Les spécialistes IT dans l’engrenage du recrutement automatique
Le secteur IT déplore fréquemment la pénurie de talents sur le marché suisse, tout en vantant les mérites du recrutement électronique. Toutefois, avec des correspondances trop exigeantes, des portails peu conviviaux ou un processus de sélection mal géré, la contre-productivité guette.
Depuis plusieurs années, le marché de l’emploi dans le secteur IT en Suisse est tendu. Dans une récente enquête réalisée par le portail de recherche d’emploi Monster.ch auprès des 500 plus grandes entreprises de Suisse, la pénurie de talents arrive d’ailleurs en tête des préoccupations des recruteurs. Ceux-ci estiment en effet que plus du tiers des postes qui s’ouvriront ces 12 prochains mois seront difficiles à repourvoir – un chiffre en augmentation de 8,5% par rapport à 2010.
Selon le secrétariat d’Etat à l’éducation et à la recherche (SER), le taux de vacance dans le domaine MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique) serait actuellement de 8,5%, avec une tendance à la hausse. Dans les faits, les chiffres de Jobs.ch, leader sur le marché de la recherche d’emploi, corroborent cette tendance. En effet, dans pratiquement toutes les catégories, le nombre d’annonces a fortement augmenté entre juin 2010 et mars 2011, passant au total de 789 à 1262.
65% des postes repourvus via le web
De plus en plus souvent, les postes vacants sont repourvus par le biais d’internet et non plus par le biais des canaux traditionnels comme la presse papier et les cabinets de recrutement spécialisés. Ainsi, selon l’étude réalisée par Monster.ch début mai, environ un tiers des postes ouverts sont actuellement repourvus grâce à des portails d’emplois génériques, comme Monster.ch, Jobs.ch, jobup.ch ou encore experteer.ch, alors qu’un autre tiers des postes vacants sont publiés directement sur les sites des entreprises concernées.
Le plus souvent, les entreprises vantent les mérites du recrutement en ligne, qui permettrait un traitement plus rapide et moins coûteux d’un nombre de candidatures en constante augmentation. En investissant dans des portails de recrutement, elles espèrent pouvoir se passer des services onéreux des chasseurs de tête et autres cabinets de recrutement. Ainsi, plusieurs conseillers en personnel interrogés par notre rédaction alémanique admettent être de plus en plus dépendants des PME, les grandes entreprises faisant de moins en moins appel à leurs services. Petra Ewald, cheffe du personnel chez Swisscom IT Services (SITS) confirme d’ailleurs ce constat, en indiquant que SITS ne fait appel à des cabinets spécialisés que lorsqu’elle doit repourvoir un poste de top management ou de spécialiste très pointu. «A part cela, tous nos postes ouverts sont publiés et repourvus via internet». Un jugement que nuance toutefois Christophe Andreae, partenaire au sein du cabinet de recrutement JRMC : «Je ne pense pas que notre métier soit véritablement menacé, pour autant que nous soyons toujours à même d’innover afin d’apporter à nos clients une valeur ajoutée. Celle-ci consiste notamment en l’accès que nous avons au marché gris de candidats qui ne sont pas activement en recherche de poste – un réseau qu’il est très difficile pour une entreprise d’entretenir elle-même».
Néanmoins, même si les entreprises louent le potentiel du recrutement en ligne, elles se plaignent régulièrement des difficultés éprouvées à repourvoir les postes IT ouverts – des difficultés dues uniquement à l’actuelle compétitivité du marché ou également à des facteurs internes?
Entreprises sous le feu des critiques
Selon les recruteurs externes interrogés, une partie des difficultés recensées provient de facteurs internes et humains: processus de recrutement trop longs, responsables du personnel qui ne répondent que sommairement aux questions des conseillers en personnel ou des candidats, ou encore chefs de département trop peu disponibles.
Pourtant dans un marché tendu, ce genre de dysfonctionnement est fortement préjudiciable. En effet, laisser échapper un talent signifie très souvent qu’il sera très difficile de lui trouver un remplaçant à compétences égales. «Les processus de recrutement durent très souvent – surtout dans les grandes entreprises – trop longtemps. Le marché est devenu beaucoup plus réactif, et lorsqu’un candidat talentueux est sur le marché, l’entreprise devrait être capable de réagir très rapidement», note Beat Löffel, partenaire du cabinet de recrutement Promino. Dans ce marché dynamique et compétitif, les candidats sont en position de force, et l’entreprise se doit donc de faire preuve de rapidité et d’efficacité pour s’attirer les meilleurs talents.
Plateformes électroniques peu conviviales
Au-delà des déficiences humaines, un autre problème fréquemment soulevé est celui de la rigidité et du manque de convivialité des plateformes de recrutement en ligne.
Ainsi, un récent rapport de Potentialpark, institut de recherche spécialisé dans le recrutement en ligne, note qu’il est «souvent bien plus facile de réserver un vol intercontinental en ligne que de soumettre son CV à un employeur potentiel». «Plus les jeunes diplômés déposent de candidatures, moins ils apprécient ce fonctionnement automatisé», poursuit le rapport. En effet, le plus souvent ces portails sont si techniques et complexes qu’ils laissent aux candidats l’impression – à tort ou à raison – que leur candidature ne parviendra jamais jusqu’à un recruteur, mais sera filtrée et classée automatiquement. A la suite d’un audit réalisé auprès de différentes entreprises, Potentialpark estime néanmoins qu’il n’y a pas, intrinsèquement, de bons ou de mauvais outils: «Dans le classement que nous avons effectué, les solutions technologiques – comme Taleo, SAP ou Kenexa – déployées par la majorité des employeurs obtiennent toutes parfois de très bonnes et parfois de très mauvaises notes. Cela démontre que la convivialité d’un portail de candidatures en ligne dépend bien plus de la manière dont l’entreprise le développe et l’intègre sur son site internet que de la solution technologique sous-jacente». Christophe Andreae souligne pour sa part l’importance pour les entreprises de bien gérer les filtres informatiques mis en place (lire son interview en lien).
Corolaire de ces plateformes parfois rigides et peu conviviales, le risque que la perle rare ne franchisse pas la barrière des filtres automatiques ne doit pas être sous-estimé. En effet, les entreprises exigent une correspondance toujours plus grande entre le profil du poste et celui du candidat – fréquemment de 95% ou plus. Cela signifie que les candidats aux parcours moins linéaire, souvent des professionnels plus expérimentés ayant développé des compétences spécifiques au sein de leur emploi plutôt qu’en suivant un parcours académique, sont fortement désavantagés. Ainsi, ces chercheurs d’emploi ont souvent la vie dure face aux jeunes spécialistes bénéficiant d’un bachelor ou d’un master et d’une première expérience professionnelle, et dont le profil correspond plus exactement, sur papier (électronique), aux exigences stipulées pour le poste mis en ligne. Or les entreprises auraient tout intérêt à considérer des profils plus variés, même si les correspondances automatiques sont moindres. En effet, les candidats plus seniors amènent des expériences précieuses et se révèlent dans la grande majorité des cas des collaborateurs fidèles. Un potentiel trop souvent sous-exploité par les entreprises.
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