Mehdi Aminian, Jilion: «A l'ère du cloud, le mode de distribution sous format ZIP nous paraissait obsolète!»
Concepteur de SublimeVideo, une technologie de lecteur vidéo personnalisable, Jilion a été racheté par Dailymotion en décembre dernier. Mehdi Aminian, son co-fondateur, revient sur cette acquisition.



Dans quelles circonstances a été créé SublimeVideo?
Au départ, avec Zeno Crivelli, co-fondateur de Jilion, notre projet n'était pas de développer un lecteur vidéo mais un réseau social visant à révolutionner l'industrie de la musique. Durant trois ans, nous y avons travaillé dans le plus grand calme. Comme nous faisions quelques mandats en parallèle pour financer ce projet, nos développeurs se sont alors amusés à créer le premier lecteur vidéo en HTML5 au monde. Début 2010, une page de démo très simple était annoncée sur Twitter. Un seul tweet a suffi pour créer un buzz incroyable! Des stars du web, tel le blogueur John Gruber, à l’audience impressionnante, nous ont retweetés. Cela a incité tellement d'internautes à tester notre lecteur que notre serveur a crashé plusieurs fois!
Au vu de cet engouement, votre projet initial a-t-il été remis en question?
J'avoue avoir été presque contrarié, brièvement, par l'impact de cet accident et du changement de cap qu'il nous obligeait à faire! Mais nous avons rapidement réalisé que SublimeVideo était une très belle opportunité et que, qui sait, il pourrait peut-être même servir à financer notre projet de réseau social, dont le développement a été mis en pause à ce moment. L'intérêt pour notre lecteur en HTML5 n'a ensuite pas fléchi et après six mois, notre petite page de démo passait la barre du million de visiteurs uniques. Il faut se souvenir que nous étions à l’époque de la sortie du premier iPad, en pleine polémique entre Adobe et Steve Jobs au sujet de l'absence de Flash sur iOS. Le timing était parfait. Sans que nous fassions quoi que ce soit, des blogs influents ont parlé de SublimeVideo et nous avons reçu de nombreux messages nous demandant de proposer notre player en téléchargement, sous format ZIP. Mais à l'ère du cloud, et surtout à cause de la nature instable des implémentations de HTML5, ce mode de distribution nous paraissait obsolète! Il était hors de question de brûler les étapes, notre objectif était de faire de la qualité et d'innover. Inspirés par des solutions comme Heroku ou TypeKit, nous avons ainsi choisi de proposer notre lecteur en tant que service cloud. Nous étions précurseurs à l'époque. Il a fallu trois ans à notre concurrent principal pour offrir une solution cloud se rapprochant de la nôtre.
Ce modèle d'exploitation, basé sur le cloud, a-t-il répondu aux attentes?
Six mois après la première démo, l'annonce du lancement de la bêta de SublimeVideo sous forme de service cloud a, une nouvelle fois, créé un buzz intense. A tel point que l'on s'est retrouvé dans la section des top tweets de la homepage de Twitter. Pas mal pour une petite start-up suisse! Nous savions cependant que nous n'étions qu'au début d'un immense chantier de développement, contenant une foule de défis techniques. On se demandait, par exemple, si notre modèle de mises à jour automatiques et transparentes via le cloud allait fonctionner sur le long terme. Il a fallu le tester plusieurs mois pour s'en assurer. Six mois plus tard, au printemps 2011, on avait la certitude que notre modèle de service était fiable et scalable. C'est à cette période qu'un des plus grands acteurs du web nous a approchés. Auparavant, un leader de la vidéo professionnelle en ligne avait déjà manifesté son intérêt en vue de nous racheter. Mais dans les deux cas, nous pensions que c'était trop tôt. De plus, on nous demandait de jeter à la poubelle notre service. Par ailleurs, un sondage effectué auprès de milliers de sites utilisant notre service indiquait qu'avec notre système cloud payant, les perspectives de revenus pourraient être assez bonnes. Mais dans les faits, après une très bonne conversion initiale, la courbe des revenus n’a pas progressé aussi vite que ce que le sondage prédisait… Un grand classique, apparemment, pour les startups commercialisant un SaaS!
Quelle a été votre réaction?
On a rapidement pris la décision de passer en modèle freemium, en proposant le lecteur gratuitement, mais avec des options payantes. D'autres auraient choisi la voie plus agressive du tout gratuit, mais il fallait faire tourner la boutique et j'ai appris à être prudent, nous avons donc choisi cette voie médiane. A partir de là, l'acquisition de nouveaux sites utilisateurs de SublimeVideo s'est accélérée drastiquement, pour atteindre environ 2500 sites par mois. Entre mi-2012 et mi-2013, nous avons livré un demi-milliard de lecteurs vidéo sur des dizaines de milliers de sites. Des métriques vraiment bonnes pour une petite équipe de six personnes. Durant cette même période, nous avons aussi pris le temps d'affiner notre vision. Nous pensions pouvoir désormais avoir l'ambition de devenir les leaders de la troisième ère de la vidéo au sein des navigateurs web, après l'ère des plugins et celle de Flash, en combinant les avantages de Flash et du standard HTML5. Alors que ce dernier est censé fonctionner sur tous les navigateurs, desktop et mobiles, la réalité est que chacune de ses implémentations est différente des autres, créant une situation de chaos pour les développeurs web! Alors que Flash permettait à un graphiste, même dénué de connaissances techniques poussées, de personnaliser un lecteur et d'y ajouter des fonctionnalités relativement simplement. Pour résoudre ce problème et permettre la création de lecteurs sophistiqués et personnalisés, fonctionnant sur tous les navigateurs du marché, nous avons décidé, fin 2011, de développer un framework applicatif unique en son genre.
Quand est-ce que Dailymotion vous a approchés?
C'était en janvier 2013. Les possibilités de personnalisation offertes par notre nouveau framework les intéressaient beaucoup. Lancé quelques semaines auparavant de manière restreinte en tant que service pour les entreprises, il permettait déjà une liberté de conception totale, avec un affichage au rendu parfait de graphiques vectoriels, peu importe leur résolution et sur n'importe quel navigateur. On a dit oui à Dailymotion, car ils souhaitent mettre notre technologie au cœur de leur produit. Ils ont adopté une approche très motivante pour nous, car pérenne pour la technologie que nous avions construite jusque là. On a aussi rencontré des gens avec qui le courant est tout de suite passé. Dailymotion a annoncé son intention de fournir des outils de customisation avancée, ce qui devrait leur permettre d'offrir des fonctionnalités uniques et de se différencier grandement de leurs concurrents. Pour le moment, notre rachat n'a rien changé pour les utilisateurs de SublimeVideo. A terme, notre service sera probablement intégré aux différentes offres de la plateforme Dailymotion.
Quel bilan tirez-vous de ce rachat?
Nous estimons que cette acquisition est une très bonne chose pour tout le monde. Nous n'avons pas hésité longtemps à signer avec Dailymotion, car ils permettaient à notre technologie de passer à la vitesse supérieure. L'alternative aurait été de lever plusieurs millions de francs auprès de venture capitalists, mais les industriels ont toujours été plus rapides pour engager la discussion! En outre, à part Index Ventures, qui nous a donné de précieux feedback, c'est un peu le désert au niveau local. Il n’existe pas ici d’investisseurs institutionnels ayant la capacité de financer des projets web aussi ambitieux. Si nous avions dû choisir la voie du VC, nous ne l'aurions fait qu'avec la crème de la crème et, probablement, dans la Silicon Valley. Aux Etats-Unis, les investisseurs apportent en général des capitaux beaucoup plus importants. Ceci dit, il y a pas mal d'intérêt à créer des startups web en localisant l’engineering en Suisse et le management à San Francisco. La Suisse présente de nombreux atouts pour une start-up. Jamais Jilion n'aurait pu se développer et connaître ce destin sans l'écosystème bienveillant de l'EPFL, sans l’appui des Cantons et de la Confédération. Ni sans les nombreux soutiens privés. Ces aides sont une chance et restent indispensables. La seule chose qui manque encore ici, probablement, c’est l'accès à des capitaux importants quand le temps est venu d'accélérer.
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