Conférence à Genève: l’e-ID et les portefeuilles numériques au cœur du débat
À Genève, la Confédération suisse a accueilli début juillet la conférence GDC25, où l’identité numérique s’est imposée parmi les thèmes centraux. Alors que son propre projet d’e-ID fait l’objet d’un référendum, le gouvernement met en avant son approche ouverte, interopérable et alignée sur les standards mondiaux.


Organisée à Genève les 1er et 2 juillet derniers, la Global Digital Collaboration Conference (GDC25) a réuni plusieurs centaines de participants et co-organisateurs venus du monde entier — gouvernements, entreprises et ONG. Cette édition 2025, portée par la Confédération suisse, s’est concentrée sur les portefeuilles numériques: ces applications capables de stocker identifiants, diplômes ou moyens de paiement. Un sujet d’actualité pour la Suisse, en pleine refonte de son e-ID, mais aussi pour l’Union européenne, l’Inde ou plusieurs pays du Sud, engagés dans des projets d’identité numérique souveraine.
La Suisse mise sur une e-ID participative et modulaire
Alors qu’un référendum contre le nouveau projet d’e-ID vient d’aboutir avec plus de 55’000 signatures valables et qu’une votation populaire est prévue pour septembre 2025, la Suisse – hôte de l'événement – a présenté une vision différente du projet qui a été rejeté lors de la votation de mars 2021. La nouvelle version de l’identité numérique, encore en construction, s’appuie sur une gouvernance publique, une infrastructure ouverte, une standardisation fondée sur des normes internationales et un contrôle citoyen. Exit la solution portée par des acteurs privés, place à un modèle plus sobre, modulaire, et surtout plus transparent.
«Le cœur de notre modèle, c’est la gouvernance. On commence par elle, pas par la technologie», a affirmé Rolf Rauschenbach, représentant de la Confédération suisse. Le projet d’e-ID repose sur un portefeuille numérique contrôlé par l’utilisateur, dans lequel seront stockées des attestations numériques émises par des entités publiques ou privées habilitées. L’ensemble de l’infrastructure sera auditable, interopérable et aligné sur les grands standards internationaux comme ceux de l’Union européenne ou de l’OpenWallet Foundation. Mais l’ambition va au-delà de la simple compatibilité technique.
«La future e-ID suisse permettra à chacun de prouver son identité sans passer par une plateforme commerciale», ajoute Rolf Rauschenbach. Car le système se veut également souverain: hébergé sur le territoire national, gouverné de manière multipartite (Confédération, cantons, société civile, secteur privé) et adaptable à divers cas d’usage comme les démarches administratives, les diplômes ou les titres de transport.
Cette vision suisse tranche avec l’approche plus directive de l’Union européenne. D’ici fin 2026, les 27 États membres devront proposer à leurs citoyens un European Digital Identity Wallet, conforme à un cadre technique et juridique commun. Présentée à Genève par la Commission européenne et les responsables des projets pilotes, cette initiative vise à offrir un portefeuille numérique tout-en-un, capable de gérer identité, moyens de paiement, permis, diplômes et autres justificatifs numériques.
Voyage, santé, permis: le portefeuille numérique devient le trousseau digital du citoyen
Au-delà des modèles nationaux, plusieurs cas d’usage présentés lors de la conférence illustrent le potentiel de ces portefeuilles numériques. C’est le cas dans le domaine des voyages, où des projets comme DigiYatra (Inde) ou ceux portés par l’ICAO et l’IATA permettent à un passager de franchir une frontière avec son smartphone, sans passeport physique. Données vérifiables, partage sélectif, contrôle par le citoyen: le paradigme change, sans rupture de sécurité. Cette solution n’est pas neuve en Suisse: il y a deux ans, l’entreprise vaudoise Sicpa l’avait déjà testée en collaboration avec l’IATA. Les deux partenaires avaient mené un projet pilote d’e-ID destiné à simplifier les formalités d’embarquement.
Même tendance dans le secteur de la santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), accompagnée de plusieurs experts internationaux, plaide pour l’intégration de certificats médicaux vérifiables dans les portefeuilles numériques, afin de permettre aux patients de stocker leurs antécédents ou résultats d’analyses en toute confidentialité. Dans un monde de plus en plus mobile, où les individus traversent les frontières pour travailler, étudier ou voyager, le manque de portabilité des données médicales constitue un véritable frein à la continuité des soins. C’est dans ce contexte que le Dr Alain Labrique, directeur de la santé numérique et de l’innovation à l’OMS, a rappelé l’enjeu vital de cette interopérabilité: «Un QR code dans votre main ou sur votre téléphone peut faire la différence entre la vie et la mort.» L’infrastructure de confiance défendue par l’OMS, le Global Digital Health Certification Network (GDHCN), permet à chaque pays d’émettre et de vérifier ces attestations de manière bilatérale, sans centraliser ni exposer les données personnelles.
Mais ces ambitions se heurtent parfois aux réalités du terrain. En Suisse, la numérisation du système de santé vise entre autres à progresser à travers des initiatives comme l’union des plateformes eMedo, eSanita et CARA autour d’une nouvelle infrastructure commune. Cependant, la confiance des citoyens reste fragile: selon une étude publiée en avril, la population exprime des attentes élevées mais aussi de fortes réticences face à la gestion numérique de leurs données médicales.
Autre exemple emblématique: le permis de conduire numérique. Déjà en cours de déploiement en Suisse, aux États-Unis, en Australie et en France, ce concept repose sur des standards ISO permettant à un citoyen de prouver sa capacité à conduire sans document papier. Dans le canton d'Appenzell Rhodes-Extérieure, par exemple, une version numérique du permis d’élève conducteur est en développement, potentiellement compatible avec le futur portefeuille numérique fédéral.
Signer, payer, gouverner
Mais le portefeuille numérique ne se limite pas à stocker des données: il permet aussi d’agir. Plusieurs interventions ont mis en avant la possibilité de signer un document de manière juridiquement valable, directement depuis cet outil – à condition de respecter les exigences d’une signature qualifiée reconnue en justice. L’Union européenne, Adobe, le Cloud Signature Consortium et d’autres organisations poussent dans ce sens, tandis que la Suisse envisage d’intégrer cette fonctionnalité dans sa future e-ID. Dans le secteur privé, des acteurs suisses comme PXL Vision développent déjà des solutions compatibles avec les signatures électroniques qualifiées, certifiées selon les normes suisses et européennes.
Autre usage en plein essor: le paiement. La Banque mondiale propose de relier l’identité numérique aux systèmes de paiement instantané. Grâce à un identifiant spécifique et à une infrastructure de confiance, il serait possible de sécuriser et tracer les transactions, notamment pour les aides sociales ou humanitaires. Une façon d’élargir l’utilité de ces portefeuilles numériques, y compris hors ligne.
Mais ces usages ne peuvent exister sans une infrastructure fiable et interopérable. Plusieurs acteurs – comme la Modular Open Source Identity Platform (MOSIP), la Linux Foundation ou l’OpenWallet Foundation – insistent sur l’importance de s’appuyer sur des technologies open source, garantes de souveraineté numérique. Il n’y a pas d’ingénierie secrète dans l’open source. Ce qu'on voit, c’est ce qu'on obtient, a rappelé Daniela Barbosa, directrice exécutive de LF Decentralized Trust.
À Genève, la Confédération suisse n’a pas seulement présenté un projet national. Elle a mis en avant une méthode: co-développement , transparence, interopérabilité. Une approche que plusieurs acteurs perçoivent déjà comme un modèle à suivre, dans un paysage numérique mondial toujours plus fragmenté.