Interview exclusive

Une Ecole 42 pourrait voir le jour à Lausanne

Calquée sur le concept 42 développé par Xavier Niel, une école d’informatique inédite sans professeur pourrait voir le jour en 2021 à Lausanne. ICTjournal s’est entretenu avec les instigateurs du projet, Christophe Wagnière, DSI de la HES-SO jusqu’à fin août, et Serge Reymond, ex-membre de la direction générale de Tamedia et aujourd’hui administrateur indépendant.

Les instigateurs du projet, Serge Reymond, ex-membre de la direction générale de Tamedia, et Christophe Wagnière, DSI de la HES-SO jusqu’à fin août.
Les instigateurs du projet, Serge Reymond, ex-membre de la direction générale de Tamedia, et Christophe Wagnière, DSI de la HES-SO jusqu’à fin août.

Une école d’informatique inédite pourrait voir le jour en 2021 à Lausanne et former chaque année jusqu’à 200 développeurs. Le projet s’appuie sur 42, un concept d’école gratuite, sans professeur, sans pré-acquis, privilégiant l’apprentissage hands-on et collaboratif «en immersion», et misant sur l’émulation entre étudiants. Imaginée par Xavier Niel et lancée à Paris en 2013, l’Ecole 42 a déjà essaimé aux quatre coins du globe et pourrait accueillir ses premiers élèves romands l’été prochain si les partenaires sont au rendez-vous. C’est l’ambition des deux instigateurs du projet, Christophe Wagnière, DSI de la HES-SO jusqu’à fin août, et Serge Reymond, ex-membre de la direction générale de Tamedia et aujourd’hui administrateur indépendant, que ICTjournal a rencontrés il y a quelques jours.

Qu’est-ce qui motive votre projet de lancer une Ecole 42 en Suisse?

Serge Reymond: La Suisse souffre d’une pénurie de développeurs et le problème ne va pas se résoudre, puisqu’entre les nouveaux diplômés et les départs à la retraite, on prédit qu’il manquera quelque 40’000 informaticiens en 2026. L’Ecole 42 est une réponse à cet enjeu.

Christophe Wagnière: Lorsque j’ai découvert l’Ecole 42, j’ai tout de suite pensé qu’il serait intéressant que cette solution qui a fait ses preuves dans plusieurs villes dans le monde, trouve aussi sa place en Suisse romande. Etant à la fois responsable IT et formateur, je suis sensible à la pénurie d’informaticiens, mais aussi au modèle pédagogique de l’Ecole, que je connais bien. L’idée est de proposer une vraie formation de longue durée qui soit complémentaire aux cursus existants et permette d’augmenter le nombre d’informaticiens dans la région. Notre objectif est de former 150 à 200 personnes par année.

Quel est pour vous le trait distinctif le plus important d’Ecole 42?

C. Wagnière: L’aspect le plus disruptif, c’est d’être une école sans professeur. On se concentre sur l’apprentissage plutôt que sur l’enseignement. Pour y parvenir, le système s’appuie sur des techniques de gaming qui vont stimuler l’étudiant, et sur la collaboration entre pairs. On apprend ensemble, on découvre ensemble, on se challenge et on s’évalue les uns les autres…

S. Reymond: L’Ecole a aussi ceci de nouveau qu’elle est ouverte à tous: elle est gratuite et il n’y a pas de prérequis pour s’y inscrire. On offre ainsi à tous les talents la possibilité de se développer, notamment à ceux pour lesquels l’école classique n’est pas adaptée.

La Suisse propose déjà une formation alternative avec l’apprentissage…

C. Wagnière: Effectivement, mais celui qui veut aller plus loin et rejoindre une HES ou une université n’a pas d’autre choix que la maturité professionnelle qui requiert des capacités scolaires, faire des maths, de l’allemand, etc. Avec l’Ecole 42, nous pouvons attirer des profils qui n’ont pas ce goût, ces compétences, qui ont fait d’autres choix ou qui n’ont peut-être pas osé faire de l’informatique et croire en leur chance, y compris des profils en reconversion professionnelle.

S. Reymond: C’est un complément aux formations existantes. Il y a un tel besoin en informaticiens qu’il faut utiliser toutes les voies disponibles, l’Ecole 42, l’apprentissage, les HES, les EPF, les écoles privées, etc.

Quelles collaborations envisagez-vous avec les entreprises de la région?

S. Reymond: Nous avons besoin des entreprises privées de la région à deux titres. D’abord comme mécènes afin d’assurer le financement de la formation, dont le coût est peu élevé, autour de 3’500 francs par an et par étudiant. Ensuite, nous cherchons des entreprises qui puissent proposer des stages aux étudiants, un élément clé de la formation.

C. Wagnière: Le projet de l’Ecole 42 réunit deux groupes: des personnes cherchant à trouver un métier dans le numérique, et des entreprises ayant besoin de ressources compétentes dans le domaine. L’école n’a pas de sens si cette rencontre ne se produit pas. La recherche de mécènes permet aussi de tester le besoin des entreprises de disposer de talents.

Comment avez-vous développé un partenariat avec Ecole 42?

C. Wagnière: J’ai rencontré les responsables de 42 début 2020 et nous avons conclu un Memorandum of Understanding qui nous permet de développer le projet d’ouverture d’un campus à Lausanne. La chose a été facilitée par le fait que l’Ecole 42 a aujourd’hui une vraie volonté de développer un réseau d’écoles. Ce qui distingue notre initiative par rapport à d’autres pays, c’est que le projet n’est pas porté par une organisation publique ou une grand groupe privé (comme Telefonica en Espagne), mais par un ensemble d’entreprises, ce qui ralentit un peu la démarche.

De quelles compétences disposera la personne sortant d’Ecole 42?

C. Wagnière: A la base, les participants apprennent à développer, c’est une école de codeurs, mais on y fait aussi de l’administration système, de la sécurité, du réseau, de la gestion de projet, etc. Cela étant dit, je pense que la clé réside dans les soft skills que les étudiants développent durant le cursus.

S. Reymond: Pour être reçus, il faut passer par un test que ne réussissent que 10% des candidats, puis ils passent un mois de mise en condition intensive dans ce que l’on appelle «la piscine», à l’issue de laquelle seul un tiers sont retenus. Pour réussir, il faut donc de la technique, mais aussi de la passion et de la détermination à réussir. Tout au long de la formation, les participants développent leur capacité à résoudre des problèmes, à collaborer, à résister à la pression du temps, à être évalué sur la qualité de leur travail, à être confrontés à l’échec. Ce sont des compétences précieuses qui font la différence dans le monde professionnel.

Avez-vous trouvé des locaux?

C. Wagnière: Nous projetons d’ouvrir Ecole 42 à Renens au sein des locaux d’Univercité, l’espace d’innovation de la fondation Inartis. Aujourd’hui, c’est une surface de 3000 m2 à laquelle vont s’ajouter 6000 m2 dont nous devrions occuper le rez-de-chaussée. C’est un espace proche de l’ECAL et de l’EPFL, qui mêle des jeunes pousses, l’incubateur MassChallenge, du coworking, avec un côté industriel, autant de choses qui conviennent très bien à notre projet.

Quels seront vos propres rôles dans l’Ecole?

S. Reymond: Mon rôle, c’est de trouver le financement pour les cinq premières années, de faire en sorte qu’il y ait une forte interaction entre les entreprises mécènes et les étudiants, et d’assurer la pérennité du projet au-delà des 5 ans.

C. Wagnière: Mon rôle, c’est d’être le directeur l’école à son lancement, de créer les conditions cadre, de réunir une équipe, de donner l’esprit du campus 42. Je vais aussi m’occuper de la relation avec les entreprises, puisque nous devrons trouver 150 à 200 places de stage. On a par ailleurs déjà identifié mon bras droit, qui sera le directeur opérationnel du site et qui gérera la construction technique du site et l’animation de l’école au quotidien. C’est quelqu’un qui connaît bien le concept puisqu’il vient de l’Ecole 42 Paris, qui l’a suivie lui-même et qu’il a installé plusieurs écoles du réseau.

Dates & chiffres

  • Démarrage prévu: 7 juin 2021 avec l’ouverture de la première «piscine» (1 mois d’immersion/sélection)

  • Capacité: 150 à 200 nouveaux étudiants par an

  • Durée de la formation: environ 3 ans

  • Budget: CHF 7 millions pour 5 ans (environ 1,5 million par an de coût de fonctionnement à plein régime avec 500 étudiants)

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