Interview exclusive

Kim Hartlev, Richemont: «Nous constatons jusqu’à 40% de gain de performance sur certaines instances SAP tournant sur AWS»

par Interview: Rodolphe Koller

Propriétaire de marques telles que Cartier, Montblanc, IWC Schaffhausen, et Van Cleef & Arpels, le groupe de luxe suisse Richemont migre l’entier de son infrastructure informatique - notamment 5’000 VM et 120 instances SAP - sur Amazon Web Services. Alors que le projet d’envergure est à mi-parcours, la rédaction d’ICTjournal a fait le point avec Kim Hartlev, Group Chief Information Officer de Richemont depuis 2019.

Kim Hartlev, Group CIO de Richemont, explique comment se déroule la migration dans le cloud, les bénéfices déjà constatés et le choix de gérer le nouvel environnement à l'interne.
Kim Hartlev, Group CIO de Richemont, explique comment se déroule la migration dans le cloud, les bénéfices déjà constatés et le choix de gérer le nouvel environnement à l'interne.

Pour commencer, pourriez-vous rapidement décrire l’organisation IT de Richemont? Est-elle très centralisée ou les maisons opèrent-elles de manière indépendante?

L’informatique est relativement centralisée, avec une colonne vertébrale de relativement standardisée pour des raisons de sécurité, de consistance et de conformité. En revanche, les maisons ont davantage d’autonomie et de flexibilité lorsque l’on remonte le stack et que l’on se rapproche du business et du client.

Richemont et AWS ont annoncé un partenariat qui verra votre entreprise migrer l’ensemble de ses systèmes dans le cloud. Pourriez-vous expliquer la stratégie et les motifs de Richemont en la matière?

Notre stratégie est claire: nous voulons nous passer des centres de données. Aujourd’hui, opérer un datacenter n’apporte pas de grande valeur à une entreprise comme Richemont. Nous préférons que nos équipes se consacrent à des activités plus utiles et nous appuyer sur un partenaire cloud qui nous fait gagner en efficience, en vitesse et en échelle. C’est une stratégie importante pour le groupe et nous attendons de ce partenariat des bénéfices tant financiers que d’innovation et de time-to-market.

Dans un premier temps, il s’agit en grande partie de migrer des environnements existants, en mode lift & shift.

Allez-vous migrer votre environnement tel quel ou prévoyez-vous de profiter du cloud pour le moderniser?

Dans un premier temps, il s’agit en grande partie de migrer des environnements existants, en mode lift & shift. Mais nous souhaitons naturellement profiter du cloud pour intégrer des services innovants et moderniser notre environnement avec des technologies cloud native, des containers ou du serverless. Le cloud nous apporte également des avantages en matière de disponibilité et de résilience avec la possibilité de déployer nos services dans de multiples zones, voire sur plusieurs régions pour les workloads les plus critiques.

En contrepartie de tous ces atouts, vous devenez très dépendant d’un seul fournisseur…

C’est aussi le cas si vous employez SAP pour votre ERP et Oracle pour vos bases de données… Donc effectivement nous sommes dépendants, notamment pour les services cloud native, c’est pourquoi nous avons développé ce partenariat stratégique avec AWS. Si vous bâtissez un environnement en cherchant à ce qu’il puisse être opéré sur toutes les plateformes cloud, vous finissez par avoir le plus petit dénominateur commun, et vous ne profitez pas des services innovants plus hauts dans le stack. Nous avons fait ce choix délibérément pour ne pas nous limiter et pour profiter au maximum du cloud - nous n’allons pas laisser cet avantage à nos concurrents!

Depuis 18 mois, nous sommes engagés dans un vaste programme de formation, de certification et de mise à niveau des compétences de nos équipes.

Le fait qu’AWS déploie bientôt une région suisse a-t-il pesé?

C’est naturellement une très bonne nouvelle et nous comptons bien en profiter dès l’an prochain lorsque la région sera complètement opérationnelle. De fait, c’est une partie de notre stratégie que de profiter de l’empreinte globale du cloud, tant pour disposer des services au plus près des clients avec une latence minimale, que pour remplir les exigences de conformité des régions où nous opérons.

Opérer un environnement cloud est un nouveau métier. Vous avez décidé de le faire avec vos propres équipes. Comment préparez-vous cette transition?

Nous avons beaucoup de capacités à l’interne que nous avons bâties au fil des années. Nous avons ici en Suisse des collaborateurs qui comprennent notre environnement et nous voulons qu’ils participent à cette transformation. J’ai vécu dans ma carrière une situation d’outsourcing complet et je sais le risque et la perte de savoir que cela implique pour l’entreprise. Sans compter que les talents sont difficiles à trouver et qu’il importe de les retenir. Depuis 18 mois, nous sommes donc engagés dans un vaste programme de formation, de certification et de mise à niveau des compétences avec des formations et des certifications pour que nos équipes soient à même de gérer notre nouvelle infrastructure dans le cloud. Nous avons aussi quelque peu restructuré notre organisation avec une équipe orientée infrastructure, back-up, etc. et une équipe davantage DevOps qui gère la plateforme de delivery.

Nous avons réussi à migrer sans même que le business ne le réalise - c’est bon signe!

Votre transition vers le cloud comprend la migration de vos applications les plus critiques avec notamment 120 instances SAP. Où en êtes-vous actuellement?

La migration de notre environnement SAP est achevée à 80%. Les choses se déroulent très bien. Nous avons commencé avec les instances non-productives - ce qui nous a permis d’apprendre - et maintenant nous avons déplacé nos applications les plus critiques. Sur certaines instances, nous constatons déjà jusqu’à 40% de gain de performance dans le cloud.

Des régions de Richemont ont-elles déjà entièrement migré?

Richemont a implémenté SAP avec une approche de région unique. Les opérations de tous les pays migrent donc en même temps, ce qui simplifie et complique les choses à la fois - les erreurs ont bien plus d’impact… Heureusement, tout s’est bien passé jusqu’à présent. Nous avons réussi à migrer sans même que le business ne le réalise - c’est bon signe!

Nous avons été surpris de l’amélioration de la performance, mais également du réseau.

J’imagine que dans l’IT, la migration n’est en revanche pas passée inaperçue. Pouvez-vous partager vos bonnes et mauvaises expériences à ce stade? Des surprises?

Oui, nous avons été surpris de l’amélioration de la performance, mais également du réseau. Certaines de nos applications sont très sensibles à la latence et nous étions inquiets à ce sujet. Mais là aussi, nous avons constaté une performance réseau égale et même parfois meilleure entre les zones de disponibilité d’AWS éloignées de plusieurs dizaines de kilomètres, que celle que nous avions dans notre propre centre de données. Nous avons également été positivement surpris de la performance de l’infrastructure cloud par rapport au hardware spécialisé sur lequel nous faisions tourner SAP. On voit vraiment les avantages que procure le cloud de pouvoir mettre à l’échelle tant horizontalement que verticalement.

Pas d’expériences plus douloureuses?

Non, pas vraiment. Je pense que notre plan de démarrer par les systèmes non-productifs pour faire nos expériences a porté ses fruits. Nous prévoyons de boucler la migration au premier semestre 2022.

Le secteur du luxe est en pleine transformation. Comment votre capacité cloud va-t-elle contribuer aux initiatives de Richemont dans le domaine digital?

Richemont met clairement l’accent sur le numérique et sur notre capacité à offrir à nos clients une expérience homogène et enrichie au travers des différents canaux. Notre environnement cloud y contribue de diverses manières: il accélère nos sites e-commerce - un facteur clé pour la conversion - , il accroît notre capacité à exploiter et analyser les données et plus généralement, il augmente nos capacités d’innovation.

Je souhaite que l’informatique agisse encore davantage comme un partenaire stratégique et un conseiller de confiance à l’égard du business.

Comment organisez-vous aujourd’hui l’exploitation avancée des données? Quels sont vos projets en la matière?

Avec nos multiples marques, nous produisons chaque jour des données qui recèlent des informations de grande valeur. Mais il faut un certain socle technologique et de compétences pour en tirer parti. Nous collaborons donc étroitement avec les maisons, notamment pour déterminer les questions auxquelles nous voulons répondre en nous appuyant le cas échéant sur des techniques avancées comme le machine learning. Nous allons clairement vers une utilisation des données plus prédictive voire prescriptive, non seulement pour anticiper les demandes de nos clients, mais aussi pour optimiser nos processus internes, logistiques en particulier.

Quels sont les prochains défis pour l’IT de Richemont?

La façon dont l’IT est perçue a beaucoup évolué. Nous sommes de plus en plus considérés comme une fonction qui rend de nouvelles choses possibles et moins comme un centre de coûts qui se borne à faire que les choses fonctionnent. La pandémie a encore accéléré ce changement: les technologies se sont avérées essentielles pour continuer de travailler, pour poursuivre l’activité de l’entreprise, pour ouvrir de nouveaux canaux de vente, etc. Je souhaite que l’informatique agisse encore davantage comme un partenaire stratégique et un conseiller de confiance à l’égard du business, et que nous soyons consultés lorsque de nouvelles initiatives voient le jour - d’autant plus qu’elles ont presque toujours une composante technologique…

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