Banque 2.0

Personal Finance management, première étape vers la banque 2.0

| Mise à jour
par Rodolphe Koller

Le Personal Finance Management débarque en Suisse avec le lancement du service en ligne eCockpit de Postfinance. Un nouveau type de solutions qui viennent rafraîchir des services e-banking nés il y a une quinzaine d’années et leur donner un parfum de web 2.0. Hormis un conservatisme risqué, rien n’expliquerait que d’autres banques suisses ne suivent le mouvement.

En toute discrétion, Postfinance a ajouté début mars une solution de gestion des finances personnelles à sa plateforme d’e-banking. Le temps de s’assurer que ce service, baptisé eCockpit, fonctionne avec la qualité et la performance requises, l’établissement s’apprête à en faire une large promotion auprès de sa clientèle et au-delà. L’entreprise qui obtiendra sa licence bancaire l’an prochain, n’est d’ailleurs pas la seule à s’intéresser au domaine du Personal Finance Management (PFM). L’éditeur zurichois Crealogix spécialisé dans les solutions d’e-banking propose depuis quelques mois de façon exclusive sur le marché helvétique la solution scandinave Meniga, qu’il a adaptée aux spécificités du marché suisse. «Les solutions de PFM sont une première étape vers la banque 2.0. Cela représente un bouleversement pour les banques, car le client est désormais aux commandes», explique Richard Dratva, CTO de Crealogix.

Les fonctionnalités du Personal Finance Management

En quoi consistent donc ces solutions bancaires en ligne labellisées PFM? Strands, Meniga, Lodo Software ou Linxo comptent parmi les jeunes éditeurs proposant ce type de solutions. Bien que chacun ait ses spécificités, leurs produits ont en commun de proposer aux banques trois groupes de fonctionnalités destinées à leur clientèle e-banking.

1. Catégorisation
En premier lieu, les solutions de PFM permettent de catégoriser de façon détaillée les transactions réalisées par les clients, qu’il s’agisse de montants reçus ou dépensés (salaires, achats, factures, loyer, etc.). Cette catégorisation est effectuée en grande partie de manière automatique grâce aux informations disponibles à la banque (commerce où l’achat a été réalisé, destinataire du paiement, etc.). Pour le reste, les utilisateurs peuvent les catégoriser manuellement, typiquement pour l’usage qui est fait d’un retrait d’argent liquide, voire établir des règles pour que la catégorisation soit ensuite automatique. Cette catégorisation concerne en général tous les comptes du client et tous les moyens de paiement (cartes de débit et de crédit, versements e-banking).

2. Visualisation
Les solutions de PFM proposent dès lors de visualiser l’ensemble des transactions catégorisées. Des tableaux de bord simples, conviviaux et interactifs permettent d’afficher les revenus et dépenses de multiples manières en sélectionnant des catégories et des périodes. Un client peut ainsi par exemple visualiser la répartition de ses achats ménagers sous forme de diagramme gâteau ou suivre l’évolution des frais liés à sa voiture.

3. Budget
Le troisième niveau de fonctionnalité consiste à assister concrètement le client dans la gestion de son budget. Celui-ci peut ainsi se fixer des objectifs d’épargne et recevoir des notifications voire des encouragements lorsqu’il y parvient. Il peut aussi voir le solde réellement à sa disposition tenant compte des factures prévues ou, justement de son objectif d’épargne. Certaines solutions de PFM permettent en outre de comparer son budget avec celui d’autres personnes ayant un profil similaire de façon bien entendu anonymisée.

Toutes ces fonctionnalités sont rendues accessibles depuis le site e-banking de l’établissement, si possible sous une forme préservant l’apparence et l’expérience de l’interface e-banking existante. «A terme, le Personal Finance Management a pour vocation de devenir le premier service auquel on accède lorsque l’on se connecte à une plateforme d’e-banking», estime Richard Dratva, qui reconnaît que les banques ne sont pas encore prêtes à franchir un tel pas.

Le CTO de Crealogix juge par ailleurs que le Personal Finance Management est tout particulièrement attractif et adapté aux terminaux et usages mobiles émergents. Dans une étude récente consacrée au sujet - Personal Financial management : The Devil Is in the Details - le cabinet spécialisé Celent recommande même aux établissements financiers de considérer les tablettes comme le principal terminal à partir duquel les clients accèderont à leur e-banking.

Quels avantages pour les banques?

Le premier intérêt pour les banques de détail à lancer une telle solution réside dans la valeur de l’offre proposée aux clients en ligne, comme l’explique Armin Brun de la direction de Postfinance dans l’interview qu’il nous a accordée (page 23). Convivial et innovant, le Personal Finance Management promet de fidéliser davantage les clients, de se différencier de la concurrence, voire d’attirer une clientèle jeune adepte de services en ligne simples et modernes. Des clients ayant des comptes dans plusieurs établissements peuvent aussi s’intéresser à les regrouper auprès d’une seule banque afin de disposer d’une vue consolidée de leur patrimoine et de leurs transactions. Selon l’éditeur Meniga dont la solution est utilisée par la banque islandaise Islandsbanki, 20% des clients de l’établissement ont adhéré à son service de PFM dans les 6 mois suivant son lancement, 70% affirment que leur loyauté envers la banque a augmenté et 89% recommanderaient le service à leurs amis.

D’autre part, une opportunité importante pour les banques réside dans les nouvelles informations obtenues sur les clients. Des données qui, correctement exploitées, permettent aux banques de mieux segmenter leur clientèle et de leur adresser des offres ciblées directement en  ligne. Une façon de faire fidèle au credo du web actuel qui veut que les utilisateurs acceptent de livrer des informations les concernant et de se voir proposer des promotions, pour autant qu’ils reçoivent un vrai service en échange… Selon Edward Chang, CEO de Strands, les solutions de PFM vont d’ailleurs offrir toujours plus de capacités d’analyse de données en recourant parfois à de l’intelligence artificielle. Comme dans le cas de la business intelligence, l’avenir du PFM est à l’analyse prédictive avec la possibilité pour les utilisateurs d’anticiper leurs besoins budgétaires et pour les banques de faire des offres proactives. En proposant, par exemple, un crédit hypothécaire au client qui a réuni 80% des fonds propres pour l’achat d’un bien.

Dépasser l’e-banking

Pour autant, les banques ne se pressent pas au portillon du PFM. Selon le cabinet Celent, seules huit des 50 plus grandes banques américaines proposent aujourd’hui un tel service à leurs clients, même si leur nombre devrait passer à 21 d’ici 2014. En Europe, BBVA, ING, Islandsbanki et Société Générale ont elles aussi fait le pas, tandis que Postfinance est la première à se lancer sur le marché suisse avec le logiciel de Strands. Pour le reste, la plupart des établissements continuent de baser leur offre sur des plateformes d’e-banking nées il y a une quinzaine d’années et qui n’ont souvent guère évolué – hormis parfois leur passage vers le mobile. Un manque d’évolution qui explique peut-être pourquoi 12% des Suisses jugent l’e-banking complexe et peu pratique contre la moitié moins une année auparavant, selon une étude menée fin 2011 par Infosurance.

De fait, l’évolution du web ces dernières années a et va continuer de modifier les attentes des clients à l’égard de leur banque. Pour Thomas Puschmann, chef de projet à l’Institut d’informatique d’entreprise de l’Université de St-Gall, cinq tendances et innovations gouverneront la banque de demain: la simplification, la gamification, la mobilité, le «social» et l’intégration des données et processus au niveau du client. Autant de caractéristiques qui se retrouvent précisément dans les solutions de Personal Finance Management.

Des défis organisationnels et culturels

Techniquement, le déploiement d’une solution de PFM n’est guère complexe et n’explique pas le manque d’intérêt des banques. «Toutes les données sont là», explique Richard Dratva de Crealogix. Les principaux défis technologiques consistent à agréger les données issues de différents comptes, à adapter le look & feel du service à celui de l’e-banking, et, surtout, à pré-catégoriser le plus grand nombre possible de transactions, de sorte que la catégorisation se déroule automatiquement pour un maximum d’entre elles, reconnaissent tant Postfinance que Crealogix. Vu l’importance des terminaux mobiles, il faut aussi privilégier la simplicité et la personnalisation plutôt que l’ajout de fonctionnalités Pour Richard Dratva, un autre problème réside dans le rythme de développement propre au web 2.0: «Les banques et les éditeurs de core banking sont habitués à des cycles de développement relativement longs. Avec internet, le rythme s’accélère et, avec le web 2.0, il faut que le service évolue presque en continu. Les utilisateurs acceptent davantage un mode trial & error avec des améliorations continuelles plutôt que le lancement d’un service considéré comme abouti et qui n’évolue pas. Il faut donc changer profondément d’approche et d’organisation de projet».

Si les banques avancent souvent le problème de la sécurité pour expliquer leur attentisme, la majorité des acteurs actifs dans le PFM interrogés dans le cadre de cet article estiment que le frein est surtout culturel. L’e-banking traditionnel a permis aux banques de faciliter l’accès à leurs services 24 heures sur 24, tout en réduisant leurs coûts. Avec le PFM, il ne s’agit plus de rendre l’offre accessible mais d’assister pratiquement les clients dans leur besoin de gérer leur budget. Avec un retour sur investissement reposant plus sur la création de valeur que sur les économies et par conséquent plus difficile à quantifier.

Nouveaux entrants 2.0

Comme dans d’autres secteurs, l’évolution des services bancaires en ligne doit beaucoup à l’irruption d’acteurs extérieurs. En matière de gestion de Personal Finance Management, le service américain Mint, lancé en 2007, a sans doute fait office de précurseur, avec plus d’un demi-million d’utilisateurs après un an de service. Contrairement aux services de PFM proposés par les banques, celui de Mint (comme ceux de Manilla et Linxo) agrège les données provenant de multiples banques. En Suisse, un tel service ne serait aujourd’hui pas possible, vu la diversité et la complexité des systèmes de login proposés par les différents établissements. Une manière de sécuriser l’e-banking mais aussi de se protéger contre de nouveaux entrants. Pour Paolo Buzzi, CTO de Swissquote, de nouveaux venus pourraient bien un jour contourner ces terrains protégés grâce à l’adoption du paiement mobile.
Reste que, comme le prédit Richard Dratva, le Personal Finance Management est sans doute une manière pour les établissements bancaires de poser une première brique vers la banque 2.0, tout en profitant de leur capital confiance qui reste supérieur à celui des acteurs du web. Ou alors verra-t-on peut-être surgir de nouvelles banques rompues aux règles du web 2.0, à l’instar de l’allemande Fidor Bank ou de l’américaine Simple, laquelle revendique sur son site ne pas être une banque mais «quelque chose de nouveau dans la finance, une expérience quotidienne bien conçue».

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