Femmes dans l’IT: une minorité appréciée mais trop discrète
Si les entreprises IT se montrent plutôt réceptives aux apports de leur personnel féminin, elles peinent encore parfois à adapter leurs conditions-cadre aux aspirations féminines. La maigre représentation des femmes aux échelons supérieurs est par ailleurs souvent due à une pénurie de candidates.
En septembre, HP annonçait la nomination de Meg Whitman en tant que présidente et CEO; en octobre, IBM choisissait Virginia M. Rometty pour diriger le groupe au niveau mondial. En Suisse pourtant, il est encore relativement rare de croiser une femme aux étages supérieurs d’une entreprise technologique. La faute aux entreprises? Ou plutôt à une société qui écarte les filles de ce genre de profession dès la prime enfance? Comment favoriser l’éclosion et l’avancement des talents féminins dans l’IT? Témoignages.
Dorothée Appel, Magali Racloz, Assia Garbinato, Anne Bobillier et Barbara Yersin font partie de ces femmes qui ont achevé avec succès des études en informatique. Si elles ont des parcours très différents, toutes ont en commun une grande force de caractère. Elles nous décrivent un milieu exigeant où il faut faire ses preuves pour se faire une place, mais aussi où l’apport féminin compétent est très apprécié.
Préserver son identité féminine
Certes, certaines femmes témoignent avoir ressenti une certaine discrimination au moment de l’embauche par rapport à un risque de maternité ou à une charge de famille éventuelle – des réticences que l’on retrouve toutefois dans des domaines autres que l’IT. De manière générale pourtant, les femmes avec lesquelles nous avons parlé estiment plutôt que le fait d’être une minorité représente un atout. «Au niveau du recrutement, souligne Magali Racloz, à compétences égales, de nombreuses entreprises préféreront porter leur choix sur une femme, susceptible d'assouplir les relations au sein d’une équipe masculine». «En tant que femme programmeuse, j’ai toujours ressenti une attitude très positive de la part de mes interlocuteurs, agréablement surpris de pouvoir travailler avec une femme», relève pour sa part Barbara Yersin. «La mixité est source de richesse. Les soft skills, l’empathie d’une femme sont souvent très apprécies dans le management d’équipe», note enfin Assia Garbinato. «L’essentiel est de préserver son identité de femme, et de ne pas adopter un comportement masculin en pensant être ainsi mieux acceptée – un phénomène que l’on observe malheureusement parfois».
Un capital confiance à renforcer
Pourtant, si les femmes semblent bien intégrées dans leurs équipes, elles peinent parfois à monter en grade. «Effectivement, relève Anne Bobillier, les femmes se vendent souvent moins bien que les hommes et restent trop discrètes, n’osant pas revendiquer une promotion au contraire de leurs collègues masculin». Ainsi, selon l’étude Women in Technology parue en 2011, environ 90% des femmes du domaine IT interrogées estiment devoir remplir 75% ou plus des critères d’un poste ouvert pour oser soumettre leur candidature. Souvent, leurs collègues masculins ayant plus confiance en eux n’hésiteront en revanche pas à se mettre en avant, obtenant ainsi le poste pour lequel une femme aurait été en tout cas aussi qualifiée. Pour les auteurs de l’étude britannique, «les recruteurs doivent donc être très attentifs à la manière dont ils présentent les postes ouverts s’ils souhaitent attirer des candidatures féminines». Quant aux femmes elles ne devraient pas hésiter à se mettre en avant dès qu’une opportunité se présente.
Un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle
«Lorsqu’elle choisit un métier, une femme se préoccupe plus qu’un homme de la flexibilité accordée aux collaborateurs», souligne Dorothée Appel, CIO chez Microsoft Suisse. Les entreprises ont donc beaucoup à gagner à mettre en place des programmes de travail flexible plus efficaces, permettant à plus de femmes de réussir à mener de front vie familiale et professionnelle. «Microsoft Suisse accorde par exemple un congé maternité de 16 semaines payées à 100% et différentes possibilités de temps partiel pour les jeunes mères mais aussi les pères. De plus, chaque collaborateur peut demander un congé non payé de 4 semaines à 6 mois». «Permettre à une femme de conserver un poste à responsabilités en travaillant à 80%, notent plusieurs de nos sources, est dans l’intérêt de l’entreprise. En effet, la différence de productivité est souvent moindre, et en échange l’entreprise conserve une manager motivée et reconnaissante».
Dans une logique similaire, les auteurs d’une étude américaine conduite par l’Anita Borg Institute for Women and Technology et l’Université de Stanford suggèrent de modifier certains critères d’avancement, afin de revaloriser le travail des managers capables d’éviter les crises grâce à une bonne conduite de leur équipe plutôt que les performances de «héros», qui surmontent les crises à grand renfort de nuits blanches.
Quotas, non merci
Autre solution plutôt radicale parfois évoquée: les quotas. Une piste que prône la conseillère nationale verte Katharine Prelicz-Huber, afin d’augmenter le pourcentage de femmes aux échelons supérieurs des entreprises. Une suggestion qui fait l’unanimité contre elle parmi nos interlocutrices. «L’introduction de quotas a très peu de chances de succès si elle ne s'accompagne pas d’une évolution des conditions-cadre pour favoriser l'équilibre travail-famille. Conscientes de cette nécessité, certaines entreprises ont déjà adopté cette flexibilité», estime Magali Racloz. «Introduire des quotas est illusoire tant que le vivier de candidates potentielles reste insuffisant. En effet, cela impliquerait de nommer des femmes sous-qualifiées dans le seul but d’atteindre un quota. D’une part cela serait préjudiciable aux entreprises et, d’autre part, être une femme alibi n’est guère valorisant», juge pour sa part Anne Bobillier.
Prendre le problème à la racine
Nos interlocutrices sont en revanche unanimes sur un point qui doit être résolu: aucune des pistes évoquées ne suffira tant que la relève n’est pas assurée. En effet, le fait que les femmes soient peu nombreuses à occuper des postes clé dans des entreprises technologiques provient le plus souvent non pas du manque de volonté du management de promouvoir une femme, mais de l’impossibilité d’identifier une candidate féminine, les jeunes femmes étant bien trop peu nombreuses à se lancer dans une carrière informatique. Anne Bobillier pose les termes de l’équation en termes très clairs: «Pour disposer d’un vivier assez important pour nourrir le management, il faut alimenter la pyramide par le bas. Pour ce faire, il faut radicalement modifier l’image des branches techniques et informatique dès l’école obligatoire». Un point de vue que corrobore un rapport de la Confédération publié en 2010, qui relève que les branches techniques sont enseignées de telle manière que les filles ne s’y intéressent que peu et qu’elles sous-estiment leurs capacités. Si l’on ajoute à cela le fait que les métiers de l’informatique souffrent souvent d’une image peu flatteuse, il n’est pas étonnant que seule une petite minorité d’écolières se destinent à une carrière en informatique. Assia Garbinato relève le même problème, en notant qu’il se pose de façon particulièrement aiguë en Suisse: «Lorsque j’ai réalisé mes études en Algérie, ma faculté était composée de femmes à 50%. Lorsque j’ai obtenu ma licence, la majore de promotion était une femme, tout comme l’année précédente. En Suisse, être femme et ingénieure en informatique est encore trop souvent considéré comme quelque chose d’exceptionnel. Récemment, j’ai eu l’occasion de présenter mon département à un groupe de fillettes. Lorsque je leur ai demandé ce que représentait une ingénieure pour elles, l’une d’elle m’a répondu «un génie». Je pense qu’en Suisse les jeunes filles manquent de modèles féminins auxquels s’identifier dans les professions techniques, ce qui fait qu’elles se détournent souvent de ces métiers avec lesquels elles auraient peut-être pourtant de fortes affinités».
En conclusion, si les entreprises IT ont encore des progrès à réaliser afin de favoriser un meilleur équilibre privé-professionnel, très prisé des femmes, il appartient également aux femmes elles-mêmes de sortir de leur cocon et de s’affirmer pour, d’une part, revendiquer des postes à responsabilités pour lesquels elles sont qualifiées, et d’autre part, faire la promotion de leurs professions auprès des jeunes générations afin d’assurer une relève de qualité prête à gravir les échelons du monde IT.
Profils
Dorothée Appel est titulaire d’une maîtrise en informatique et d’un MBA. Après un parcours dans le consulting, elle est actuellement CIO de Microsoft Suisse et Allemagne. Après avoir effectué des études en informatique de gestion, Magali Racloz a travaillé à la SSR, chez CSC, Orbium et Avaloq en tant que formatrice et cheffe de projet. Anne Bobillier est titulaire d’une licence en informatique. Dès la fin de ses études, elle s’est tournée vers des postes commerciaux, puis de management, dans des entreprises comme IBM et Ascom. Depuis 9 ans elle dirige la filiale romande du groupe Bechtle, qui emploie 130 personnes. Assia Garbinato a réalisé ses études d’ingénieur en informatique en Algérie, avant d’obtenir son doctorat à l’EPFL. Après avoir travaillé plusieurs années en tant qu’ingénieure chez Nagra Kudelski, elle est actuellement cheffe d’équipe Business Intelligence à la Vaudoise assurance. Enfin, Barbara Yersin est pour sa part titulaire d’un doctorat en imagerie 3D obtenu à l’EPFL en 2009. Elle a été la co-fondatrice de la start-up Minsh, lauréate de Venture Kick et participante à Venture leaders, et séjourne actuellement en Inde où elle et son partenaire ont constitué une entreprise de consulting internet.
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