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Les chiffres sur l’usage de l’IA sont-ils surestimés?

Selon une étude allemande, les gens pensent que les entreprises recourent massivement à l’intelligence artificielle, alors que ce n’est pas le cas. Quelques pistes d’explication.

Photo: AlphaTradeZone/Pexels
Photo: AlphaTradeZone/Pexels

Il y a quelques semaines, Bitkom publiait les résultats d’un sondage inédit sur l’usage de l’intelligence artificielle. L’étude de l’association faîtière des entreprises digitales allemandes montre un écart gigantesque entre l’usage réel de l’IA dans les organisations et la perception du public. Ainsi, alors que trois quarts des sondés pensent qu’une majorité d’entreprises recourt à la publicité personnalisée, ce n’est le cas que dans 4% des organisations. Et 8% croient que la plupart des sociétés présélectionne les candidats au recrutement avec de l’IA, alors qu’aucune ne le fait. «On a beaucoup parlé des algorithmes discriminatoires dans la sélection des candidats - et peut-être avons-nous un peu perdu de vue que cette technologie n'est pas encore utilisée en Allemagne», commente Achim Berg, président de Bitkom.

Il y a fort à parier que si la même étude était conduite en Suisse, on aboutirait à des résultats semblables. Alors, comment expliquer cette différence? L’emploi de l’IA est-il si marginal? Quelques hypothèses d’explication.

Perception gonflée par l’exposition à l’IA

Première explication. Si la population surestime l’emploi de l’IA par les entreprises, c’est qu’elle y est déjà massivement exposée. La plupart des études montrent que l’IA est bien davantage utilisée par les plus grandes entreprises et par les sociétés digitales - des sociétés jouissant d'une grande visibilité. On est exposé à de la publicité taillée sur ses recherches sur internet, on se voit recommander des produits sur les sites e-commerce, on se voit de plus en plus proposer d’utiliser un chatbot pour converser avec sa banque, son assureur, ou les autorités, et on entend beaucoup parler des usages problématiques de l'IA. Il est somme toute naturel d’en déduire que ce sont là des pratiques qui concernent un grand nombre d’entreprises. On peut d’ailleurs noter, que le public est plus nombreux à surestimer les usages qui lui sont visibles, comme la réponse automatique au service client, et moins des usages en coulisses, comme la maintenance prédictive.

Chiffres sur les entreprises gonflés par des biais de sélection

Deuxième explication. Le public est souvent exposé à des études indiquant des chiffres supérieurs à la réalité, dont il conclut que c'est la norme. Contrairement à l’étude représentative de Bitkom, la plupart des enquêtes sur l’adoption de l’IA dans les entreprises sont gonflées par un biais de sélection. Elles tendent à interroger surtout des grandes sociétés ou sont conduites par des fournisseurs IA qui sondent avant tout leurs propres clients et prospects. L’enquête réalisée chaque année par ICTjournal auprès de CIO romands n’est pas non plus représentative, puisque les responsables interrogés travaillent surtout pour des grandes sociétés de la région. Ainsi, lors de la dernière édition de l’étude, 28% des DSI nous indiquaient déployer ou utiliser déjà de l’IA - un chiffre évidemment supérieur à la situation de l’ensemble du tissu économique romand, de l’hôtellerie aux artisans.

Et si l’adoption de l’IA était en fait plus élevée?

Troisième explication. Les chiffres de Bitkom sont peut-être bien inférieurs à la réalité. Pour la bonne raison que les entreprises sondées recourent à l’IA sans le savoir, à l’insu de leur plein gré, comme qui dirait. D’une part, elles exploitent ces technologies indirectement, lorsqu’elles placent des publicités sur des plateformes internet, par exemple en vendant des produits sur la marketplace d’Amazon. D’autre part, les entreprises même petites s’appuient sur l’IA embarquée dans les logiciels qu’elles utilisent au quotidien, que ce soit pour gérer les des stocks, segmenter la clientèle, trier les dossiers de candidature ou simplement traduire une lettre. Et cet usage camouflé va sans doute s’étendre. Dans une enquête récente de Deloitte, 74% des cadres sondés estimaient que l’IA sera intégrée à toutes leurs applications professionnelles dans les trois ans.

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