Interview

Marc Touitou: «A l’OMS, l’informatique peut contribuer à sauver des vies»

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par Rodolphe Koller

CIO de l’Organisation Mondiale de la Santé depuis l’été 2014, le franco-américain Marc Touitou dirigeait précédemment l’informatique de San Francisco. Il revient sur ce parcours et explique la transformation en cours de l’IT à l’OMS, ainsi que son rôle dans la crise Ebola.

Le franco-américain Marc Touitou est CIO de l'OMS depuis l'été 2014.
Le franco-américain Marc Touitou est CIO de l'OMS depuis l'été 2014.

Avant de rejoindre l’OMS, vous avez été CIO de San Francisco pendant plus d’une année. Comment se retrouve-ton à ce poste?
 
J’ai passé presque toute ma vie dans le secteur privé. Je sais ce que c’est que d’aider une entreprise à croître, à conquérir des marchés, à se battre contre des concurrents. A 50 ans, j’ai voulu quitter cette logique du «toujours plus» et être vraiment utile. J’avais aussi rencontré beaucoup de personnes actives dans des organisations publiques et cela m’énervait de voir que ces organismes n’arrivaient pas à faire plus avec les budgets importants dont ils disposaient. C’est alors que l’opportunité San Francisco s’est justement présentée. Le maire avait entendu parler de ce que j’avais fait en matière de gestion de projet et d’exécution dans mon précédent job. Il m’a dit: « La ville est en grand besoin d’un choc culturel, on a besoin de sang neuf. En général, on n’approche pas des gens du privé vu nos ressources limitées, mais si cela vous intéresse… ». J’ai dit: « OK, je veux bien jouer ce rôle de catalyseur du changement».

Quels projets avez-vous réalisez à San Francisco durant cette période?

La ville avait notamment le projet emblématique de mettre le wifi gratuit à disposition de la population. Cela faisait trois ans qu’ils étaient en discussion avec un opérateur, sans que rien ne se passe, en dépit des promesses faites. Je me suis entouré de personnes que je connaissais pour la sécurité, l’architecture et le PMO, ainsi que des ressources et compétences dont la ville disposait. On a pris le projet à bras le corps puis en négociant des équipements gratuits avec des fournisseurs désireux de s’associer au projet. En six mois, on a déployé la fibre et des hotspots 2.0 du centre de San Francisco jusqu’à l’embarcadère. On était la première ville au monde à le faire et cela a servi de symbole pour montrer aux citoyens que l’on était capable de faire avancer les choses. Un autre projet concernait la reprise après sinistre, un élément critique vu la situation sismique de San Francisco. On a fait un accord avec le centre de données de l’Etat de Californie à Sacramento et implémenté une solution pour le mirroring de notre mainframe et de nos systèmes Exadata et Exalogic. Ces succès rapides ont fait beaucoup parler d’eux; ils ont permis de donner une nouvelle dynamique à l’IT de la ville. Les budgets ne manquaient pas; ce qu’il fallait c’était du leadership et une manière «militaire» de gérer les projets. La plupart des gens confondent vision, mission, stratégie et tactique. Une fois que ces concepts sont clairs, on peut plus facilement les appliquer à une ville, à l’OMS ou à n’importe quoi.

Qu’est ce qui vous a motivé à quitter San Francisco pour rejoindre l’OMS à Genève?

D’une certaine manière, ma mission pour la ville de San Francisco était remplie. J’avais réorganisé l’IT, réalisé des projets emblématiques et prouvé que, même dans une administration publique, il est possible de briser l’inertie pour faire avancer les choses. Dès lors, j’avais soit l’option de retourner dans le privé dans un secteur innovant de la Silicon Valley, soit de m’attaquer à un nouveau défi dans le domaine humanitaire. L’opportunité OMS s’est présentée et j’y ai vu le défi parfait, vu le potentiel de l’IT dans une telle organisation. L’informatique peut accélérer les processus, elle permet d’innover et d’être plus efficace. A l’OMS cela veut aussi dire sauver des vies…

Qu’avez-vous entrepris durant ces premiers mois à l’OMS?

J’ai commencé par  clarifier tant ma description de poste que le rôle et les devoirs du corporate IT. Il s’agissait notamment de redonner de la noblesse et de la fierté au département IT. Il existe un manque de coordination entre les offices régionaux et le siège ainsi qu’entre les régions elles-mêmes, et aussi un besoin de renforcer des centres de compétence tels que la gestion de projets, la business intelligence, la sécurité et l’architecture. Ma transition a été accélérée par la crise Ebola. L’IT a été utilisé comme un catalyseur pour apporter une réponse unifiée à l’épidémie. Tout ce que nous faisons pour Ebola est réutilisable et s’applique à toute l’organisation.

Quel est le rôle de l’informatique dans la gestion d’Ebola?

Vu l’ampleur de l’épidémie Ebola, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé de créer UNMEER (U.N. Mission for Ebola Emergency Response), une mission humanitaire coordonnée, telle qu’il n’en a jamais existé jusqu’alors.  Il fallait en premier lieu formuler et synthétiser le besoin, en faisant remonter du terrain des informations émanant tant des antennes régionales de l’OMS que d’organismes tiers, comme la Croix Rouge et Médecins Sans Frontières. Sur cette base, on peut ensuite planifier la logistique, le déploiement de personnes et d’équipements. Il s’agissait donc essentiellement d’un problème de processus et de systèmes d’information, avec un scope, un temps et des ressources définis. Nous avons tout de suite mis en place un PMO, cartographié les processus existants et défini les processus cibles. Nous avons également déployé un portail d’information basé sur des rôles, qui est accessible tant au public qu’aux organismes nationaux et humanitaires. Le portail permet de saisir et de réconcilier des informations du terrain, et de consulter des indicateurs clés d’Ebola, des cartes des zones de traitement, la localisation des centres logistiques, etc. Il a fallu faire tout cela très rapidement, en mode start-up.  Ceci est en parfaite adéquation avec la reforme souhaitée de l’informatique et le rôle que nous souhaitons lui donner au sein de l’OMS.

Quels sont les autres gros projets IT en cours?

Nous avons deux autres grands projets. Le premier concerne l’implémentation des grands processus corporate de l’organisation au niveau de l’ERP. Celui-ci a été mis en service en 2008 en y intégrant tous les processus tels quels avec énormément de customisation – . Ces deux prochaines années, nous devons reprendre les fonctions corporate (RH, finances, logistique, etc.) pour les simplifier et les rendre plus lean et plus fiables. Le second projet touche à la réforme de l’OMS. Il s’agit de rendre l’organisation plus transparente et d’instaurer davantage de confiance avec les pays membres. Cela passe notamment par des métriques et des engagements sur les services délivrés. C’est une chance pour l’IT, dont les budgets ont été drastiquement réduits suite à la crise en 2010-2011, de démontrer la valeur ajoutée qu’elle crée et donc de justifier les budgets qui lui sont nécessaires.

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