Développement, déploiement

Les app stores arrivent dans l’entreprise

| Mise à jour
par Rodolphe Koller

Du cloud aux smartphones, les app stores prolifèrent et gagnent les éditeurs de logiciels business désireux de se convertir en «plateforme». Si le concept mêlant vitrine commerciale et solution de déploiement a tout pour séduire les entreprises, le marché actuel pèche par les différences fonctionnelles et le manque d’interopérabilité entre les boutiques.


Les smartphones semblent avoir été nombreux sous les sapins. Suite à leur activation, plus d’un milliard d’apps auraient été téléchargées entre Noël et Nouvel An selon les analyses de la société britannique Flurry. L’entreprise estime même que ce volume hebdomadaire pourrait devenir chose courante en 2012.

L’adoption extraordinaire des appareils iPhone et Android est en effet indissociable de celle des applicatifs à tout faire vendus dans leurs boutiques respectives. Des applications simples, vite installées, économiques voire gratuites, achetées, téléchargées, mises à jour et prêtes à l’emploi en quelques instants. Une aubaine pour les utilisateurs, pour les fabricants d’appareils et pour les développeurs qui peuvent aisément commercialiser leurs logiciels dans le monde entier – quand bien même la majorité des apps ne s’avèrent jamais rentables.
Sans surprise, et conformément à une consumérisation de l’IT qui veut que les innovations arrivent dans l’entreprise via les usages privés, les app stores intéressent de plus en plus le monde IT professionnel. Editeurs de systèmes d’exploitation et d’ERP, fournisseurs de services cloud et autres lancent à tout va leur propres «places de marché», tandis que les entreprises se dotent de solutions leur permettant de déployer des app stores réservés à leurs employés.

Windows, SAP, Renault, chacun son app store

En décembre, Microsoft a annoncé que son nouveau système d’exploitation Windows 8 aura lui aussi sa boutique applicative, Windows Store. L’application élaborée dans le style Metro (plein écran, tactile) permettra aux développeurs de mettre en vente leurs logiciels Windows, Microsoft prélevant au passage une commission (20% à partir de 25 000 dollars de revenus) selon l’usage désormais répandu. Comme Apple depuis Snow Leopard OS X, Microsoft adopte ainsi le concept d’app store pour son système d’exploitation fixe après l’avoir fait pour son OS mobile. Premier enjeu pour la firme de Redmond, attirer les développeurs sur sa nouvelle plateforme. La firme met ainsi en avant l’énorme base installée Windows (1,25 milliard de PC contre 152 millions de terminaux iOS), son processus d’approbation transparent ou encore la facilité de recherche d’applications de sa boutique. Côté utilisateurs, Microsoft promet aux administrateurs IT la possibilité d’utiliser le store comme solution de déploiement et de gestion et de configurer le catalogue d’apps disponibles aux collaborateurs.

Autre éditeur à s’être lancé récemment dans l’aventure des app store, l’allemand SAP. La solution - disponible sous forme d’app ou de site web – permet aux partenaires de SAP de proposer des applications mobiles complémentaires à son ERP, telles que des apps adaptées à des secteurs spécifiques. En Suisse, l’éditeur a d’ailleurs lancé une compétition pour motiver ses partenaires à développer des apps mobiles. Néanmoins, l’app store mobile de SAP est pour l’heure surtout une vitrine. En effet, il n’est pas possible d’y acheter directement les apps et, pour les entreprises utilisatrices, la gestion des apps mobiles nécessite de disposer de la plateforme Sybase Afaria.

Outre les applications mobiles, SAP a également lancé en 2011 un app store pour son offre hébergée ByDesign. A nouveau, l’objectif est de permettre aux partenaires de présenter et de commercialiser des solutions SaaS complémentaires. Une approche initiée par Salesforce.com avec son AppExchange qui compte plus de 1300 applicatifs et qui accueille depuis peu des apps mobiles, ainsi que par Microsoft avec Dynamics Marketplace. Pour China Martens, analyste chez Forrester, les app stores présentent de nombreux avantages dans le domaine des ERP. Pour les éditeurs, c’est une manière d’augmenter la valeur de leur système et de mesurer les intérêts de leur clientèle. Quant aux entreprises, elles peuvent y évaluer le dynamisme de la plateforme, voir quelles sont les applications les plus populaires dans un domaine ou un secteur particulier ou encore les tester avant l’achat. La spécialiste estime cependant que ces ERP app stores ont des progrès à faire en matière d’intégration avec les autres canaux – la vente de licences requiert la plupart du temps un contact direct – et entre les différents stores.

Troisième initiative récente et plus inattendue, celle de Renault avec R-Link. C’est le nom donné par le constructeur automobile à une tablette tactile présentée en décembre dernier à la conférence parisienne LeWeb ’11. Connectée en permanence, la tablette multimédia équipera ses modèles ZOE puis Clio dès cette année et remplacera les systèmes de contrôle et de navigation usuels. Comme Microsoft et SAP, le constructeur français souhaite augmenter la valeur de sa solution grâce à des applications et il a donc lui aussi annoncé l’arrivée d’un R-Link Store. Pour attirer les développeurs et les jeunes entreprises sur sa plateforme, Renault va même ouvrir un incubateur «pour promouvoir la création d’un écosystème de start-up sur le thème des services connectés et TIC pour la mobilité».

De la vitrine commerciale à la plateforme de déploiement

Ces exemples récents illustrent l’engouement pour le concept d’app store de la part des fournisseurs IT et la grande hétérogénéité des initiatives qui revendiquent ce label. On peut à ce titre mentionner également Equinix Marketplace pour des services liés à ses centres de données, Evernote Trunk pour des applications complémentaires à la solution de prise de note ou Chrome Web Store pour des compléments au navigateur de Google.

Le plus petit dénominateur commun – ou le degré zéro – de ces app stores consiste à offrir un portail réunissant des solutions tierces choisies liées à l’offre des fournisseurs et donc un canal de promotion à leurs partenaires. Légèrement plus avancées, certaines boutiques supportent l’achat d’applications. Toutefois, dans le cas des licences pour logiciels d’entreprise, la complexité actuelle des modèles commerciaux empêche une telle extension. Plus sophistiqués encore, d’autres app stores permettent une gestion du cycle de vie des applicatifs (installation, mises à jour), voire l’établissement d’un app store d’entreprise au périmètre défini par les administrateurs IT (groupes d’utilisateurs, intégration d’applications maison, limitation des applications publiques autorisées).

Un paysage fragmenté

Cette prolifération d’app stores plus ou moins mûrs, incompatibles entre eux et orientés soit vers les terminaux, soit vers le cloud n’est guère satisfaisante pour les responsables IT qui rêvent d’une expérience analogue à celle dont jouissent les particuliers avec leur smartphone. On est en effet très loin d’une solution professionnelle unifiée permettant à la fois d’évaluer des applications business (hébergées ou installées), de les acquérir et de gérer leur déploiement et leur cycle de vie sur les terminaux fixes et mobiles, tout en offrant convivialité et autonomie aux collaborateurs.

Cette fragmentation représente aussi un défi pour les développeurs et éditeurs de solutions d’entreprise. Outre le choix stratégique et technique de privilégier une offre SaaS ou installée et celui d’opter pour tel PaaS ou tel OS (pérennité, richesse fonctionnelle, compétences internes), ils doivent également mesurer l’intérêt commercial de la boutique correspondante: taille et type de clientèle, possibilités de promotion, modèle de partage des revenus, reporting proposé. Les options sont donc bien plus nombreuses et complexes qu’un simple choix entre Android et iOS.

Quelle plateforme pour l’app internet?

L’essor des app stores cristallise par ailleurs la tension de l’informatique d’aujourd’hui entre le cloud et les terminaux mobiles, les systèmes d’exploitation fixes s’alignant vraisemblablement vers ses derniers comme on le voit chez Apple et Microsoft. A la question de savoir si demain les applicatifs tourneront plutôt dans les nuages ou sur les tablettes, le cabinet Forrester opine que l’avenir sera hybride (app internet) et que le web ne triomphera pas comme architecture unique. D’une part, parce que les capacités des terminaux progressent plus vite - Loi de Moore oblige - que les vitesses de connexion. D’autre part, parce que certaines applications profitent mieux de la puissance du terminal (performance graphique, par exemple) alors que d’autres sont davantage gourmandes en données hébergées.

Quelles seront donc les plateformes de choix de cet app internet? Du côté du développement applicatif, le marché va sans doute s’étoffer de nouvelles offres (comme PhoneGap) permettant aux programmeurs de transformer simplement leurs applicatifs HTML 5 et JavaScript pour les plateformes les plus populaires.

Du côté des plateformes elles-mêmes, Microsoft et Google semblent les mieux positionnés pour unifier le paysage et créer une solution gérant de façon homogène applications hébergées et installées. Chacun a d’ores et déjà un pied dans les terminaux et un pied dans le cloud: Azure et Windows Phone / Windows 8 pour l’un, AppEngine et Android/Chrome pour l’autre. Dans le domaine de l’entreprise, Microsoft a un avantage clair sur son concurrent, mais il pourrait être challengé par un autre acteur, VMware. Le spécialiste de la virtualisation a réussi à s’imposer comme couche d’abstraction dans l’infrastructure d’un grand nombre d’entreprises. Son offre s’étend désormais du cloud, aux terminaux en passant par les centres de données et ses nouvelles solutions ciblent directement les développeurs et les smartphones. Il semble le plus proche de pouvoir offrir une solution de gestion applicative, et donc une forme d’app store universelle. A son passif toutefois, une visibilité quasi nulle auprès du grand public. Un désavantage d’importance à l’heure de la consumérisation de l’IT.

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