«Il faut trouver un équilibre entre les avantages et les inconvénients du fédéralisme»
La Confédération travaille à son nouveau plan stratégique TIC pour la période 2012-2015. Notre rédaction a rencontré Peter Fischer, Délégué à la stratégie informatique de la Confédération, qui nous explique ce processus et revient sur le développement de la cyberadministration dans le pays.

Vous avez pris votre fonction de délégué à la stratégie informatique de la Confédération peu après l’élaboration du plan stratégique 2007 – 2011. Comment jugez-vous les résultats accomplis durant la période?
Je pense qu’on a atteint une bonne partie de nos objectifs, quoique de manière inégale. Dans le domaine de la cyberadministration en particulier, on a fait de grands progrès et la Confédération y a contribué. Dans le contexte du recensement national par exemple, qui a eu lieu en début d’année, nous avons mis en place des infrastructures de base, qui s’avèrent utiles dans beaucoup d’autres projets et à d’autres échelons. Ainsi par exemple, l’harmonisation des registres ou encore la plateforme Cedex, qui permet l’échange de données sécurisé, apportent d’énormes avantages, y compris pour les cantons et les communes. C’est un peu la philosophie du programme de cyberadministration, que de profiter d’un projet pour concevoir et bâtir des éléments utilisables de manière plus générale.
L’avancée de la cyberadministration est-elle tributaire des investissements de la Confédération?
Nous avons plusieurs rôles. Une de nos fonctions est de contribuer à la conception architecturale des nouveaux services pour qu’ils soient réutilisables. Une autre fonction est de coordonner les projets et de chercher des synergies. Une troisième fonction est de servir de facilitateur en participant au financement de projets dans le contexte de la Confédération. L’argent joue évidemment toujours un grand rôle, ne serait-ce qu’au moment d’évaluer le business case d’une application ou d’un service en ligne. Il peut aussi aider à faire avancer les choses.
Quel est l’impact du fédéralisme sur le développement de la cyberadministration?
Le fédéralisme a pour effet que beaucoup d’acteurs sont impliqués. C’est un avantage en terme d’innovation, parce qu’il y a une certaine concurrence au niveau de l’ampleur et de la qualité des services offerts. Mais cela peut aussi entraver la vitesse de l’ensemble, conduire à une fragmentation et engendrer des dépenses plus élevées, lorsqu’il serait préférable de développer une infrastructure une seule fois et de partager les coûts. Il s’agit donc de trouver un équilibre entre les avantages et les inconvénients du fédéralisme – c’est un effort constant. L’harmonisation des registres, par exemple, a été imposée par la Confédération et a entraîné de lourdes charges pour les cantons. Au final, la plupart d’entre eux sont toutefois très satisfaits d’en voir les fruits, y compris pour d’autres projets. Mais les choses sont parfois plus difficiles, comme dans le domaine des arrivées et départs et des changements d’adresse auprès du contrôle des habitants. Nous avons ici affaire à 2750 communes et aucune d’entre elles n’a a priori intérêt à mettre en place un projet pour toute la Suisse. Dans cette initiative, l’argent de la Confédération a permis au projet de faire un grand pas et il faudra sans doute un soutien supplémentaire pou atteindre les objectifs du projet.
La Suisse est relativement mal classée en termes de développement de sa cyberadministration dans les études internationales…
Cela mérite plusieurs observations. En premier lieu, la Suisse s’est énormément améliorée ces deux dernières années, selon les comparatifs de l’Union européenne. Depuis que cette étude existe, nous étions toujours en queue de classement. La dernière version du classement, qui date de l’automne 2010, montre cependant que la Suisse a fortement progressé et a pratiquement atteint la moyenne. Naturellement, notre but ultime n’est pas d’être dans la moyenne et il y a donc encore des progrès à faire. Deuxièmement, même s’il y a apparemment diverses études sur le sujet, elles exploitent en fin de compte toute la même source, à savoir le benchmark l’UE. Cette étude évalue une vingtaine de prestations administratives définies, en regardant si elles sont accessibles en ligne et quel est leur degré de sophistication. Or, en Suisse, plusieurs parmi ces 20 services ne sont pas du ressort de l’Etat et ne concernent donc pas la cyberadministration. De plus, la plupart des services analysés sont fournis par les cantons et les communes, de sorte que l’évaluation dépend fortement de celui ou celle qui est choisie et analysée. En troisième lieu, ce benchmark contredit parfois les résultats d’autres études centrées sur la satisfaction des clients de services de l'administration où la Suisse sort en tête. On touche ici à la question de la qualité. Grâce au fédéralisme, les administrations sont très proches des citoyens et donc naturellement contraintes de fournir des services de qualité, sans quoi elles sont sanctionnées par les administrés-électeurs. Il est clair que les nouvelles générations demandent que les services soient disponibles en ligne à n’importe quel moment, mais il ne faut pas faire un dogme du numérique. L’informatique n’est jamais un but en soi.
Beaucoup de petites communes n’ont ni les moyens ni les compétences pour déployer des services en ligne. Quelle solution voyez-vous à ce problème?
Les communes connaissent des réalités différentes selon leur taille. Les grandes villes font souvent office de moteur en matière de cyberadministration. Quant aux plus petites communes, elles n’ont d’autre choix que de travailler ensemble et elles ont besoin du soutien des cantons. Dans cette optique, plusieurs cantons ont d’ailleurs lancé des initiattives de collaboration avec leurs communes, par exemple en instaurant des shared services centers. Les fournisseurs IT privés jouent aussi un rôle positif en développant des solutions standardisées destinées aux communes. Et l’association eCH - une coopération entre confédération, cantons, communes, économie privée et hautes écoles - fournit les standards nécessaires.
Dans le cadre des mesures de stabilisation conjoncturelle, 25 millions de francs sont allés au développement de «l’espace économique électronique». Comment ce montant a-t-il été dépensé?
21 millions de francs ont été consacrés par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) au de la SuisseID, un projet qui intéresse à la fois la cyberéconomie et la cyberadministration. La majorité de cet argent a servi à subventionner la distribution des certificats afin de briser le problème de son attractivité – plus l’identité numérique est répandue, plus elle a d'applications et vice versa. Le reste a été investi pour encourager le développement d’applications et de services exploitant la SuisseID, un autre élément essentiel à son adoption. Nous avons pour notre part consacré 4 millions de francs à des projets de cyberadministration prioritaires. Nous avons privilégié des projets ralentis ou bloqués par manque de financement et pour lesquels un investissement permettait de franchir un cap.
Où en est le nouveau plan stratégique IT de la Confédération?
Nous examinons et élaborons actuellement le plan stratégique de la Confédération pour la période 2012 – 2015, donc pour la prochaine législature. Nous avons mis en place un processus participatif avec les départements et les offices, afin d’impliquer l’aspect métier dans la stratégie. D’ici la fin de l'année, on devrait pouvoir proposer une nouvelle stratégie TIC au Conseil fédéral.
Quels sont les changements importants aux niveaux des besoins et des technologies?
Tout d’abord la prise de conscience des responsables métier de la Confédération du fait que l’informatique n’est pas seulement un facteur de coût voire de risque, mais une opportunité pour atteindre des objectifs politiques. Dès lors, il importe que les responsables IT et les responsables métier soient en mesure de communiquer efficacement entre eux, qu’ils soient alignés. Ensuite, inévitablement l’aspect économique avec la recherche constante de synergies de manière à réduire les dépenses et, naturellement la sécurité. Au niveau technologique, on doit bien entendu tenir compte de l’essor du cloud computing dans notre réflexion stratégique. Et, dans le même contexte, il y a lieu d'examiner la stratégie de sourcing et de développement des centres de calcul de la Confédération. Enfin, l’emploi de solutions standardisées utilisables par tous, lorsque c’est possible.
Le modèle cloud avec une infrastructure partagée facturée à l’usage semble particulièrement adapté aux besoins de l’administration…
Nous avons effectivement initié une réflexion pour une stratégie cloud pour les administrations publiques qui dépasse le cadre de la seule Confédération, avec des partenaires privés ou semi-privés. Il s'agira peut-être à l'avenir de gérer un environnement optimisé mêlant clouds publics et privés et infrastructures propres. Certaines administrations emploient d’ores et déjà avec succès des solutions hébergées adaptées à leurs besoins. Mais, en ce qui concerne les données et applications sensibles, les services publics sont pour l’heure assez réfractaires à les voir se déplacer vers un cloud public. Faut-il dès lors déployer un cloud privé pour l’ensemble des administrations publiques? Un tel cloud doit-il être opéré par le secteur public ou en collaboration avec des acteurs privés? Ce sont des questions que nous nous posons.
La part d’infrastructure centralisée pourrait donc augmenter…
En effet, c’est une tendance générale qui s’applique aussi au secteur public. Il ne s’agit pas forcément de quelque chose que nous allons imposer. Tôt ou tard, tout ce qui peut être standardisé se trouve réuni dans un shared service. Idem en ce qui concerne les centres de calcul; je pense que l’on arrivera à une certaine concentration. D’autant plus que l’informatisation de l’administration n’est pas terminée et que les besoins augmentent aux niveaux de la rapidité des applications et des volumes de données.
Plus généralement, votre nouvelle stratégie va-t-elle repenser en profondeur la part d’outsourcing à la Confédération?
Dans le cadre de l’élaboration du nouveau plan stratégique, nous travaillons aussi sur les stratégies de sourcing. Notre réflexion va dans plusieurs directions: doit-on chercher à outsourcer ce que l’on ne peut pas faire à l’interne ou doit-on outsourcer tout ce qui peut l’être à l’exception de ce qui doit impérativement rester à l’interne? C’est une saine réflexion, qui touche à la fois à des aspects économiques et à des aspects politiques, tels que la manière dont les ressources internes doivent être déployées en priorité.
Vous avez participé à la conférence sur l’open government data fin juin. Que pensez-vous de ce mouvement?
De façon générale, la transparence des administrations est déjà largement couverte avec les lois existantes. L’open government data y ajoute une dimension en permettant de réutiliser les données collectées par les administrations publiques, à des fins économiques ou de participation démocratique. Il y a déjà toute une tradition dans ce sens dans les domaines des données statistiques, géographiques et météorologiques. L’extension de cet accès à d’autres domaines et l'établissement d'interfaces techniques ouvertes peuvent contribuer à l'innovation et à la transparence. Mais ils peuvent également soulever plusieurs questions, notamment lorsque la combinaison de données anodines permettrait de faire du profilage. C’est d’ailleurs à juste titre une préoccupation du préposé à la protection des données. Cette ouverture nécessite donc un débat politique et je suis heureux qu’il soit lancé. Nous avons d'ailleurs aussi fait de l’Open Government le sujet du symposium national eGovernment du 15 novembre prochain à Berne.
Bio Express
Peter Fischer obtient une licence en droit à l'Université de Genève en 1984 et un brevet d'avocat à la Cour suprême du canton de Berne en 1986. Il occupe ensuite pendant cinq ans le poste de collaborateur personnel du secrétaire général du Département fédéral des transports, des communications et de l'énergie avant de devenir sous-directeur de l'Office fédéral de la communication. En 1994, en tant que directeur suppléant et de chef de la division de la télécommunication, il prépare la libéralisation du marché des télécommunications en Suisse. Il a élabore également la stratégie du Conseil fédéral concernant la société de l'information en Suisse, dans le cadre de laquelle a été conçue la stratégie en matière de cyberadministration.
Depuis le 1er mai 2007, Peter Fischer dirige l'Unité de stratégie informatique de la Confédération (USIC). Parallèlement à l'activité professionnelle qu'il exerce dans l'administration fédérale, il a été chargé de cours à l'Université de Fribourg de 1999 à 2007.
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