Bernard Sulliger, Prolinks: «Chaque entreprise IT romande peut trouver preneur, à condition d’être rentable»
À la tête de Prolinks Partner, Bernard Sulliger accompagne depuis plusieurs années les transmissions de PME IT romandes. En interview, il explique les méthodes d’évaluation, les motivations des vendeurs et les critères essentiels aux yeux des acquéreurs.
Pouvez-vous présenter Prolinks et retracer votre parcours dans l’IT?
Je suis dans l’informatique depuis le début de ma carrière. Après avoir été responsable informatique pour un grand groupe de presse, j’ai co-fondé ma première société de services IT en 1996. Je l’ai revendue à un groupe coté en bourse, GFI, au sein duquel j’ai travaillé plusieurs années comme dirigeant. Ensuite, j’ai créé une autre société dans le domaine de la business intelligence que j’ai également cédée. En 2015, j’ai lancé le cabinet de conseil Prolinks Partner, que je voulais d’abord orienter vers les conseils stratégiques, avant de me concentrer sur les transmissions d’entreprises, en particulier dans l’IT. J’ai par ailleurs obtenu un CAS en fusion, acquisitions et transmissions d’entreprises et j’ai rejoint la Chambre suisse des experts en transmission d’entreprises, en vue de renforcer la reconnaissance professionnelle de cette activité.
Pourquoi vous êtes-vous tourné vers les fusions-acquisitions?
Par opportunité. Ma première transaction date de 2019 et j’ai vite compris que mes expériences passées, notamment en tant qu’entrepreneur ayant vendu mes propres sociétés, rassuraient les clients. Cela crée une forme de proximité et de confiance que les grands cabinets ne peuvent pas toujours offrir. J’ai donc professionnalisé cette activité et j’y consacre aujourd’hui 100% de mon temps.
Quelle est aujourd’hui la structure de votre cabinet?
J’ai démarré seul, mais j’emploie désormais un jeune consultant, Damien Rey, qui s’occupe des aspects techniques, et je collabore avec deux seniors du secteur IT: Patrick Joset et Francisco Vaquera. Ce sont d’anciens dirigeants expérimentés. Nous formons une structure légère et agile, entièrement spécialisée dans les transmissions IT.
Pourquoi rester concentré sur le marché IT romand?
Parce que le marché est très fragmenté: en Suisse romande, on compte environ 600 entreprises IT de plus de 10 personnes. Beaucoup ont été fondées dans les années 90 par des personnes aujourd’hui proches de la retraite. Autant de structures concernées par des enjeux de transmission. C’est aussi un secteur en perpétuelle évolution: certaines entreprises choisissent donc de s’adosser à des groupes plus solides pour rester compétitives. Enfin, je dispose dans l’IT d’un réseau très étendu, ce qui me permet d’identifier rapidement des acquéreurs mais surtout des entreprises prêtes à envisager une cession.
Les vendeurs sont-ils tous proches de la retraite?
Pas seulement. Le profil évolue. J’ai accompagné des entrepreneurs de 23 à 40 ans. Certains vendent après une première réussite pour se lancer sur un nouveau projet. C’est une approche plus cyclique de l’entrepreneuriat, très différente de celle de ma génération, qui restait souvent à la tête d’une entreprise toute sa carrière.
Qu’est-ce qui rend une entreprise IT attractive pour un acquéreur?
Chaque entreprise IT romande peut trouver preneur, à condition d’être rentable. Les acheteurs accordent aussi une grande importance à la récurrence des revenus, typiquement via des modèles d’abonnement. La propriété intellectuelle, les produits propres ou encore des compétences rares, comme en cybersécurité ou en intelligence artificielle, renforcent aussi fortement l’attrait d’une entreprise. La cybersécurité reste très demandée, même si les sociétés indépendantes sont de plus en plus rares. Le cloud, les solutions IA ou les logiciels spécialisés font également partie des segments prisés. Cela dit, même des sociétés plus «traditionnelles» peuvent intéresser des acquéreurs en quête de croissance externe ou de portefeuilles clients à consolider. À l’inverse, une forte dépendance à un seul client ou une rentabilité trop faible peut freiner une transaction.
Observez-vous une consolidation du marché romand?
Oui, clairement. Plusieurs groupes procèdent activement à des rachats pour constituer des ensembles plus solides. C’est le cas de Sequotech, de Swiss Expert Group ou encore de Dina, formé par le rachat successif de plusieurs sociétés IT romandes par des investisseurs financiers. Le groupe français AVA6, de son côté, a récemment acquis DotBase, une société genevoise. Leur objectif était d’avoir un pied en Suisse, où ils n’étaient pas encore présents. Ce type de transaction montre bien que l’attrait du marché romand dépasse les frontières. J’observe depuis environ un an un flux constant d’entrepreneurs français qui souhaitent acquérir une société en Suisse. Chaque semaine, nous recevons des sollicitations en ce sens. Certains ont des projets sérieux, mais d’autres cherchent simplement à fuir leur environnement fiscal ou n’ont pas de réelle vision. Or, la plupart des vendeurs que j’accompagne souhaitent transmettre à un repreneur qui partage une vision et qui fera vivre leur projet, pas seulement à un investisseur opportuniste.
Le marché est-il plus actif aujourd’hui qu’il y a quelques années?
Tout à fait. 2022 a été une année record et 2025 s’annonce presque équivalente. Les taux d’intérêt bas jouent un rôle important. Globalement, j’observe beaucoup d’acheteurs sur le marché actuellement et un peu moins de vendeurs.
Quel est votre modèle d’accompagnement?
Nous accompagnons les vendeurs de A à Z, souvent dès la phase de préparation stratégique, parfois plusieurs années avant la vente. Cela commence par une valorisation détaillée de l’entreprise, qui ne se limite pas aux chiffres: nous intégrons aussi des éléments comme la récurrence des revenus, la qualité des clients, la propriété intellectuelle ou les compétences distinctives. Ensuite, nous aidons à optimiser les éléments clés pour améliorer la valeur perçue: structure de l’offre, positionnement, gouvernance, efficacité organisationnelle. Il peut s’agir par exemple de mettre en place une force commerciale, de revoir la stratégie produit ou d’améliorer les marges. Tout cela se fait main dans la main avec la direction. Une fois l’entreprise prête, nous organisons les échanges, coordonnons les due diligences et accompagnons les négociations jusqu’à la signature. En moyenne, une vente prend environ une année. Nous travaillons généralement sur mandat exclusif.
De manière générale, les entreprises IT sont-elles suffisamment prêtes pour une vente?
Il y a de tout. Certaines pensent l’être, mais ne le sont pas. D’autres sont très bien préparées. Ce qui est souvent nécessaire, c’est une évaluation réaliste de la valeur. On commence donc par une valorisation approfondie qui prend en compte les revenus récurrents, les clients, les produits, etc. Cela permet aussi de fixer un seuil psychologique avec le vendeur, pour éviter les blocages au moment décisif.
Le facteur émotionnel est-il souvent sous-estimé dans une vente?
Oui. J’ai vu des vendeurs annuler la transaction après deux ans de travail, simplement parce qu’ils n’étaient pas prêts. C’est d’autant plus délicat que notre rémunération est souvent liée au succès. C’est pourquoi nous accordons de l’importance à la préparation en amont, tant sur le plan financier qu’humain.
Comment trouvez-vous les acquéreurs?
Nous travaillons beaucoup par réseau. Nous publions aussi des annonces sur des plateformes spécialisées, souvent européennes. En Suisse, l’offre est plus limitée, mais il existe des acteurs comme RelevePME.
Comment voyez-vous évoluer le marché romand dans les prochaines années?
Je reste optimiste. Le marché est en mouvement constant. De nouvelles entreprises se créent régulièrement, y compris par d’anciens fondateurs qui se relancent après une première cession. Cela garantit un renouvellement continu du tissu entrepreneurial.