Loi bernoise sous le feu des critiques

Berne souhaite un système d’information clinique unique pour ses hôpitaux

par René Jaun et traduction/adaptation ICTjournal

Le canton de Berne prévoit d'introduire une plateforme de santé numérique pour les hôpitaux par le biais d'une révision législative. Si le gouvernement salue le projet comme un moteur de transformation, l'Association pour la santé numérique (ASND) met en garde contre un déploiement forcé du système américain Epic et plaide pour un changement de cap.

(Source: Polina Tankilevitch/Pexels)
(Source: Polina Tankilevitch/Pexels)

«C'est un moteur de transformation pour des soins de santé connectés numériquement, centrés sur le patient et tournés vers l'avenir.» C'est ainsi que le gouvernement du canton de Berne justifie son projet de définition et de mise en œuvre d'une plateforme numérique de santé pour le canton. Il entend établir les bases légales par une révision partielle de la loi bernoise sur les soins hospitaliers (LSH). Le projet a été soumis à consultation à l'été 2025.

Coûts et bénéfices

Selon le texte soumis à consultation, la loi révisée autoriserait le Conseil-exécutif bernois à «désigner une telle plateforme de santé et à définir le système d’information clinique (SIC) qui y sera intégré». Cela permettrait de faciliter la collaboration entre les hôpitaux (répertoriés), d'exploiter les synergies et, au final, d'accroître l'efficacité. Ou encore: «La connectivité offre la possibilité de surmonter la fragmentation du système de santé, de mettre en réseau tous les acteurs et de garantir un échange de données fluide.»

L’utilisation de la plateforme ne serait pas obligatoire pour tous les hôpitaux, précise le gouvernement. Toutefois, la loi lui donnerait au moins la compétence «d'obliger les hôpitaux détenus majoritairement par le canton à s'y connecter afin d'exploiter pleinement le potentiel d'une plateforme système couvrant l'ensemble des soins dans le canton de Berne». Les autres hôpitaux pourraient bénéficier d’un soutien financier pour leur migration.

Le Conseil-exécutif évalue le coût de mise en place de la plateforme à 11 millions de francs. Les frais de migration pour chaque hôpital seraient également «considérables», tout comme les coûts d’exploitation futurs, plus élevés que ceux d’aujourd’hui — mais compensés, selon le canton, par des gains d’efficacité grâce à l’automatisation et aux processus numériques.

Epic pour tous 

Le choix du SIC semble déjà arrêté: le canton de Berne souhaite déployer le logiciel de l’américain Epic. Le groupe Insel, qui gère notamment le plus grand hôpital de Berne, a introduit ce système avec succès en 2024. D’autres cantons ont également opté pour Epic: Le canton de Lucerne a été le premier à l’adopter en 2019, constatant depuis des gains d’efficacité mesurables. Le CHUV, dans le canton de Vaud, a lui aussi lancé un appel d’offres pour un SIC unique couvrant tous les hôpitaux publics — un appel d’offres actuellement contesté devant le Tribunal fédéral.

Risques de dépendance et questions de souveraineté

Le gouvernement bernois indique qu’une analyse de marché a été lancée parallèlement à la consultation afin de respecter le droit des marchés publics. Une fois cette étude reçue, «la procédure correcte sera déterminée et le rapport adapté en conséquence», précise-t-il.

Le projet du canton de Berne ne fait pas l'unanimité. Dans un communiqué, l'Association suisse pour la santé numérique (ASND) s'y oppose: selon elle, le projet menace de compromettre les principes fondamentaux de concurrence, de transparence et de droit des marchés publics et d'entraîner le canton dans une dépendance risquée vis-à-vis d'un seul fournisseur. «Le fait que la loi doive être adoptée avant qu'une analyse indépendante du marché ne soit disponible est inacceptable du point de vue de l’ASND et contredit les principes d'une numérisation équitable et durable dans le secteur de la santé.»

L’association juge inacceptable que la loi soit adoptée avant la publication d’une analyse indépendante du marché, estimant que cela contredit «les principes d’une numérisation équitable et durable du système de santé».

L’ASND met également en garde contre de sérieux risques pour la protection des données et la souveraineté numérique, en raison du Cloud Act américain, qui pourrait exposer les données médicales sensibles à l’accès des autorités américaines.

En outre, l’association estime que le projet affaiblirait l’écosystème IT bernois et contredirait des initiatives nationales comme le dossier électronique du patient (DEP) ou le programme DigiSanté.
Des critiques se font aussi entendre depuis la ville de Bienne, où le conseil municipal redoute une hausse des coûts d’exploitation IT, selon le Blick. Il demande au canton de participer à ces coûts supplémentaires.

Plaidoyer pour des standards ouverts

L’ASND plaide pour un changement de cap fondamental. L’association demande au canton de définir des standards ouverts et contraignants pour les formats de données et les interfaces. Cela permettrait de créer une véritable «autoroute numérique» sur laquelle les hôpitaux pourraient choisir le système d’information hospitalier (SIH) qui leur convient le mieux. Jürg Lindenmann, président de l’ASND, estime que «la réponse du Conseil-exécutif aux défis de demain est intenable: un monopole n’est jamais la bonne solution. La véritable innovation naît là où l’on coopère sur les standards, mais où l’on se fait concurrence sur les produits. La «voie bernoise» pourrait permettre non seulement d’éviter une erreur majeure, mais aussi de positionner le canton de Berne comme précurseur d’un système de santé numérique moderne, souverain et proche des citoyens».
 

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