Interview OFSP

Sang-Il Kim, OFSP: «Pas de transformation numérique sans transformation sociale»

par Fabian Kindle (Traduction: Yannick Chavanne)

En avril, en pleine première vague de la pandémie de Covid, l'Office fédéral de la santé publique a créé une division Transformation numérique. Sang-Il Kim en a pris la direction. En interview, il explique comment les mesures numériques font leurs preuves dans la gestion de la crise et comment la numérisation progresse à l'OFSP.

Sang-Il Kim est depuis avril 2020 chef de la division Transformation numérique de de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). (Source: Administration fédérale)
Sang-Il Kim est depuis avril 2020 chef de la division Transformation numérique de de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). (Source: Administration fédérale)

Le Covid a assombri l’année et vous a passablement occupé. Comment avez-vous vécu cette période?

C’était une période extrêmement passionnante, pleine de travail et de surprises, incroyablement diversifiée, d'une certaine manière satisfaisante puisqu'on accomplit des choses qui font sens et qui finalement aident à faire face à la pandémie. C’est également impressionnant de voir à quel point certains projets informatiques peuvent aller beaucoup plus vite que d'habitude.

La pandémie bat toujours son plein et la deuxième vague est là. Comment l'OFSP gère-t-il la situation actuelle?

De mon point de vue, de façon très professionnelle, mais j’observe surtout de la tension et de la fatigue; tout le monde donne le meilleur de lui-même en sachant qu'en fin de compte la crise ne peut être maîtrisée qu'individuellement par chacun d’entre nous. Nous avons appris que nos actions ont des limites, et que nous ne pouvons que fixer des conditions cadres.

Quels sont les plus grands défis posés par la pandémie?

Personnellement, je crois qu'en fin de compte, c'est la solidarité au sein de la société qui déterminera le nombre de personnes qui mourront. C'est peut-être mon origine asiatique qui me pousse à davantage considérer le sens civique que l'individualisme. En ce qui concerne l'utilisation judicieuse de l'informatique pour gérer des pandémies, je constate globalement plusieurs lacunes dans l'infrastructure IT du système de santé suisse: de nombreuses conditions préalables importantes pour une utilisation large et cohérente des technologies de l'information ne sont pas remplies. Par exemple, parmi un grand nombre de systèmes, trop peu disposent d'interfaces normalisées pour l'échange des données, et ces interfaces ne seront guère disponibles à court terme.

Concernant le traçage des contacts, certains cantons sont à la peine. Comment évaluez-vous le problème?

Nous avons tous été surpris par la véhémence de l'augmentation des contaminations, bien que nous pouvions théoriquement s'en faire une idée. La stratégie tester, tracer, isoler en quarantaine ne fonctionne plus pour le moment et il convient de prendre des mesures radicales. J'espère que nous pouvons aujourd’hui en tirer les leçons pour une éventuelle troisième vague.

Le comparateur en ligne Comparis a observé des lacunes accablantes en matière de traçage des contacts par les cantons: absence de standardisation, manque de savoir-faire et esprit de chapelle entraveraient l'analyse de la situation. Quelle est votre perception?

Ce n'est pas aussi facile qu'on pourrait le croire et l’on a vite fait de porter un regard critique de l'extérieur. Je peux vous dire que les services médicaux cantonaux ne se sont jamais tournés les pouces. Avoir une approche et des structures plus uniformes auraient peut-être aidé. Mais les pays à gestion centralisée comme la France n'ont pas forcément fait mieux. En termes d'analyse de la situation, la Suisse n'est pas si mal lotie en comparaison internationale. L'Allemagne, par exemple, ne disposait jusqu'ici d'aucun système central de notification connectant directement tous les laboratoires. Ce n'est que maintenant qu'ils mettent en place de telles structures.

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Au lieu d'utiliser le système «Sormas», qui a été développé spécifiquement pour le le traçage des contacts, certains cantons utiliseraient encore Excel, tandis que d'autres s'appuieraient sur des logiciels propriétaires. Cela ne vous frustre-t-il pas?

La question n’est pas de savoir si je suis frustré, mais de savoir si chaque canton utilise des outils avec lesquels le traçage des contacts fonctionne. Pour autant que je sache, Excel n'est plus vraiment utilisé - tous les cantons utilisent un système informatique. Les différentes solutions ont toutes leurs avantages et leurs inconvénients et, en fin de compte, elles doivent servir leur objectif.

Où voyez-vous des avantages au fédéralisme dans le domaine de la santé publique?

Je ne suis probablement pas la bonne personne à qui en parler, parce que, surtout en matière de solutions informatiques, des architectures plus centralisées seraient souvent plus faciles à mettre en œuvre et, probablement, également plus efficaces. Mais dans de nombreux autres domaines, le fédéralisme peut présenter des aspects positifs, comme une plus grande acceptation de la population ou des mesures qui sont en accord avec le contexte spécifique à chaque région.

Comment progresse l'application Swisscovid?

J'aimerais vraiment voir une utilisation plus répandue de l'application, mais je suis néanmoins heureux qu’elle soit bien utilisée dans l'ensemble et qu'elle ait prouvé son efficacité. Nos statistiques montrent que nous avons pu identifier de nouvelles sources d'infection et interrompre les chaînes d'infection. L'application est constamment développée et adaptée, en fonction de nouvelles connaissances sur son usage ou de découvertes scientifiques. Nous voulons rendre l'application encore plus attrayante, par exemple en y affichant des informations pertinentes.

A la mi-août, le nombre d'utilisateurs quotidiens de l'application était encore d'environ 1,36 million. A l'époque, vous étiez satisfait car la tendance était à la hausse. Comment évaluez-vous l'évolution de son adoption depuis lors?

Nous comptons désormais 2,75 millions de téléchargements et près de 1,9 million d'utilisateurs actifs. Ce n'est pas mal, mais nous aimerions en voir davantage. Au début de la forte hausse de la deuxième vague, le nombre d'utilisateurs a augmenté rapidement, mais la courbe s'est aplatie. Comme la crise va durer, nous atteindrons probablement plus de 3 millions de téléchargements. Il serait déjà bien que les indécis se rendent compte qu'ils devraient utiliser l'application dès maintenant pour éviter une éventuelle troisième vague.

Vous êtes médecin et informaticien. Quel profil est le plus important pour votre poste de responsable numérique de l'OFSP?

Je pense que ces deux expériences sont très utiles. D'une part, pour l'empathie avec les professionnels de la santé, dont je connais bien les processus et les besoins, et d'autre part pour les patients. En outre, grâce à mes connaissances techniques, je peux dresser un pont entre les utilisateurs et les responsables des déploiements techniques. A mon avis, il est crucial de pouvoir communiquer et d’avoir la capacité à réunir des gens et des points de vue très différents pour déployer ensemble la bonne solution.

Où en êtes-vous dans la numérisation de l'OFSP ?

Une première phase d'analyse est en cours de planification. Cependant, je peux déjà dire que l'OFSP est déjà très numérisé dans certains domaines, comme la protection des consommateurs. Mais bien sûr, il y a encore beaucoup à faire pour améliorer les synergies et l'efficacité. Il s'agit de suivre la stratégie dictée par la Confédération en vue de mener la transformation numérique de l'administration fédérale, et procéder par étapes, en mettant toujours au premier plan la gestion de la crise.

Sur quoi travaillez-vous actuellement? Pouvez-vous donner des exemples concrets?

Une grande variété de processus informatiques doivent être créés ou optimisés pour gérer la crise. L'application Swisscovid m’occupe au quotidien, mais aussi la conception et le déploiement du support informatique nécessaire à la stratégie de test, avec les nouveaux tests rapides, ou le support à venir pour les vaccinations. Des projets tels que le système «Sormas» ou la base de données de traçage des contacts de l’OFSP seront bientôt mis en œuvre. Des projets plus récents sont en cours, tels que la gestion des données de contact ou l’identification des clusters. Un autre de mes domaines d'activité est celui des thèmes classiques de la cybersanté, dont l'introduction très importante du dossier électronique du patient ou la mise en place de l'e-médication. La cybersécurité sera un nouveau thème central, pour lequel nous avons pu recruter un expert.

Quels sont vos principaux objectifs pour 2021?

Davantage soutenir la gestion de la pandémie avec des outils informatiques supplémentaires. En outre, je voudrais démontrer les avantages de l'introduction des dossiers électroniques du patient, aussi bien pour les patients que pour ceux qui les soignent. La transformation numérique devrait également commencer au sein de l'Office. J'ai aussi un travail d'information et de persuasion qui m'attend avec toutes les personnes impliquées, afin qu'elles acceptent d'être emmenées sur le chemin de la transformation numérique. Selon la devise: pas de transformation numérique sans transformation sociale.

Informations personnelles:

Sang-Il Kim est depuis avril 2020 chef de la division Transformation numérique de de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) dont il est membre de la direction. Il a une formation médicale et a exercé comme radiologue. Il a ensuite suivi une formation d'informaticien et a entre autres travaillé pour Siemens et La Poste suisse.

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