Interface confuse

Fausse alerte au missile à Hawaï: un désastre UX

Erreur humaine, la récente fausse alerte au missile à Hawaï est surtout due à une interface technique mal conçue. Des experts romands en design UX livrent leur analyse.

(Source: Photo by Tim Mossholder on Unsplash)
(Source: Photo by Tim Mossholder on Unsplash)

La récente fausse alerte au missile à Hawaï illustre à quel point la mauvaise conception d’une interface utilisateur peut, dans certains cas, avoir des conséquences fâcheuses. En l’occurrence rien de dramatique, mais tout de même un élan de panique dont les habitants de l’archipel se seraient bien passé.

Rappel des faits: samedi 13 janvier, les habitants de Hawaï recevaient sur leur téléphone portable une notification alarmante: «Menace de missile balistique en direction de Hawaï. Mettez-vous immédiatement à l’abri. Ceci n’est pas un exercice.» Une menace finalement non avérée, l’alerte ayant été envoyée par erreur dans le cadre d’un test de l’Emergency Management Agency (HEMA), l’agence hawaïenne en charge de la gestion des urgences. La manœuvre ne prévoyait pas d’envoyer une réelle alerte mais simplement de tester la procédure d’envoi en interne.

Un porte-parole de l’agence HEMA a par la suite reconnu qu’une erreur humaine était en cause: un opérateur avait par mégarde sélectionné la mauvaise option sur l’interface du système informatique d’envoi d’alertes. Des copies d’écran diffusées par plusieurs médias américains ont été qualifiées de «représentations acceptables du système» par le porte-parole de l’agence. L’opérateur a apparemment cliqué sur un lien libellé «PACOM (CDW) - State Only» plutôt que sur le bon lien servant à tester le système, «Drill - PACOM (CDW) - State Only», listé un peu plus bas.

Le point de vue d’experts romands en design UX

L’opérateur à l’origine de l’erreur n’a visiblement pas été aidé par la conception de l’interface du système. Consultante UX chez Wide Agency à Genève, Camille Palma livre pour ICTjournal son analyse sur cette affaire qui a le mérite de mettre en lumière l’importance des bonnes pratiques UX. La spécialiste confie que plusieurs principes n’ont probablement pas été respectés. Dont ceux relatifs au guidage et à la prévention/correction des erreurs: «L'utilisateur doit comprendre clairement ce qu'il peut faire et comment il peut le faire. Il doit aussi pouvoir interrompre, corriger, annuler ses actions.» Certaines informations relayées par les médias mentionnent que l’interface en question intègre un menu «dropdown». Si tel est le bien le cas, «ce n’est vraiment pas le meilleur moyen d’afficher un choix entre seulement deux options», estime Camille Palma. Pour elle, au-delà des problèmes strictement liés à l’interface utilisateur (UI), ce cas montre que la démarche de conception était mauvaise. La spécialiste soupçonne qu’ici, aucune démarche UX itérative n’a été menée avant le déploiement en conditions réelles: «Basée sur l’observation et l’analyse du terrain et des personnes qui utiliseront le système, une démarche UX itérative permet à elle seule de diminuer les risques de manière drastique, sans être complexe ou coûteuse à mettre en place.»

Fondateur de :ratio, agence lausannoise spécialisée en expérience utilisateur, Simon Farine relève lui aussi l’importance de mettre en place une demande de confirmation de l’action, pour des interactions potentiellement critiques. Une procédure qui peut si besoin être plus contraignante qu’une simple validation par clic, ajoute l’expert, citant l’exemple de l’outil de gestion de newsletters Mailchimp: «S’il souhaite supprimer un template ou une liste de destinataires, l’utilisateur doit alors confirmer sa demande en tapant Delete dans un champ de texte.» Simon Farine souligne en outre que pour une liste de choix, il convient d’utiliser des termes très discriminants pour les intitulés: «Il faut également que chaque intitulé commence par des termes discriminants pour que l’utilisateur fasse clairement la distinction entre les différentes options.» Par ailleurs, les libellés de l’interface de l’agence hawaïenne ont apparemment été générés par les utilisateurs: «Donner aux utilisateurs la possibilité technique d’ajouter ou modifier des éléments n’est pas en soi une mauvaise démarche, mais c’est prendre le risque que l’interface ne devienne, au final, pas aussi efficace qu’espéré», confie le fondateur de :ratio.

A la lumière de cet exemple plus qu'éloquent de «désastre UX», il n’y a qu’à espérer que les interfaces de commande des missiles nucléaires américains et nord-coréens soient conçues dans les règles de l’art…

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