les coûts récurrents?

Etant donné la dynamique de notre secteur, les budgets informatiques ne peuvent pas être les mêmes d’année en année. Nous avons donc une approche budget zéro où nous challengeons chaque fois l’entier des dépenses. Les coûts récurrents ont naturellement tendance à augmenter du fait des innovations que nous avons amenées, ce qui nous stimule à supprimer certains services et applicatifs en négociant avec les métiers, afin de libérer des fonds pour l’innovation. Ensuite nous faisons en quelque sorte notre vente en interne en allant trouver les métiers pour leur proposer proactivement de nouveaux projets et services innovants. Avec cette stratégie, nous arrivons à maintenir un ratio d’environ 25% du budget attribué à l’innovation.

Quelle est l’importance de cette vente de projets aux métiers ?

C’est une compétence capitale pour que l’organisation IT se maintienne dans les meilleures conditions. Cela tient à deux phénomènes. D’abord, les métiers sont toujours insatisfaits. Ensuite, le risque est  de contenter la direction en se concentrant sur la réduction des coûts au détriment de l’innovation. Or, si l’informatique n’innove pas, mieux vaut l’outsourcer. Il est donc essentiel d’avoir une relation commerciale avec les métiers et de recharger les coûts des services au business. C’est une approche bien meilleure que celle des calculs complexes de retour sur investissement. Il est donc essentiel de développer des compétences pour être à même de faire un véritable marketing interne, de vendre des projets, de communiquer leur valeur, de montrer les bénéfices de ce qui a été fait.

Ne courez-vous pas le risque de ne faire des projets que pour les départements les plus «acheteurs»?

En effet, et c’est là que la gouvernance IT a un rôle à jouer. Dans ma fonction, je rapporte non seulement au CIO de Merck, mais aussi au Président de la division Merck Serono, et j’ai besoin de ce lien pour assurer une certaine équité entre les unités d’affaires. Ensuite, il faut une bonne gouvernance, c’est-à-dire que tous les projets sont approuvés par un board composé du senior management IT et business. Cela permet d’avoir une approche beaucoup plus stratégique et innovante et non pas focalisée uniquement sur les coûts. Nous avons par exemple développé ces derniers temps de nombreux projets dans le domaine de la recherche et nous avons pu discuter avec le board des besoins dans d’autres métiers tels que la production ou le marketing. En somme, la stratégie d’investissements IT dépend de la stratégie business du groupe, mais après c’est notre rôle d’aller la concrétiser en proposant des innovations aux divers métiers.

Quels sont vos principaux projets pour 2010?

En premier lieu, le passage d’Oracle à SAP, qui est déjà en cours et sur lequel les autres couches reposent. Ensuite, tout ce qui concerne l’harmonisation des applicatifs métiers qui est achevée à 80%. Troisième pilier, beaucoup plus stratégique, celui de faire évoluer le rôle et les compétences de l’IT pour aller beaucoup plus près des besoins métiers dans le domaine de la gestion de l’information, avec une meilleure exploitation des données et de la business intelligence. C’est extrêmement important, car cela touche véritablement aux avantages compétitifs de la société. Il faut aider les décideurs avec des outils de simulation et d’aide à la décision. Enfin, un autre domaine qui se développe, c’est le social computing, en particulier dans le domaine du marketing et de l’information aux patients.

 

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