Service client 2.0

Service client et réseaux sociaux, un mariage de raison semé d’embûches

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Utiliser les réseaux sociaux pour répondre aux demandes de support des clients est une évolution naturelle. Les exemples des CFF, d’Air France et de Swisscom montrent cependant que l’établissement d’un service client 2.0 ne va pas sans heurt et demande de repenser l’organisation, les ressources, les processus et les outils informatiques.

Le ramdam au sujet des réseaux sociaux et de leur usage par les entreprises n’est pas prêt de cesser. «Il faut en être» entonnent de concert les analystes, pour reconnecter l’entreprise avec des clients incrédules aux messages et aux canaux usuels, qui échangent sur les nouveaux réseaux. Sensibles aux avantages promis, les entreprises suisses, surtout les plus grandes, se lancent dans l’aventure 2.0: deux tiers des entreprises cotées au SMI sont actives sur les média sociaux contre seulement un quart des PME de l’arc lémanique, selon une étude de la HEG Genève. Si la plupart des initiatives émanent des départements marketing, communication ou e-business, la nature nouvelle de ces «conversations privées en public» et l’hétérogénéité des messages des clients oblige les entreprises à repenser leur organisation, leurs ressources, leurs processus et leurs outils informatiques. En ligne de mire, un rapprochement salutaire entre le service client et d’autres départements, qui ne va pas de soi comme en témoignent les voies et tactiques différentes empruntées par les CFF, Air France et Swisscom.

Les atouts du service client

Nombreux sont les départements à avoir un intérêt à s’engager sur les réseaux sociaux. Le marketing y voit une opportunité d’établir un dialogue direct avec les clients et les prospects, d’identifier les intérêts et besoins du marché, d’enrichir et d’humaniser ses autres initiatives à moindre coût. Pour les relations publiques, les média sociaux peuvent servir à monitorer la réputation de l’entreprise, à identifier de manière précoce des rumeurs néfastes (early warning system), à communiquer directement avec le public en cas de crise. Les vendeurs peuvent exploiter les réseaux sociaux pour enrichir la relation avec leurs contacts.
Pourtant, dès lors que l’on dépasse l’écoute passive, la diffusion de messages calibrés ou la gestion soft de la communauté et qu’il s’agit de répondre aux sollicitations les plus diverses d’un nombre croissant de personnes, l’engagement d’un community manager ne suffit plus et le service client semble le plus à même de relever le défi opérationnel. Ses atouts: le nombre et la compétence de ses collaborateurs (langues, connaissances), ses processus (disponibilité, temps de réponse, niveaux de support, appel à des spécialistes d’autres départements si nécessaire), ses outils (CRM, ticketing, workflows, base de connaissance). De plus, un service client efficace sur les réseaux sociaux a un impact positif indéniable sur l’image de l’entreprise, parce que les réponses sont publiques et parce que les clients satisfaits relaient souvent leur contentement à leur communauté en ligne.

Manque d’agilité et d’intégration

Mais les difficultés sont tout aussi nombreuses. Ainsi, le caractère public des réponses exige de nouvelles compétences de communication des collaborateurs. Autre souci, le niveau de service: les attentes en termes de temps de réponse des utilisateurs qui cherchent un service client sur les réseaux sociaux (37% selon une enquête d’IBM) restent floues et les volumes de requêtes sont difficiles à anticiper, ce qui rend l’allocation de ressources aléatoire. Enfin, en raison de ses contraintes opérationnelles, le service client est une structure onéreuse, peu agile et peu encline à innover en la matière. Seul 1% des responsables de centres de contact considèrent que l’introduction de canaux du web 2.0 est une priorité technologique, l’accent étant plutôt mis sur l’adoption du protocole IP (17%) et la disponibilité de service (15,5%), selon le Dimension Data Global Contact Center Benchmarking Report 2009. Ces raisons et d’autres expliquent peut-être pourquoi, dans une grande majorité d’entreprises, moins d’une requête client sur dix est traitée via les réseaux sociaux (Social Customer Engagement Index 2011).
Côté technologies, la plupart des éditeurs de solutions de gestion de la relation client (CRM) offrent désormais des fonctionnalités 2.0. Oracle CRM On Demand, RightNow, Salesforce.com intègrent à des degrés divers les réseaux sociaux. Cette intégration est cependant pour l’heure trop sommaire pour être en mesure d’organiser un suivi des requêtes tel qu’il est pratiqué dans un centre d’appel moderne. Les entreprises usent donc en parallèle d’autres solutions conçues spécialement pour le monitoring des réseaux sociaux, à l’instar de Radian6 (racheté par Salesforce.com) et de Lithium, et pour la gestion de comptes multiples sur plusieurs réseaux, comme TweetDeck, Hootsuite et Seesmic. Ainsi, dans deux tiers des sociétés usant des réseaux sociaux pour le service client, cette activité n’est pas complètement intégrée aux processus de résolution existants, selon le Social Customer Engagement Index 2011.

Air France et KLM testent des approches distinctes

A la suite de l’éruption du volcan Eyjafjöll et surtout avec les problèmes causés par les chutes de neige en décembre 2010, Air France KLM a vécu deux crises mettant son service client sous pression. Avec jusqu’à 100'000 appels par jour, les moyens de communications usuels ont été saturés. «Les passagers se sont rués vers Facebook et Twitter. Les réseaux sociaux ont servi de plateforme de débordement et sont devenus un call center bis», explique Alain Pezzoni, Direct Sales Manager d’Air France pour la région Alpes et Balkans, qui comprend la Suisse.
Au départ, la compagnie aérienne employait surtout les réseaux sociaux comme levier d’acquisition, comme vecteur de trafic sur son site et comme outil de positionnement. Optant pour une stratégie décentralisée orientée marketing, Air France a créé plusieurs pages Facebook et comptes Twitter reprenant dans les grandes lignes son organisation segmentée par marché. Elle a aussi engagé des community managers dédiés aux régions qui travaillent en collaboration avec les grandes divisons de l’entreprise et développé un système de veille de réputation en ligne. Pour Alain Pezzoni, ces développements ont permis à l’entreprise d’être rapidement présente sur les nouvelles plateformes sans grand investissement, seule démarche acceptable étant donné l’absence de métriques et de modèle d’affaires clair.
Aujourd’hui toutefois - les crises de l’an dernier y sont pour quelque chose – le transporteur est dans un processus de changement visant à exploiter également les plateformes les plus populaires pour l’avant-vente et l’après-vente et répondre à une demande croissante. Une voie plus proche de celle empruntée par sa compagnie sœur KLM, qui a confié la gestion des réseaux sociaux à un service client centralisé. Une voie cependant semée d’embûches. Alain Pezzoni déplore ainsi que l’ensemble des données des fans soient en fin de compte la propriété de Facebook. D’autre part, les données des clients enregistrées dans le CRM n’incluent pas pour l’instant leur profil sur les sites sociaux.

Les CFF, dépassés par les utilisateurs?

Du côté des CFF, la situation est bien différente. La compagnie ferroviaire avance à tâtons en matière de médias sociaux, avec par exemple une page Facebook dédiée aux billets dégriffés et aucune page d’entreprise. Pour Patrick Comboeuf, responsable e-business aux CFF, cette situation est en partie liée à la jeunesse de ces plateformes: «Nous ne cherchons pas à être présents pas sur les médias émergents. Avec 800'000 utilisateurs en Suisse, Facebook ne mérite pas encore le qualificatif de main stream et nous voulons éviter l’emballement de Second Life». Ainsi, le lancement du nouveau site des CFF à la mi-mai n’est pas accompagné d’initiatives sur les média sociaux. Sur le nouveau groupe de 15 collaborateurs dédiés aux activités en ligne, un seul s’occupe des réseaux sociaux.
Patrick Comboeuf estime qu’il n’est pas non plus viable d’offrir un service client sur des réseaux sociaux. En cause, l’incertitude quant au volume de requêtes qui arriveraient par ce biais et les attentes des clients en termes de temps de réponse, deux facteurs déterminants pour l’allocation de ressources dédiées. Autre problème, un service client sur les réseaux sociaux est gratuit, contrairement aux appels destinés au centre de contact des CFF à Brig. Sans compter que, pour des demandes d’horaire, le service par SMS proposé actuellement est plus approprié et ne requiert pas d’être en ligne, souligne le responsable e-business de l’entreprise.
Que se passe-t-il lorsqu’un prestataire de service avec une clientèle très vaste se refuse à investir les réseaux sociaux? D’autres le font à sa place. Ainsi, les CFF compteraient environ 80 pages de fans sur Facebook, qu’elle ne gère pas. Plus emblématique encore, le compte Twitter @railservice qui est une initiative externe. Lancé en 2009 par Chris Leduc, un collaborateur de Swiss, le compte fournit un service client aux usagers des CFF en plusieurs langues, avec l’aide de quelques bénévoles. Quelque temps après le lancement du compte, la société ferroviaire contacte les initiateurs de @railservice. Plutôt que de créer un service semblable ou de leur interdire l’emploi de sa marque, les CFF leur proposent alors de collaborer et mettent à leur disposition des outils internes pour qu’ils soient tenus au courant de l’état du réseau. Aujourd’hui, @railservice reçoit et répond chaque jour à une vingtaine de messages, un chiffre qui peut monter à plusieurs centaines en cas de problème majeur.

Swisscom dédie un groupe au service client 2.0

Toute autre est la stratégie de Swisscom qui a créé une équipe dédiée aux réseaux sociaux et qui fournit depuis mars également un service client sur ces plateformes. L’opérateur dispose d’une page Facebook d’entreprise et de 12 comptes Twitter, dont l’un est dévolu au service client pour les particuliers et les PME dans les trois langues nationales. Sous la houlette de Jan Biller, une équipe de quatre collaborateurs trilingues issus du service client s’occupent de répondre dans les 24 heures aux requêtes adressées par ce canal. Patrick Moeschler, responsable des média sociaux chez Swisscom souligne cependant que la diversité des messages requiert une organisation fluide: «L’équipe filtre les messages et les redirige le cas échéant vers des spécialistes marketing ou communication, qui font de même avec les requêtes de support qui leur sont adressées, par exemple sur Facebook». Jan Biller explique par ailleurs que certaines demandes exigent de changer de canal, lorsque les 140 caractères autorisés sur Twitter sont insuffisants, ou lorsqu’il est nécessaire que le client s’identifie. En cas de crise, comme lors de la panne de l’internet mobile de décembre dernier, l’équipe support est remplacée par une cellule spéciale afin de garantir un message consistant. Le service client sur Twitter n’est cependant pas intégré au service client classique, ni au niveau des processus, ni au niveau technique. Les comptes des clients sur les réseaux sociaux ne sont pas saisis dans le CRM, mais, en cas de problème complexe, les collaborateurs de l’équipe dévolue aux réseaux sociaux peuvent ouvrir un ticket dans l’applicatif Siebel pour assurer son suivi. Patrick Moeschler ne cache pas que les défis restent importants, à commencer par l’établissement de la bonne structure et du juste positionnement des comptes Facebook et Twitter pour la communication, le marketing et le service client. Il déplore également l’inexistence sur le marché d’un véritable CRM social. Enfin, la nécessité de former l’ensemble des employés sur l’utilisation adéquate de ces plateformes: «Certains collaborateurs ont beaucoup d’affinités avec les réseaux sociaux et aimeraient répondre directement aux questions des clients. Il faut les canaliser sans les frustrer.»

Des errements nécessaires

Les exemples fort différents d’Air France, des CFF et de Swisscom, montrent que les défis et questionnements stratégiques et opérationnels sont nombreux avant de pouvoir établir un service client performant sur les réseaux sociaux. Et ce d’autant plus que les sociétés ne peuvent s’appuyer sur des pratiques et des outils éprouvés.
A terme, si le nombre d’utilisateurs et leur usage de Facebook et Twitter poursuivent leur expansion, il est probable que de plus en plus d’entreprises emploieront ces médias dans le cadre de leur service client et dépasseront l’emploi promotionnel qui domine aujourd’hui. D’abord parce que les clients ont déjà commencé à exprimer leurs demandes de support sur ces plateformes. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une évolution naturelle de l’entreprise qui tend à élargir peu à peu le cercle des collaborateurs habilités à communiquer en ligne avec les clients.


 

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