Yannick Hauser, Centre Patronal: «Une fois que les employés voient les bénéfices de l’IA, l’acceptation suit»
Après le rachat de Trianon, le Centre Patronal engage une refonte profonde de ses systèmes et de son organisation informatique. Chief Digital & Information Officer de l’institution, Yannick Hauser décrit les priorités, les défis techniques et les expérimentations en cours autour de l’IA.
Pouvez-vous brièvement nous rappeler le rôle du Centre Patronal et votre fonction?
Je suis Chief Digital & Information Officer au Centre Patronal, une institution privée au service des entreprises. Le Centre Patronal propose des services dans le domaine de la prévoyance professionnelle (2ème pilier), gère une caisse AVS (1er pilier) et d’allocations familiales, un service juridique et propose toute une palette de formations continues avec la marque Romandie Formation. La DSI regroupe une quarantaine de personnes. Nous développons des applications principalement destinées à améliorer l’expérience digitale avec nos clients et assurons l’exploitation ainsi que la sécurité de notre infrastructure.
Le rachat de Trianon par le Centre Patronal a été officialisé récemment. Quel est son objectif et quelles sont les implications pour la DSI?
Trianon, qui appartenait au groupe Mobilière, est spécialisé dans la gestion de la prévoyance professionnelle. Cette entité emploie environ 250 collaborateurs répartis entre Nyon, Zurich et Berne, et opère une plateforme multiservices qui intègre la gestion de fonds de prévoyance, des salaires et des absences pour maladie ou accident. Cette acquisition nous permet d’élargir notre portefeuille client: là où nous étions plutôt centrés sur les indépendants et les PME, Trianon adresse des entreprises de taille plus importante. Sur le plan IT, c’est un projet d’envergure, prévu sur un an et demi. Il comprend l’intégration de deux équipes ainsi que l’unification des systèmes, des infrastructures et des portails B2B et B2C. L’objectif est de créer une DSI commune, fondée sur un modèle opérationnel hybride, tirant parti des forces respectives des deux organisations.
Comment se traduit concrètement la réorganisation de la DSI et l’intégration des infrastructures dans le cadre de la fusion avec Trianon?
Nous avons lancé le projet «Nova» pour définir un nouveau modèle opérationnel commun. La première étape consiste à analyser les compétences, les méthodes et les structures des deux équipes, chacune composée d’environ 40 personnes. Trianon fonctionne en équipes agiles avec une infrastructure DevOps déjà bien en place, tandis que notre organisation combine approche produit et gestion de projets plus classique. L’objectif est d’adopter un modèle hybride, en conservant une approche agile là où elle est pertinente, sans l’imposer partout. Sur le plan technique, la fusion implique également le rapatriement de l’infrastructure IT de Trianon, aujourd’hui externalisée chez Mobilière. Cela comprend la migration du stack applicatif, la gestion des authentifications, l’harmonisation des pipelines de développement.
Menez-vous actuellement des projets en lien avec l’intelligence artificielle, notamment dans ses usages les plus récents?
Oui. Nous avons déjà des projets avancés. Le premier projet concerne la génération automatisée de procès-verbaux pour nos secrétaires patronaux, qui assistent à de nombreuses réunions. Avec la société Novatix, nous avons développé une plateforme SaaS combinant transcription audio, génération de texte et interface web. L’outil permet de produire un PV structuré, ajustable selon les besoins, avec des fonctions de reformulation ciblée. Le second projet, que nous développons avec la société Deeplink, intègre davantage une logique agentique. Il s’agit d’un assistant pour nos gestionnaires AVS, confrontés à des questions récurrentes de clients. Un chatbot interne, alimenté par un corpus documentaire, propose des réponses, ou déclenche si besoin un enchaînement automatisé: formulaire dynamique, génération d’un rapport explicatif et préparation d’un mail de réponse.
Ce projet est-il déjà en production?
Il est encore en phase de test, mais une mise en production est envisagée début 2026. Nous avons commencé avec un petit groupe d’utilisateurs, en mode itératif, afin d’ajuster les fonctionnalités selon les retours du terrain. L’idée est de proposer ensuite ce service également à nos clients externes, via un portail ou notre site.
Sauf erreur, vous avez recours depuis plusieurs années à des outils RPA. Envisagez-vous de les faire évoluer à l’aide de capacités d’IA agentique?
C’est juste, nous utilisons la RPA depuis plusieurs années. Aujourd’hui, une vingtaine de robots sont en production pour automatiser des tâches dans quasiment tous nos services. Sur l’année cela représente l’équivalent de 10 FTE, c’est un bon résultat et cela permet surtout à nos gestionnaires de passer plus de temps à traiter des cas complexes avec nos clients. Mais la RPA reste une technologie assez rigide, pour chaque changement dans un processus, il faut reconfigurer le robot, ce qui nécessite une supervision constante. Environ 1,5 équivalent temps plein se consacre à l’exploitation et à la maintenance de ces automatisations. Nous explorons effectivement des solutions d’IA agentique pour ajouter une couche d’intelligence et de flexibilité à ces processus automatisés. L’idée serait de passer d’une automatisation linéaire et scriptée à des agents capables de s’adapter et d’enchaîner plusieurs actions en fonction du contexte, ce qui ouvre des perspectives intéressantes.
Comment vos équipes métiers réagissent à l’arrivée de ces technologies?
Il peut y avoir des réticences au départ. Mais comme pour nos robots RPA, une fois que les collaborateurs voient les bénéfices concrets, l’acceptation suit. Le chatbot pour les gestionnaires AVS, par exemple, a été bien accueilli, car il allège leur charge et fluidifie les échanges.
Comment gérez-vous les risques liés aux hallucinations des LLM?
Avant la mise en production de notre premier chatbot pour notre site Internet, nous avons effectué un grand travail de perfectionnement du bot. Une phase de plusieurs mois de fine tuning a été nécessaire pour obtenir des réponses de qualité. Le défi a été à la fois de récupérer des informations dynamiques de notre site Web Romandie Formation et d’intégrer une technologie RAG pour des informations plus statiques. Cela demande une vraie ingénierie documentaire et un pilotage fin du corpus que nous avons réalisé également avec la société Deeplink.
Quels ont été les principaux défis techniques sur ces projets?
L’un des enjeux était le rythme des mises à jour du site. Les cours changent souvent. Nous avons dû ajuster la fréquence du scraping et limiter les modifications trop fréquentes. Ce sont des problèmes concrets qui émergent surtout lors de la phase de déploiement.
Comment encadrez-vous l’usage des IA génératives comme ChatGPT en interne?
Nous avons adopté une approche pragmatique et multiple. Premièrement, tous les employés du Centre Patronal ont suivi une formation de base sur l’IA et l’utilisation des IAG. Celle-ci intégrait des cas d’usage réels par exemple comment écrire un prompt ou comment faire un résumé d’un mail. Nous avons également proposé à travers notre plateforme de e-learning une capsule spécifique à l’IA puis pour compléter ce dispositif nous avons édicté une charte IA. A ce jour l’usage de la version gratuite de ChatGPT est autorisé pour des tâches ne manipulant pas de données sensibles. Pour des besoins plus avancés, nous avons souscrit des licences pro, gérées par la DSI. Nous avons aussi autorisé selon les services d’autres outils d’IAG comme Midjourney pour le Marketing par exemple. Ces outils évoluant très rapidement, nous gardons un œil sur ces évolutions et nous adapterons l’offre en fonction des besoins.