Interview

Martin Suter, romancier à succès... et lauréat du meilleur site web suisse pour le commerce digital

par Rodolphe Koller et Interview: Kevin Fischer

Romancier à succès en Suisse alémanique et dans les pays francophones où nombre de ses livres ont été traduits, Martin Suter fait le pari de réinventer sa pratique et la relation au lecteur à l’ère du numérique. Un pari récompensé par les Best of Swiss Web 2020, où l’écrivain vient de remporter remporter l'or dans la catégorie «commerce numérique». Nous vous livrons des extraits traduits de l’interview qu’il a accordée à nos collègues de la Netzwoche, dans laquelle il explique comment le numérique bouleverse le monde de l’écriture et les réponses expérimentales qu’il y apporte sur son site.

Suite de roman en live, vie des héros entre les livres, échange de tweets en rimes, on trouve de tout sur Martin-Suter.com
Suite de roman en live, vie des héros entre les livres, échange de tweets en rimes, on trouve de tout sur Martin-Suter.com

Vous avez participé au Best of Swiss Web avec votre site web Martin-Suter.com. Comment avez-vous eu l'idée de ce projet?

Mes livres ont toujours beaucoup de succès, je ne peux pas me plaindre. Mais on a aujourd'hui besoin de beaucoup moins de livres vendus que par le passé pour figurer dans la liste du Spiegel. Les gens lisent de moins en moins de livres et s'intéressent davantage à leur téléphone portable, à leur laptop ou à leur tablette. Et à observer comme ils regardent leur écran, je pense qu’ils ne sont pas nombreux à être en train de lire un de mes e-books. Les gens ne font pas que lire sur leurs appareils, ils écoutent aussi de la musique, jouent à des jeux et communiquent. J'ai réfléchi à ce que je pourrais faire qui puisse être consommé de cette façon; c’est ainsi qu’est venue l’idée de ce site web.

Quelle est la particularité de ce site web?

Il regorge de particularités. Vous pouvez lire des choses de moi que vous ne pouvez pas lire ailleurs. J'ai écrit des chroniques pendant 15 ans et j’avais arrêté de le faire depuis plusieurs années. Maintenant, je les écris à nouveau et vous pouvez en lire des nouvelles chaque mois. J'écris aussi sur ce que Johann Friedrich von Allmen, le détective-cambrioleur héros de mes livres, fait entre deux romans. Le monde de Johann Friedrich ne s’arrête pas de tourner entre les livres. Comment passe-t-il son temps pendant le confinement? Comment s’y prend-il pour obtenir de l’argent?

Essayez-vous aussi de nouveaux formats?

Je fais quelque chose que je n'ai jamais fait auparavant: une suite en live d'un de mes best-sellers, «Lila, Lila». Cette histoire d'amour est sortie il y a 17 ans et ne s'est pas exactement terminée sur un happy end. On m'a répété à maintes reprises combien il est dommage que les personnages ne terminent pas ensemble. Ce à quoi, je répondais toujours qu’ils se retrouveraient peut-être. Maintenant, j’écris la suite de l’histoire sur mon site web. Le quatrième chapitre est en ligne et le cinquième le sera bientôt.

Quel est le rôle des médias sociaux sur votre site web?

Je tente quelque chose de très spécial: je fais un «ping-pong poétique» sur Twitter. J'ai commencé à twitter et j'ai décidé que mes tweets devraient toujours rimer. J’espère ainsi civiliser un peu le langage sur Twitter et sur les réseaux sociaux en général. Après que j'ai commencé, de plus en plus d'adeptes se sont mis à me répondre eux aussi en rimes. Et les meilleures rimes sont désormais disponibles sur le site à la rubrique «Poesie-Ping-Pong», avec chaque jour de nouveaux échanges. Ce ne sont là que quelques-unes des choses à découvrir sur le site.

Que pense votre éditeur de ce modèle de distribution directe sur le site?

Il ne s'agit pas d'un véritable modèle d’affaires. Le site n'est pas gratuit, il faut s'y inscrire. En Suisse, l'abonnement coûte 6 francs par mois ou 60 francs par an. De plus, dès qu’il y a suffisamment de contenus sur le site, ils sont publiés par mon éditeur Diogenes dans des ouvrages normaux. Il n'y a donc pas de concurrence avec les livres imprimés. Le site web est plutôt une extension de ce que je fais par ailleurs. Mes livres sont désormais disponibles sur internet, un téléphone portable ou une tablette. À l'inverse, je souhaiterais ramener un jour le contenu pour téléphone portable et tablette sous forme imprimée, dans un beau livre, à l’ancienne, qui sente bon.

Comment vous en sortez-vous jusqu’à présent avec votre site web?

Mieux qu'avec la première version du site, qui était un peu trop littéraire. C'était très bien typographié, mais tout se ressemblait. Le numérique demande que l’on soit plus divertissant et la deuxième version du site est beaucoup plus variée. On peut par exemple y voir comment Stephan Eicher et moi composons une chanson, ou écouter un jam avec son groupe après les répétitions. Il y a aussi des bandes-annonces de films basés sur mes scénarios ou des adaptations de mes romans. Il se passe beaucoup de choses sur le site et je veux que les visiteurs le remarquent. La version actuelle du site est donc plus colorée et plus ludique, et elle a davantage de succès.

C’est donc un susccè?

A dire vrai, pour l'instant, nous ne pouvons pas couvrir les coûts. A un certain moment, il faudra faire le bilan et décider si nous poursuivons le projet ou l’abandonnons après deux ans d'amusement. Mais je suis très optimiste, parce que le site ne cesse de s’améliorer. Ces derniers temps, nous avons supprimé certains éléments perturbateurs et résolu par exemple un problème technique qui obligeait les utilisateurs à saisir leurs données de paiement alors qu'ils voulaient juste tester notre abonnement gratuit. Il est compréhensible que cela ait retenu de nombreuses personnes. Mais depuis un bon mois, tout se déroule comme prévu.

Selon vous, quel sera l'impact de la numérisation sur le domaine de l'écriture dans les années à venir?

C'est difficile à dire. Je pense que le livre imprimé reste quelque chose de spécial et de précieux. C'est un objet magnifique et évocateur. La numérisation ne sonnera pas la fin du livre imprimé, mais la demande va certainement diminuer. Je le constate moi-même: je ne lis pas moins qu'avant, mais différemment et sur différents supports. Monsieur Trump m'a fait lire régulièrement le Washington Post, Politico et le New York Times. Ces temps, je lis moins Gottfried Keller, par exemple.

Mais la numérisation ne change pas que la lecture?

La numérisation ne change pas seulement la façon dont les gens lisent. D’autres médias deviennent plus accessibles et gagnent en popularité. Aujourd'hui, on peut se passer de merveilleux films et séries à la maison au lieu d'aller au cinéma. Le fait que les équipements soient toujours meilleurs et plus abordables participe à ce développement. Compte tenu de ces changements, les éditeurs ne pourront pas éviter d’expérimenter eux-mêmes de nouvelles choses. Et je dois moi aussi suivre ces évolutions tant que je peux me le permettre et que cela m’amuse. Martin-Suter.com est un site qui apporte de la joie et de la variété dans le quotidien.

> Le site de Martin Suter

> Ses livres chez Payot

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