Editorial

Cher Elon...

Après de multiples revirements, Elon Musk s’est finalement décidé à acheter la plateforme Twitter. Nous re-publions à cette occasion l’éditorial publié dans notre magazine de mai, lorsque le patron de Tesla avait dévoilé son projet d’acquisition.

(Source: Netzmedien)
(Source: Netzmedien)

Cher Elon,

Vous venez de racheter Twitter et vous avez exprimé sur cette même plateforme votre projet d’y restaurer la liberté d’expression, mais aussi de rendre le service payant pour moins dépendre des annonceurs, ou encore de vous attaquer aux bots diffuseurs de messages automatiques. Vos posts (y compris celui ironique où vous vous proposez de remettre de la cocaïne dans le Coca-cola) n’ont pas été supprimés, ce qui prouve soit-dit en passant que la censure n’est pas si étendue (ou efficiente) que cela.

J’ai hésité à réagir à chaud sur Twitter et à y aller de ma petite phrase, comme les mécanismes de la plateforme nous y encouragent et comme passablement de vos pourfendeurs l’ont fait. Car votre projet n’a pas manqué de faire réagir un aréopage unanime à vous prêter les pires intentions et à jouer les Cassandre quant à l’avenir de Twitter au motif de votre caractère fantasque et de vos opinions libertaires. Bref, plutôt que le bon mot «à chaud» en 280 caractères, j’ai choisi de m’adresser à vous à température ambiante avec davantage d’espace.

Pour commencer, je concède que je suis moi aussi attaché à la liberté d’expression. La démocratie dont certains se lassent et les défis auxquels nous sommes confrontés nécessitent plus que jamais que les opinions - en particulier les plus marginales - puissent s’exprimer et que nous puissions y être exposés. En cela, la censure algorithmique opaque dont certains s’accommodent avec légèreté me paraît davantage un mal qu’une solution. Bannir un utilisateur ou ses messages ne le rend pas plus responsable et nous prive de ses opinions.

Contrairement à vous sans doute, je pense cependant qu’il est une minorité de tweets brutaux qui, bien que licites, font davantage de mal qu’ils ne contribuent au débat, et incitent même certains à le quitter, nous privant là aussi de leurs opinions. Il me semble donc indispensable de modérer la civilité des délibérations.

Le défi qui vous attend est donc de prendre soin de ce bien précieux qu’est le débat public ayant lieu sur cette agora. En veillant à ce qu’il soit à la fois libre et civilisé, en évitant les voies aisées de la censure ou du laisser-faire, en réfléchissant peut-être à développer les mécanismes et fonctionnalités de Twitter pour qu’ils nous poussent davantage au propos réfléchi et engageant qu’à l’invective ou la petite phrase. C’est un bien grand défi, je vous l’accorde. Contrairement aux uns, je ne pense pas que vos succès passés vous qualifient a priori pour le relever. Et contrairement aux autres, je ne pense pas que le fait d’être un milliardaire fantasque vous disqualifie a priori pour y répondre.

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