Conseils d’administration

Quel rôle pour les conseils d’administration dans la transformation numérique?

En nommant des managers rompus au numérique, en développant leurs compétences, en modifiant parfois leur organisation, les conseils d’administration cherchent à mieux répondre aux enjeux éminemment stratégiques et de risques de la transformation numérique. Outre leur rôle de contrôle, ils peuvent être d’un grand soutien pour les investissements et efforts de longue haleine dans lesquels s’engagent les directions.

Début mai, l’Assemblée générale de la Poste a nommé Maria Teresa Vacalli comme nouvelle membre du Conseil d’administration. Administratrice de plusieurs sociétés, cette ingénieure tessinoise a occupé des postes de direction chez Cablecom et Sunrise et elle était jusqu’à récemment à la tête de la néo-banque Cler. «Grâce à son expérience et à ses connaissances dans le domaine du numérique et des banques, Maria Teresa Vacalli représentera un atout considérable au sein du Conseil d’administration de la Poste», souligne le communiqué du géant jaune. Un choix qui n’est guère surprenant quand on sait les ambitions numériques et la profonde mutation de l’entreprise qui occupent à n’en pas manquer les séances de son conseil d’administration. Et ce n’est pas un cas isolé: le thème de la transformation numérique est aujourd’hui à l’agenda des conseils d’administration de la plupart des entreprises. «Dès lors que l’on comprend que, bien plus qu’un projet technologique, la transformation numérique est un sujet stratégique, il est logique que les conseils d’administration s’en emparent. Sans compter que cette transformation a un impact sur les priorités et les risques», explique Aline Isoz, spécialiste du numérique et administratrice de plusieurs sociétés, dont Alpiq, les SIG ou encore le Conseil de la Fondation suisse pour paraplégiques.

Ces deux mêmes motifs – la stratégie et les risques – reviennent dans les mots des autres administrateurs et experts sondés par ICTjournal pour justifier l’agenda numérique des conseils. L’organe n’est-il pas chargé selon Economiesuisse de «définir les objectifs stratégiques et les moyens généraux pour y parvenir» et de «veiller à ce que la gestion des risques et le système de contrôle interne soient adaptés à l’entreprise». Ainsi, pour la plupart des administrateurs, la stratégie numérique fait aujourd’hui partie intégrante de la stratégie de l’entreprise. La numérisation est aussi en tête des sujets traités par les conseils d’administration suisses en 2021, selon la dernière enquête swissVR Monitor (graphiques 1 et 3). Et la thématique est à n’en pas douter abordée dans les autres sujets à l’agenda des conseils, qu’il s’agisse de talents, de concurrence, de risque, d’optimisation des processus, de go-to-market ou de conformité.

Comment s’emparer du sujet?

Si le thème de la transformation numérique s’impose par la force des choses, les conseils d’administration ne lui accordent pas tous la même importance. Dans leur grande majorité, les administrateurs sondés dans le cadre du swissVR Monitor estiment consacrer suffisamment de temps pour s’informer des défis du numérique et réfléchir à la stratégie de l’organisation en la matière. Il est bien plus rare en revanche que les discussions portent sur les questions éthiques soulevées par la numérisation. «Je regrette que le sujet soit surtout traité sous l’angle technologique, et que l’on s’intéresse bien moins à l’impact du numérique sur le modèle d’affaires, la culture, les talents, ou encore sur la société et l’environnement», témoigne Aline Isoz.

La complexité, l’importance et les multiples dimensions et impacts de la transformation numérique exigent des conseils d’administration de réfléchir à la façon dont ils s’en emparent. «Des discussions avec des dizaines de membres de conseils d’administration révèlent que la transformation numérique accroît le périmètre du mandat du conseil, ouvrant de nouveaux fronts de risque et de concurrence, expliquent des spécialistes de McKinsey dans la Harvard Business Review (1). Pour relever le défi, il n’est pas nécessaire de réinventer complètement le modèle du conseil d’administration, mais il est nécessaire de recalibrer de manière réfléchie les domaines dans lesquels les administrateurs doivent concentrer leurs énergies».

Dans cette optique, il arrive – plutôt rarement selon le swissVR Monitor – que les conseils d’administration se dotent d’un comité dédié au numérique comme il en existe pour les risques. C’est le choix qu’a fait le conseil d’administration de l’ECA. Pour son vice-président Aimé Achard, la structure a notamment l’avantage de pouvoir se plonger davantage dans les questions de transformation numérique et de prémâcher les sujets les plus importants pour le conseil d’administration (lire interview).

Monter en compétences

Pour traiter efficacement les enjeux de transformation numérique, les conseils d’administration doivent aussi disposer de compétences dans le domaine. En 2019, seuls 40% des nouveaux membres de conseil d’administration des Fortune 500 disposaient d’expérience dans le numérique, selon l’analyse du cabinet de conseil Heidrick & Struggles (2). En Suisse, rares sont les administrateurs à être convaincus que leur conseil a le savoir-faire pour poser les bons jalons en la matière – précisons qu’ils ne sont guère plus nombreux à juger la direction parfaitement compétente dans le domaine (graphique 4).

A terme, la situation s’améliorera sans doute à mesure que de nouvelles générations rejoindront les conseils. Pour l’heure, les entreprises y répondent en nommant des profils ayant de l’expertise et de l’expérience dans le numérique au sein de leur conseil: Aline Isoz est depuis longtemps active dans le domaine, Aimé Achard a dirigé l’IT de la Banque cantonale vaudoise, et Maria Vacalli vient des télécoms et de la banque en ligne. Professeur à l’IMD, Michael Wade avertit toutefois: nommer un cadre de Google ne signifie nullement qu’il a de l’expérience dans la transformation numérique…

Reste qu’offrir des compétences en vogue est un bon moyen d’entrer dans un conseil d’administration expliquait récemment Fabienne Meier de la société de recrutement de cadres Knight Gianella & Partner au site finews.ch (3): «Si l’expertise en matière de numérisation était auparavant très demandée, les compétences en matière de gouvernance environnementale et de questions sociales, ainsi que le cyber-risque, sont des priorités absolues à l’heure actuelle». Qu’ils portent la casquette numérique, ESG ou cyber, ces administrateurs profilés courent cependant le risque de se retrouver seuls interlocuteurs intéressés lorsque leur sujet de prédilection est abordé.

Outre le recrutement de managers profilés, les conseils peuvent aussi développer les connaissances de leurs membres existants et/ou lors de l’onboarding des nouveaux membres. A la tête d’un programme de formation de l’IMD précisément destiné aux administrateurs désireux de monter en compétences dans le numérique, Michael Wade connaît bien le sujet. Il explique: «Les administrateurs qui suivent notre formation ont souvent des profils financiers et n’ont en général pas d’expérience avec le numérique. Ils ont le sentiment de ne pas pouvoir participer et contribuer efficacement aux discussions du board sur le sujet. Notre formation n’a pas vocation à en faire des experts, mais de leur donner les connaissances et les outils pour qu’ils puissent être proactifs et challenger la direction quant à la capacité de l’entreprise de répondre aux bouleversements du numérique».

Quel soutien à la direction et à l’IT?

Michael Wade souligne par ailleurs que les administrateurs ne sont pas seulement là pour contrôler et challenger: fort de leur compréhension du numérique ils sont aussi là pour soutenir les efforts et approuver les investissements nécessaires à la transformation numérique. «Les conseils d’administration déterminés à ouvrir la voie de la transformation numérique doivent favoriser une culture qui récompense l’innovation et le changement et ne pénalise pas l’échec. Cela commence par le soutien de la réflexion à plus long terme nécessaire pour parier sur d’énormes investissements qui ne seront peut-être pas rentables avant des années», abondent les experts de Heidrick & Struggles. Pour les spécialistes de McKinsey, le conseil d’administration peut précisément pousser cette perspective à long terme: «Les horizons d’investissement de nombreuses entreprises ont tendance à être trop axés sur le court terme. Cependant, en développant une vision claire de la valeur à long terme, le conseil d’administration peut faire pression sur l’entreprise pour qu’elle engage les dépenses d’exploitation et d’investissement pluriannuelles nécessaires à la capture de cette valeur». Ils ajoutent que les conversations entre le conseil et la direction doivent porter sur la valeur et les sources de revenus que peut générer le numérique, et pas seulement sur les gains d’efficacité et réductions de coûts.

Par leur compréhension du numérique et de ses défis, les administrateurs avertis peuvent aussi devenir de précieux alliés de la direction et de l’IT. «Je cherche à rencontrer le responsable IT et à en faire un partenaire. Je peux être un levier, aider à ce qu’il obtienne des ressources, par exemple en matière de cybersécurité», explique Aline Isoz. C’est aussi dans cette optique que le conseil d’administration de l’ECA a intégré le CEO et le CIOO dans son comité dédié au numérique. «La direction comprend que le comité peut l’aider et faciliter la transmission des projets au conseil d’administration», explique Aimé Achard.

(*) Références:

  1. «5 Questions Boards Should Be Asking About Digital Transformation», Harvard Business Review, juin 2021

  2. «Boards’ role in sustaining digital transformation», Heidrick & Struggles, 2020

  3. «How Do I Get onto the Board of a Swiss Company?», finews.ch, 06.05.2022

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