Editorial

Machine-in-the-Middle

Ou comment nous participons désormais tous à un test de Turing à grande échelle.

Lors de la cérémonie du Meilleur du Web qui s’est tenue fin novembre, un participant me confiait que son entreprise a déployé Copilot pour Microsoft 365. Il m’a expliqué combien il était bluffé par la qualité d’un message que l’assistant numérique avait rédigé et lui suggérait d’envoyer à son client. L’outil allant notamment consulter son calendrier pour suggérer des propositions de rendez-vous. Vu la pénétration des logiciels de Microsoft, nul doute que cette fonctionnalité sera disponible à de plus en plus de professionnels, qui plus est avec la bénédiction de leur employeur - il leur sera difficile d’y résister.

Dans le domaine de la cybersécurité on connaît les attaques Man-in-the-Middle dans lesquelles un pirate intercepte les communications entre deux dispositifs informatiques. Avec Copilot, émerge cette fois un scénario Machine-in-the Middle où l’IA s’immisce dans la conversation entre deux humains pour que le premier gagne en productivité.

J’avoue que cela me laisse quelque peu perplexe. Recourir à un tel outil signifie pour l’émetteur que seul compte la qualité du courriel, le message véhiculé et qu’on y consacre un minimum de temps et d’effort.

C’est étonnant quand ces mêmes professionnels disent, dans le dernier rapport d’Adecco sur le futur du travail, que l’intelligence émotionnelle, l’empathie, l’écoute active et les compétences interpersonnelles sont les moins susceptibles d’être remplacées par l’IA - à condition d’en user ai-je envie de dire… Au lieu de quoi, nous sommes surtout invités à maîtriser les prompts et à développer nos compétences de communication… avec la machine.

Je suis tout aussi perplexe du côté des destinataires de ces messages rédigés automatiquement.  Ai-je vraiment envie de lire une missive dont «l’auteur» a jugé qu’elle ne méritait pas d’y consacrer du temps? Dans les faits, je vais sans doute les lire, car je n’en saurai rien, Microsoft ayant décidé que les messages rédigés par Copilot ne seraient pas estampillés comme tels, et préférant «laisser aux utilisateurs le choix d’en informer leurs destinataires».

Je serai donc attentif et méfiant, guettant dans ma boîte mail les messages générés par des algorithmes. De ce point de vue, le déploiement de Copilot s’apparente à un test de Turing à grande échelle, où c’est moins la machine qui est testée dans sa capacité à nous tromper que nous qui sommes mis à l’épreuve de débusquer ses créations.

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