Réponse à la motion

Le gouvernement bernois maintient sa position sur le système Epic (update)

par René Jaun et traduction/adaptation ICTjournal

Dans le cadre d’une révision législative, le canton de Berne souhaite lancer une plateforme numérique de santé pour ses hôpitaux. L’Association pour la santé numérique (ASND) met en garde contre une obligation d’utiliser le système Epic et plaide en faveur d’un changement de cap, tandis que le Conseil d’Etatbernois continue de considérer la compatibilité avec Epic comme un élément central.

(Source: Polina Tankilevitch/Pexels)
(Source: Polina Tankilevitch/Pexels)

Mise à jour du 12 novembre 2025: La plateforme numérique de santé du canton de Berne n’a pas encore été définitivement approuvée. Mais si elle voit le jour, le système d’information clinique Epic y jouera un rôle central. C’est du moins ce qu’affirme le Conseil d’Etat bernois dans ses réponses à une motion et à une interpellation, toutes deux déposées par le député des Vert'libéraux Casimir von Arx et cosignées par des élus de plusieurs partis, de gauche comme de droite.

«Le choix du logiciel ne doit pas être prédéterminé», exige le député vert’libéral Casimir von Arx dans sa motion. Il demande plus concrètement à l'exécutif «de prendre les mesures nécessaires pour éviter que le Grand Conseil soit de nouveau mis devant le fait accompli» et de garantir qu’il reste possible «de mettre en service, pour le canton de Berne, une plateforme numérique de santé reposant sur un autre produit qu’Epic ou qui laisse le choix du produit aux fournisseurs de prestations».

Le Conseil d’Etat  propose certes d'accepter la motion, mais souligne clairement dans sa réponse l'importance d'Epic. Il affirme que «la plateforme numérique de santé doit soit être développée sur la base de l’outil utilisé par le groupe de l’Hôpital de l'Île(Inselspital), soit pouvoir être entièrement compatible avec celui-ci», rappelant que le groupe Insel est le plus grand prestataire de services du canton de Berne.

Selon le Conseil-exécutif, «Du point de vue de la couverture en soins et de la santé publique, la création d’une plateforme numérique de santé pour le canton de Berne n’est donc pertinente que si le groupe de l'Hôpital de l'Île (Inselspital) y est rattaché. Cela signifie que, pour la plateforme numérique de santé du canton de Berne, seule Epic peut servir de base, ou éventuellement un système pouvant être entièrement intégré à Epic.» C’est la seule manière d’en exploiter pleinement le potentiel et d’en atteindre les objectifs.

Dans ses prises de position, le Conseil d’État souligne à plusieurs reprises que ce n’est pas lui, mais la direction du groupe de l’Île qui a décidé d’introduire Epic. «Le Conseil d’État n’est en possession ni de l’offre de la société Epic, ni de celles des autres soumissionnaires», écrit-il dans sa réponse à l’interpellation. Il y décrit Epic comme «n’étant pas qu’un simple système d’informations cliniques. Il s’agit d’une solution axée sur la patientèle, ce qui signifie que toutes les informations personnelles convergent dans un dossier médical unique. Partant, tous les spécialistes impliqués dans le traitement peuvent disposer en tout temps d’une vue d’ensemble de la situation de la patiente ou du patient. Cette possibilité renforce la sécurité de la patientèle ainsi que la qualité de la prise en charge, tout en favorisant la collaboration pluridisciplinaire et interprofessionnelle».

Le gouvernement estime aussi qu’à mesure que l’adoption d’Epic progresse sur le marché suisse, les échanges de données entre utilisateurs seront facilités. Il reconnaît toutefois que, dans l’idéal, le dossier électronique du patient (DEP) devrait assurer cet échange, mais cette fonction «n’est toutefois pas encore possible dans la forme souhaitée».

Dans sa motion, Casimir von Arx exprime des préoccupations quant à la protection des données en lien avec Epic. «Le code source du logiciel appartient à Epic Systems, qui ne le divulgue pas. Les hôpitaux bernois ne peuvent donc pas vérifier l’utilisation exacte qui est faite des données», précise-t-il. Le Conseil d’Etat répond simplement qu'une enquête approfondie sur les questions de protection des données est actuellement en cours.

La motion figure désormais à l’ordre du jour de la session d’hiver du Grand Conseil.
 

News du 20 octobre 2025: «C'est un moteur de transformation pour des soins de santé connectés numériquement, centrés sur le patient et tournés vers l'avenir.» C'est ainsi que le gouvernement du canton de Berne justifie son projet de définition et de mise en œuvre d'une plateforme numérique de santé pour le canton. Il entend établir les bases légales par une révision partielle de la loi bernoise sur les soins hospitaliers (LSH). Le projet a été soumis à consultation à l'été 2025.

Coûts et bénéfices

Selon le texte soumis à consultation, la loi révisée autoriserait le Conseil-exécutif bernois à «désigner une telle plateforme de santé et à définir le système d’information clinique (SIC) qui y sera intégré». Cela permettrait de faciliter la collaboration entre les hôpitaux (répertoriés), d'exploiter les synergies et, au final, d'accroître l'efficacité. Ou encore: «La connectivité offre la possibilité de surmonter la fragmentation du système de santé, de mettre en réseau tous les acteurs et de garantir un échange de données fluide.»

L’utilisation de la plateforme ne serait pas obligatoire pour tous les hôpitaux, précise le gouvernement. Toutefois, la loi lui donnerait au moins la compétence «d'obliger les hôpitaux détenus majoritairement par le canton à s'y connecter afin d'exploiter pleinement le potentiel d'une plateforme système couvrant l'ensemble des soins dans le canton de Berne». Les autres hôpitaux pourraient bénéficier d’un soutien financier pour leur migration.

Le Conseil-exécutif évalue le coût de mise en place de la plateforme à 11 millions de francs. Les frais de migration pour chaque hôpital seraient également «considérables», tout comme les coûts d’exploitation futurs, plus élevés que ceux d’aujourd’hui — mais compensés, selon le canton, par des gains d’efficacité grâce à l’automatisation et aux processus numériques.

Epic pour tous 

Le choix du SIC semble déjà arrêté: le canton de Berne souhaite déployer le logiciel de l’américain Epic. Le groupe Insel, qui gère notamment le plus grand hôpital de Berne, a introduit ce système avec succès en 2024. D’autres cantons ont également opté pour Epic: Le canton de Lucerne a été le premier à l’adopter en 2019, constatant depuis des gains d’efficacité mesurables. Le CHUV, dans le canton de Vaud, a lui aussi lancé un appel d’offres pour un SIC unique couvrant tous les hôpitaux publics — un appel d’offres actuellement contesté devant le Tribunal fédéral.

Risques de dépendance et questions de souveraineté

Le gouvernement bernois indique qu’une analyse de marché a été lancée parallèlement à la consultation afin de respecter le droit des marchés publics. Une fois cette étude reçue, «la procédure correcte sera déterminée et le rapport adapté en conséquence», précise-t-il.

Le projet du canton de Berne ne fait pas l'unanimité. Dans un communiqué, l'Association suisse pour la santé numérique (ASND) s'y oppose: selon elle, le projet menace de compromettre les principes fondamentaux de concurrence, de transparence et de droit des marchés publics et d'entraîner le canton dans une dépendance risquée vis-à-vis d'un seul fournisseur. «Le fait que la loi doive être adoptée avant qu'une analyse indépendante du marché ne soit disponible est inacceptable du point de vue de l’ASND et contredit les principes d'une numérisation équitable et durable dans le secteur de la santé.»

L’association juge inacceptable que la loi soit adoptée avant la publication d’une analyse indépendante du marché, estimant que cela contredit «les principes d’une numérisation équitable et durable du système de santé».

L’ASND met également en garde contre de sérieux risques pour la protection des données et la souveraineté numérique, en raison du Cloud Act américain, qui pourrait exposer les données médicales sensibles à l’accès des autorités américaines.

En outre, l’association estime que le projet affaiblirait l’écosystème IT bernois et contredirait des initiatives nationales comme le dossier électronique du patient (DEP) ou le programme DigiSanté.

Des critiques se font aussi entendre depuis la ville de Bienne, où le conseil municipal redoute une hausse des coûts d’exploitation IT, selon le Blick. Il demande au canton de participer à ces coûts supplémentaires.

Plaidoyer pour des standards ouverts

L’ASND plaide pour un changement de cap fondamental. L’association demande au canton de définir des standards ouverts et contraignants pour les formats de données et les interfaces. Cela permettrait de créer une véritable «autoroute numérique» sur laquelle les hôpitaux pourraient choisir le système d’information hospitalier (SIH) qui leur convient le mieux. Jürg Lindenmann, président de l’ASND, estime que «la réponse du Conseil-exécutif aux défis de demain est intenable: un monopole n’est jamais la bonne solution. La véritable innovation naît là où l’on coopère sur les standards, mais où l’on se fait concurrence sur les produits. La «voie bernoise» pourrait permettre non seulement d’éviter une erreur majeure, mais aussi de positionner le canton de Berne comme précurseur d’un système de santé numérique moderne, souverain et proche des citoyens».
 

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