Arrêt du Tribunal fédéral

Contrats de développement IT: il faut être vigilant

En juillet dernier, le Tribunal fédéral rendait un arrêt important en matière de contrats informatiques (arrêt «Logiciel informatique»). Cette décision devrait pousser à la fois les fournisseurs et les entreprises clientes à faire preuve d'une vigilance accrue avant de conclure un contrat. Professeur et Directeur du Digital Law Center à l’Université de Genève, Jacques de Werra nous explique pourquoi.

Jacques de Werra, Professeur et Directeur du Digital Law Center à l’Université de Genève. (Source: DR)
Jacques de Werra, Professeur et Directeur du Digital Law Center à l’Université de Genève. (Source: DR)

Pourquoi l'arrêt «Logiciel informatique» est-il important pour le marché IT suisse?

Cet arrêt du Tribunal fédéral constitue une leçon aussi bien pour le fournisseur de services IT que pour l’entreprise cliente. Il s’agit d’une décision qui montre la nécessité d'une diligence accrue dans la gestion des contrats informatiques. L'arrêt concerne un litige ayant éclaté suite à la résiliation du contrat par une entreprise cliente pour cause d’un dépassement de budget et de failles informatiques à l'origine d'un dommage qu'elle estimait chiffrable en millions de francs. Le contrat comprenait entre autres le développement d’une solution logicielle personnalisée. Le fournisseur a exigé une indemnité en se reposant sur les conditions générales. Or, l’arrêt du Tribunal fédéral ne lui a pas donné raison et indique que certaines des clauses des conditions générales peuvent être considérées comme non valables car insolites, c’est-à-dire inhabituelles et différentes de ce que le client peut raisonnablement attendre.

En quoi cette décision est-elle aussi un avertissement pour les entreprises qui font appel à un prestataire de services IT?

Côté entreprise cliente, le risque révélé par cet arrêt est de devoir payer une partie du développement d’un logiciel commandé mais de finalement ne pas pouvoir utiliser ce qui a déjà été développé jusque-là si le contrat est résilié avant la finalisation de la solution. Dans l’affaire jugée, le contrat ne prévoyait pas de cession des droits d’auteur en faveur du client mais seulement l'octroi d’une licence d'utilisation. Le Tribunal fédéral a ainsi jugé que le client n’avait pas le droit de continuer à utiliser la solution informatique après la résiliation du contrat. Ce cas illustre la problématique connue dans le cadre de projets informatiques, à savoir celle d’une forte dépendance des clients envers les fournisseurs. Il apparaît en effet que les entreprises n'ont souvent pas suffisamment d’expérience pour gérer de manière adéquate les droits de la propriété intellectuelle dans les contrats avec leurs fournisseurs IT. En outre, on doit signaler que dans cet arrêt le Tribunal fédéral a rejeté la demande en dommages-intérêts de 3 millions de francs faite par le client et ce pour des motifs de procédure, notamment faute pour le client d’avoir suffisamment étayé son dommage dans la procédure judiciaire. C’est également une leçon de cet arrêt pour toutes les sociétés clientes et pour les avocats de celles-ci.

En tenant compte de cette jurisprudence, quels sont vos conseils?

Cet arrêt constitue un avertissement pour toutes les entreprises impliquées: les fournisseurs doivent avoir conscience qu'ils ne peuvent pas imposer n’importe quelle clause figurant dans leurs conditions générales. Et s’ils souhaitent imposer des clauses atypiques, ils doivent le faire en les portant clairement à l’attention de leurs clients. Quant à ces derniers, ils doivent impérativement être au clair sur ce qui est prévu en cas de résiliation, particulièrement au regard du droit d’auteur. Cet arrêt, parmi d’autres, montre également que dans le cadre des contrats informatiques, il n’y est souvent pas optimal de devoir régler le litige devant les tribunaux et d’entamer ainsi des procédures longues et coûteuses. On peut ainsi inviter les fournisseurs et entreprises utilisatrices à considérer des voies alternatives de règlement des litiges telles que la médiation, un service proposé notamment par l’Institution for IT and Data Dispute Resolution (ITDR).

En savoir plus

Professeur et Directeur du Digital Law Center à l’Université de Genève, Jacques de Werra va présenter les enjeux de l’arrêt «Logiciel informatique» (référence 4A_372/20221) et d’autres arrêts récents du Tribunal fédéral lors de la Journée de Droit de la Propriété Intellectuelle 2024 qui aura lieu le 16 février prochain à l'Université de Genève (programme complet de l’événement; délai d’inscription (en ligne): 12 février). 

 

 

 

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