Interview

Frédéric Pannatier, Hublot: «Les CIO doivent changer et devenir des marketers»

| Mise à jour
par Interview: Rodolphe Koller

Quel est l’impact des usages numériques sur l’informatique des sociétés horlogères? En entretien avec la rédaction d’ICTjournal, Frédéric Pannatier explique l’importance de la collaboration et du partage des responsabilités entre marketing et IT.

(Quelle: Hublot)
(Quelle: Hublot)

On parle beaucoup de l’essor du digital dans le luxe. Comment s’organise la collaboration entre IT et marketing chez Hublot?

Les initiatives digitales sont du ressort du marketing tandis que le département IT se charge des technologies. Il est néanmoins crucial que ces deux fonctions communiquent et ne travaillent pas en silos, car l’énergie doit être investie dans la stratégie digitale, et pas dans le développement technique.

Projetez-vous la création d’un poste de Chief Digital Officer pour chapeauter le digital et l’IT?

La démarche est sensée. Au-dessus du CIO, un Chief Digital Officer devrait avoir les moyens et la mainmise sur les systèmes qui sont nécessaires à la mise en œuvre d’une véritable stratégie omnichannel, par exemple. Il y a une réelle prise de conscience de l’importance du digital au niveau du groupe LVMH, mais il n’y a pas pour l’heure de projet de réorganisation avec la création d’un tel poste au niveau de Hublot.

Beaucoup de projets digitaux ont une composante technologique. Comment organisez-vous concrètement la répartition des tâches entre marketing et IT?

Cela dépend des domaines. Par exemple, pour la publicité digitale et le SEM (search engine marketing), le marketing n’a guère besoin de l’IT. Il s’agit surtout de sélectionner les bons espaces et les bons mots et de s’appuyer sur des agences spécialisées. Idem pour les réseaux sociaux où l’essentiel repose sur les plateformes tierces de Facebook, Twitter et consorts. En revanche, pour le CRM, le ROPO (research online, purchase offline), le web-to-store ou l’omnichannel, il est difficile de se passer de l’IT qui a la mainmise sur les processus et systèmes sous-jacents. Il y a typiquement des implications sur les stocks ou sur les numéros de série qui requièrent une intégration avec l’ERP.

Cette demande dans le domaine digital nécessite-t-elle de nouvelles compétences côté IT?

Il faut des départements informatiques orientés marketing, car cette fonction va devenir un utilisateur de technologies aussi important que la production ou la logistique.. Historiquement, l’IT s’est d’abord occupée des technologies, puis, plus largement, des processus de l’information, et maintenant il est à nouveau nécessaire de passer à un échelon supérieur. Je pense que les CIO eux-mêmes doivent changer et devenir des marketers. Je déteste entendre des personnes au sein de mon département dire «le business veut ceci ou cela», car cela signifie que l’on se considère en dehors du business. Dans le rapprochement entre le marketing et l’IT, c’est l’IT qui a le plus de travail à faire. Pour le marketing, c’est une question d’apprentissage, tandis que l’informatique doit changer de culture et de philosophie.

Faut-il que l’IT devienne en plus une force de proposition dans le domaine digital?

Clairement, l’IT doit aussi apporter des idées. Pour moi, un bon CIO est celui auquel on doit dire de temps en temps: «Ecoute, on n’est qu’au 21ème siècle, pas encore au 22ème». Il doit être aux aguets, savoir ce qui se passe dans la Silicon Valley, et pousser les autres fonctions vers l’innovation liée aux nouvelles technologies. Si l’informatique a beaucoup à apprendre, elle a aussi beaucoup à apporter. Aujourd’hui par exemple, un site internet est devenu un outil de gestion et l’IT est plus compétente pour évaluer une solution économique, évolutive et à même de durer, alors que le marketing aura davantage tendance à privilégier l’aspect graphique au détriment du reste. Il est désormais nécessaire de trouver un compromis au  risque d’investir davantage d’énergie dans le changement d’outil et le développement, plutôt que dans la communication à proprement parler.

Quel est l’impact de ces changements sur les opérations et systèmes IT?

Les opérations et l’infrastructure doivent être flexibles. Il faut continuer de s’occuper de la base qui doit bien fonctionner avec un helpdesk efficace. Il faut plus que jamais un pool ERP fort et un pool applicatif formé de généralistes, capables de comprendre une grande variété de besoins et de collaborer avec des agences digitales.

Avez-vous davantage besoin de développeurs à l’interne?

Non, pas vraiment. Vous savez, il faut un grand nombre de métiers pour fabriquer une montre et c’est la même chose pour le développement. Prenons pour exemple nos certificats digitaux permettant de vérifier l’authenticité d’une montre. Si vous voulez les développer à l’interne, il vous faut des compétences en chiffrement, mais aussi des développeurs frontend et backend pour la plateforme internet, et sans doute des spécialistes du mobile, etc. Il n’est pas envisageable pour une structure de notre taille de disposer de toutes ces ressources à l’interne. En revanche, il pourrait être intéressant d’avoir quelques développeurs généralistes. Cela permettrait d’être plus réactifs, et d’effectuer par exemple rapidement des petites retouches dans une app mobile, sans avoir à mandater une agence.

Comment vous assurez-vous de la gouvernance des applicatifs par rapport à l’autonomie dont jouit le marketing en matière de digital?

Le paysage applicatif est de la responsabilité du CIO. La tâche peut être difficile lorsque les développements ne sont pas centralisés. Il n’est pas indispensable que l’IT valide une solution utilisée temporairement pour un événement et représentant un risque mineur. En revanche, il faut faire attention pour les logiciels plus importants qui s’inscrivent dans la cartographie applicative. Notamment lorsque les fournisseurs essaient par tous les moyens de contacter directement les autres fonctions, cela peut être difficile. Pour y remédier, il faut encore une fois une proximité entre IS&T et marketing.

Utilisez-vous des solutions cloud?

Nous utilisons le SaaS de Salesforce pour les fonctions marketing et commerciales B2B. Certains  applicatifs s’appuient via des API sur les données hébergées dans Salesforce. Nous sommes aussi en train de migrer notre messagerie et nos outils bureautiques dans le cloud avec Office 365.

Et au niveau de l’infrastructure aussi?

Nous utilisons une forme de cloud dédié pour notre hébergement web, mais, pour le reste, nous employons notre propre datacenter. Il serait d’ailleurs, à ma connaissance, impossible aujourd’hui de faire tourner nos logiciels 3D dans le cloud. Mais les choses vont sans doute évoluer. Au moment de renouveler notre infrastructure, nous profitons d’évaluer le cloud pour réduire nos coûts, notamment en matière de DRP, avec un travail d’optimisation sur la virtualisation et le stockage.

Quels sont les projets qui vont le plus vous occuper ces prochains mois?

Il y a bien sûr des projets dont je ne peux pas parler. Mais je dirais que les principaux axes vont toucher à l’omnichannel et à l’équipement des boutiques, car c’est là que l’on pourra faire la différence. Un autre enjeu important concerne le CRM et l’exploitation des données clients. Jusqu’à présent, l’horlogerie ne maîtrisait guère son canal de distribution. Or, aujourd’hui, les clients demandent une relation directe avec la marque, ils veulent être reconnus et avoir une expérience homogène quel que soit le canal employé. Il faut répondre à ces nouvelles attentes.

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