Accord entre éditeur et pharma

Quand un logiciel de santé dope illégalement la prescription d'opioïdes

Utilisée dans environ 30’000 cabinets aux Etats-Unis, une solution cloud de dossier médical du patient poussait les praticiens à prescrire des opioïdes, dans un pays où la dépendance à ces analgésiques est un véritable fléau. L’éditeur a été payé par une entreprise pharma pour concevoir des notifications incitatives.

Pilule à base d’oxycodone, un puissant opioïde. (Source: Psihedelisto/CC0)
Pilule à base d’oxycodone, un puissant opioïde. (Source: Psihedelisto/CC0)

Aux Etats-Unis, l’accord illégal entre un éditeur de logiciels de santé et un fabricant de médicaments a fortement incité des médecins à prescrire des opioïdes. Selon Reuters, la solution cloud de dossier médical du patient mise au point par Practice Fusion générait des notifications invitant les médecins à évaluer la douleur d’un patient. Les médicaments opioïdes étaient ensuite indiqués comme l’une des options de traitement à privilégier dans un menu déroulant. Or, cette fonctionnalité n’avait rien de neutre puisque Practice Fusion a été rémunéré par Purdue Pharma, fabricant d’opioïdes, pour concevoir l’interface de la sorte.

230 millions de notifications

L’affaire est traitée par le tribunal fédéral du Vermont. Entre 2016 et 2019, la notification incitative a été déclenchée environ 230 millions de fois, selon des documents judiciaires auxquels a eu accès Reuters. Practice Fusion aurait reçu environ 1 million de dollars pour répondre à la demande de l’entreprise pharma, à savoir de concevoir un logiciel en mesure d’enrayer la baisse de ses ventes, phénomène dû à une sensibilisation accrue du public aux risques de dépendance. Le système avait spécifiquement pour objectif de doper le nombre de prescriptions pour des opioïdes hautement addictifs. Purdue Pharma commercialise des médicaments à base d’oxycodone, un puissant analgésique pointé du doigt dans un contexte où la dépendance aux opioïdes est depuis plusieurs années un véritable fléau aux Etats-Unis. Depuis 1999, les décès par surdose dus aux opioïdes ont été multipliés par près de six, selon la Drug Enforcement Administration.

30’000 cabinets médicaux

Selon Bloomberg, Practice Fusion aurait conclu des accords similaires avec 14 fabricants d'autres médicaments. L’éditeur logiciel n'a toutefois pour l’heure reconnu que l'accord concernant les prescriptions de traitements à base d’opiacés. Fondé en 2005 à San Francisco, Practice Fusion est depuis 2018 une filiale d’Allscripts Healthcare Solutions, qui a précisé à Bloomberg que le deal datait de bien avant son rachat de l’éditeur, lequel ferait désormais l’objet de mesures renforcées en matière de conformité. La solution de Practice Fusion serait utilisée dans environ 30’000 cabinets.

A l’heure où la digitalisation du secteur de la santé suscite le débat et que le dossier électronique du patient s’apprête à être généralisé en Suisse, cette affaire illustre les dérives possibles de telles solutions. Lesquelles sont vendues comme des outils promettant d'optimiser les prises de décision des médecins et d’améliorer la prise en charge des patients.

Tags
Webcode
DPF8_168752