Innovation

Willy Zwaenepoel, EPFL: «En informatique on ne parle pas de brevets, mais de personnes et de compétences»

| Mise à jour
par Interview: Rodolphe Koller

Après huit ans comme doyen de la faculté Informatique et Communications de l’EPFL, Willy Zwaenepoel a décidé de changer d’orientation. En entretien avec notre rédaction, il explique comment il compte s’engager pour l’émergence de start-up IT en Suisse romande et son diagnostic sur les maux de la branche informatique.

Willy Zwaenepoel, EPFL
Willy Zwaenepoel, EPFL

Vous venez d’achever deux mandats de quatre ans chacun comme doyen de la faculté d’informatique et communication de l’EPFL. Quels sont vos projets?

Mon premier projet est de prendre une année sabbatique à la Stanford University dans la Silicon Valley. Je devrais revenir en juillet 2012. Pour la suite, on verra bien. Je veux revenir comme professeur mais mon objectif n’est pas seulement d’enseigner ou d’écrire des papiers. J’ai eu par le passé les papiers publiés et les récompenses et je crois qu’aujourd’hui mes collègues plus jeunes sont tout aussi bien en mesure de le faire – je ne compte plus avoir le prix Nobel! En revanche, je souhaite m’impliquer plus intensément dans la création de start-up informatiques dans la région. Nous avons l’une des meilleures facultés informatiques d’Europe avec celles de l’EPFZ, de Cambridge et de l’Imperial College – tant au niveau des étudiants que des professeurs. Mais nous sommes en retard en termes d’entreprenariat et d’écosystème favorable à l’émergence de jeunes pousses. Je pense que c’est un domaine dans lequel je peux avoir plus d’impact – et c’est un projet très enthousiasmant.

Avez-vous des idées précises, sur ce qu’il faudrait faire?

J’ai quelques idées. Mon expérience à Stanford et les contacts que j’ai noués ici en tant que doyen de la faculté pendant huit ans vont certainement servir. Ce que j’aimerais c’est réussir à amener des personnes et des organisations de la Silicon Valley sur le campus. C’est d’ailleurs l’une des raisons de mon année sabbatique à Stanford. Mon ex-homologue de Cambridge a suivi une démarche similaire qui a très bien réussi. Il est parti quelques années en Californie et il a ensuite utilisé le réseau qu’il avait développé pour son bénéfice et celui de l’école – il est d’ailleurs devenu assez riche. Je compte donc établir des relations avec des réseaux de sociétés de capital-risque et avec des bureaux d’avocats de la Silicon Valley. Il en existe qui se sont spécialisés dans la création de start-up informatiques. Ils ont l’énorme avantage qu’il n’y a pas besoin de tout leur expliquer: ils l’ont fait mille fois et ils connaissent toutes les petites erreurs qu’il ne faut pas commettre. Mon but serait par conséquent d’amener quelques unes de ces sociétés – d’investissement et légales – à installer une antenne avec quelques personnes au sein du Quartier de l’innovation de l’EPFL. Je crois que ce serait déjà un tout autre monde.

Quels avantages la présence d’investisseurs et d’avocats américains apporterait-elle?

D’abord, on serait connecté, parce qu’ils ont leur réseau là-bas. Ensuite, on apporterait le savoir-faire que nous n’avons pas. En Suisse, on a une grande compétence dans le domaine pharma et dans d’autres domaines où nous sommes traditionnellement leader. Mais dans l’informatique c’est différent, on ne parle pas de brevets: on parle avant tout de personnes qui possèdent des compétences particulières. Le timing est également différent: dans l’IT, il est illusoire de développer des projets pour dix ans, le marché se développe bien trop vite.

Comment pensez-vous réussir à attirer des investisseurs américains dans la région?

C’est le problème classique de la poule et de l’œuf: s’il n’y a pas beaucoup de start-up, il est difficile d’attirer des investisseurs et, sans eux, il est difficile pour les start-up de monter en échelle. Ceci dit il ne faut pas abandonner avant d’avoir essayé. Il s’agit de créer les conditions initiales, d’une manière ou d’une autre. Il y a huit ans, lorsque je suis arrivé comme doyen, j’ai réussi à attirer des professeurs de sociétés et d’universités américaines prestigieuses, bien qu’on me disait que c’était impossible. Aujourd’hui, les investisseurs américains sont surtout présents en Israël, en Angleterre et en Chine, mais je pense que l’on peut les attirer ici. Le professeur de l’EPFL Martin Odersky, qui a créé le langage de programmation Scala utilisé, entre autres, par Twitter, a par exemple obtenu un investissement dans son entreprise de la part d’une société de capital-risque réputée dans la Silicon Valley. J’ai d’ailleurs profité de leur présence pour leur exposer mon idée. Et même s’ils ne sont pas encore prêts, j’ai bon espoir que les choses se décanteront avec eux ou avec d’autres. Il faut maintenant appuyer sur l’accélérateur.

Que pensez-vous de l’attractivité des start-up IT de la région?

Certes, il y a des jeunes sociétés informatiques, mais elles manquent d’échelle. Elles démarrent avec des fonds propres et des investissements publics comme la CTI, mais elles restent la plupart du temps au stade de PME et manquent de volonté de passer à la vitesse supérieure. On les comprend: les fondateurs font ce qu’ils aiment et ils touchent un bon salaire de surcroît. De plus, ils craignent de céder le contrôle à des investisseurs privés, qui vont naturellement vouloir influer sur l’entreprise dans laquelle ils mettent de l’argent. A mon avis, on ne devrait cependant pas investir l’argent public dans des jeunes pousses qui ont ce raisonnement et se concentrer plutôt sur celles qui veulent décrocher le gros lot, même si elles peuvent échouer. C’est le message que j’essaie de faire passer dans l’école. Nous n’avons ni les financements ni les réserves de programmeurs qu’a la Silicon Valley et cela nous force à être sélectifs.

Quels sont les domaines de recherche porteurs au sein de la faculté IC de l’EPFL?

Nous cherchons naturellement à aligner nos recherches avec les domaines les plus importants. Pour moi, le premier thème est le cloud computing qui est en plein essor et qui va avoir des retombées considérables. Cette évolution va de pair avec celle des terminaux mobiles et des applications mobiles ou web – la tendance est clairement à déplacer la puissance de calcul dans le cloud et d’y avoir accès via une multitude de terminaux. Ensuite, la sécurité qui est un aussi mon domaine de prédilection. Notre société repose de plus en plus sur des logiciels et des progrès doivent être faits en matière de sécurité et de fiabilité, si l’on pense par exemple à leur utilisation dans les hôpitaux. C’est aussi un thème dans lequel la Suisse a une carte à jouer: la fiabilité et la haute qualité sont en quelque sorte inscrits dans son code génétique. Un domaine dans lequel je m’étonne qu’il n’y ait pas plus de réflexion de la part des étudiants et celui du design. Lorsque l’informatique a commencé, les ordinateurs étaient entre les mains de spécialistes. Aujourd’hui, une grande partie des gens utilisent des smartphones et des tablettes sans avoir véritablement conscience d’employer un ordinateur. Et ce qui séduit n’est plus la performance ou la puissance, mais de plus en plus le design où Apple excelle. Là aussi, la Suisse jouit d’une grande compétence, si l’on pense à l’architecture ou à l’horlogerie. Notre collaboration avec l’ECAL va dans ce sens. Enfin, un dernier thème important est celui des grands volumes de données, qu’il s’agisse de stockage, d’analyse ou d’indexation. Et ce domaine intéresse non seulement les instituts scientifiques comme le CERN, mais aussi Facebook, Google ou Swisscom.

Quelle est l’image de l’informatique par rapport aux autres disciplines dans le monde académique suisse?

L’informatique ne jouit pas d’une très bonne place dans l’écosystème académique et de la recherche suisse. Elle est souvent vue comme un service aux autres disciplines. Les meilleurs étudiants choisissent la physique, ce qui était le cas il y a 30 ans aux Etats-Unis, mais plus maintenant. Ce manque d’intérêt pour l’informatique apparaît par exemple immédiatement lorsque l’on considère l’organigramme du Fonds national suisse de la recherche scientifique. Aux Etats-Unis, l’informatique est l’une des divisions principales. En Suisse, il existe quatre divisions, la seconde étant «Mathématiques, sciences naturelles et de l’ingénieur». Les sciences de l’ingénieur forment une sous-division, en-dessous de laquelle figure l’informatique – au troisième niveau donc. Ce qui a plusieurs conséquences. Tout d’abord nous ne recevons pas assez d’argent. Ensuite et surtout, cela a pour effet pervers que les projets de recherche que nous soumettons sont sélectionnés par des personnes émanant de multiples disciplines qui vont privilégier des projets non pas purement IT, mais qui concernent son application, comme le calcul à haute performance. Et l’effet pervers ne s’arrête pas là, car les professeurs vont naturellement eux aussi diriger leurs travaux de laboratoire vers des recherches susceptibles d’obtenir du financement.

Que seraient pour vous des domaines véritablement informatiques?

Il suffit de regarder les vrais succès. Les Google et les Facebook ne sont pas des applications dans les sciences. Je ne suis pas contre ces applications mais elles doivent être considérées comme des recherches relevant de ces autres sciences. De ce point de vue, l’écosystème est mal organisé. S’il y avait une seule chose que je pouvais changer, c’est là que j’agirais. Je pense que tout le monde de l’informatique en Suisse devrait s’atteler à changer cette situation. Mais, comme dans tout, il ne faut pas se plaindre et attendre que les choses tombent du ciel, mais plutôt retrousser ses manches.

La branche informatique suisse semble d’ailleurs s’organiser…

Effectivement. Dans le domaine académique, nous sommes sur le point de réunir les EPF, les universités et les hautes écoles spécialisées pour parler d’une seule voix. Les associations et les entreprises s’organisent elles aussi et nous avons besoin de leur lobbying. J’ai également reçu de bons signaux dans les conversations que j’ai eues avec les dirigeants de grandes entreprises du secteur et avec des politiques. Idem pour le fait que ce soit l’informatique de Credit Suisse qui s’installe à l’EPFL - cela n’a échappé à personne.

Qu’en est-il du sempiternel problème de la pénurie en informaticiens?

C’est un problème qui ne concerne pas que les écoles polytechniques. Nous avons besoin d’informaticiens de tous niveaux, des CFC aux universités en passant par les HES. Ceci dit il y a de bonnes nouvelles: à l’EPFL, le nombre d’étudiants dans la filière s’est stabilisé en 2005-2006 et il a même nettement augmenté ces deux dernières années, sans pour autant égaler les chiffres des années 2000. C’est d’ailleurs un bon exemple des résultats que l’on peut atteindre lorsque tout le monde tire à la même corde, en l’occurrence le monde académique, l’industrie et la fondation Hasler. C’est un effort continu, qui passe par la promotion de l’informatique dans les gymnases, mais aussi par notre capacité à attirer et à garder les étudiants étrangers – il faut à ce titre saluer l’initiative Neirynck pour favoriser l’établissement des diplômés étrangers. Si l’on regarde les start-up qui sont créées dans la région, on constate que beaucoup le sont par des entrepreneurs étrangers. Les Etats-Unis connaissent une situation semblable et cela n’a rien de surprenant car le fait que quelqu’un quitte son pays en dit long sur son goût de l’aventure.


 

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