L’industrie veut aussi sa transformation digitale

par Rodolphe Koller

L’Industrie 4.0 invite les entreprises industrielles à gagner en productivité et en agilité grâce au digital. Une transformation avec un fort impact sur l’IT et pour laquelle l’industrie suisse est bien positionnée.

Début juin, quatre associations industrielles suisses ont lancé l’initiative «Industrie 2025». Faisant écho aux projets lancés ces dernières années aux Pays-Bas, en France et surtout en Allemagne, l’initiative appelle les entreprises à entamer une quatrième révolution industrielle – ou Industrie 4.0 ou Smart Factory – en intensifiant et en étendant l’emploi des technologies numériques dans la fabrication industrielle. Pour les associations faîtières, ce recours accru au digital doit garantir la compétitivité et le succès futurs de l’industrie suisse et contribuer à conserver les emplois dans le pays. L’asut, Electrosuisse, Swissmem et SwissT.net ont pour ce faire développé une charte et recensé quatre champs d’action pour orienter et inciter les entreprises à transiter vers l’Industrie 4.01. Une démarche sans doute nécessaire puisque le concept d’Industrie 4.0 est un mystère pour 60% des entreprises du pays, selon une enquête de CSC.

Les dimensions de l’industrie 4.0

Bien que l’appellation de quatrième révolution industrielle soit sans doute exagérée, l’idée de cette Industrie 4.0 dépasse le simple développement de l’industrie vers davantage d’automatisation. Les progrès des technologies digitales et leur disponibilité à des coûts raisonnables ont en effet le potentiel de rendre la production industrielle plus flexible et agile, d’augmenter sa productivité et de développer de nouvelles offres à forte valeur ajoutée.

Dans leur vision, les associations industrielles suisses explicitent ainsi quatre piliers de cette Industrie 4.0: des infrastructures de production plus souples à même de réagir en temps réel aux changements (demande, fournisseurs, pannes, etc.), la capacité de fabriquer des produits customisés à large échelle et de façon économique, le développement de nouveaux modèles d’affaires (marketing, vente, service, exploitation, entretien), et une innovation technologique forte.

Concrètement, cette transformation digitale des entreprises industrielles nécessite de travailler en parallèle à plusieurs dimensions:

  1. Davantage de données: L’industrie doit non seulement exploiter davantage les données existantes issues des systèmes et machines de production et de contrôle, mais aussi développer de nouvelles sources d’information. Comme les senseurs à l’intérieur de l’usine, les systèmes des fournisseurs et partenaires, ou encore l’écoute du marché (hotline, réseaux sociaux, objets connectés) tant pour détecter rapidement des défauts que pour intégrer les préférences besoins émergents de la clientèle dans la conception des produits.
  2. Informations partagées, mises en réseau et analysées: Les données récoltées doivent être davantage intégrées et partagées: à l’intérieur de la chaîne de production (systèmes de contrôle, logs machines, stocks, etc.), avec les partenaires (service, fournisseurs) et tout au long du cycle de vie du produit (R&D, développement, production, marketing, vente, usage par le client). Les informations doivent être analysées pour dégager des possibilités d’optimisation (maintenance, chaîne d’approvisionnement et de distribution, dissémination des étapes de production, gaspillage) ou de création de valeur (nouveaux produits et services).
  3. Innovation technologique: Parmi les technologies les plus citées soutenant l’industrie 4.0, on peut mentionner l’impression 3D (mini-fabriques, pièces de rechange), la robotique intelligente les drones de maintenance, les nano-senseurs (dans l’usine et dans les produits), l’intelligence artificielle, le big data ou encore les nouvelles interfaces homme-machine (objets connectés, exosquelettes, réalité augmentée). Avant de les déployer, l’impératif pour les entreprises consiste à mettre en place des processus d’innovation et d’expérimentation multidisciplinaires.

L’IT aux commandes

L’Industrie 4.0 pose de nombreux défis pour lesquels le département IT est prédestiné vu son savoir-faire tant technologique que dans la mise en place de processus transverses. Le challenge principal consiste à intégrer d’un côté les systèmes IT «commerciaux» (logistique, marketing) traditionnellement gérés par le département informatique et , de l’autre côté, les systèmes IT «techniques» hérités de la production (manufacturing execution system) pour lesquels les standard font souvent défaut.
Il s’agit aussi d’extraire de la valeur de systèmes industriels souvent «riches en données, mais pauvres en informations», dont les données sont isolées et régulièrement supprimées, et qui ne disposent pas de tout l’arsenal applicatif d’analyse des systèmes business.
Le défi est également sécuritaire, car la digitalisation de la production industrielle l’exposera aussi aux menaces informatiques, avec le danger de voir la production paralysée sous l’effet d’une cyberattaque.

L’IT est aussi appelée à  déborder de son domaine de compétence technique usuel pour jouer un rôle de leader dans l’expérimentation des innovations technologiques évoquées précédemment.

Le défi est également organisationnel, car l’industrie 4.0 requiert une collaboration étroite entre l’IT et les fonctions de production (atelier, logistique, R&D) avec la mise en place d’équipes mixtes et le développement des compétences digitales dans la production.

Enfin, cette transformation aura un impact sur les budgets informatiques avec notamment des investissements réseaux et logiciels. Seul un tiers des entreprises suisses estiment en effet que leur infrastructure IT est parfaitement à même de supporter l’Industrie 4.0, selon une enquête de Deloitte2.

Opportunité et défi pour le secteur industriel suisse

Par rapport à de nombreux pays voisins souffrant de désindustrialisation, la Suisse peut se targuer d’avoir un secteur industriel performant. Elle est la seule avec l’Allemagne dont la contribution de ce secteur à l’économie s’est maintenue durant la dernière décennie, selon un rapport de Roland Berger Consultants3. Les consultants jugent d’autre part que la Suisse est dans une position idéale pour prendre le train de l’Industrie 4.0, sachant que le succès de son secteur industriel repose déjà sur l’innovation, la productivité et une focalisation sur des activités à forte valeur ajoutée. A condition toutefois que les conditions cadres assurent des règles du jeu équitables (level-playing field) aux entreprises du pays et que celles-ci soient proactives dans leur adoption de l’Industrie 4.0.

Selon une enquête de CSC, les entreprises du secteur industriel suisses sont positives par rapport au concept qu’elles jugent important pour l’économie (57%) et pour elles-mêmes (47%). Dans la même veine, 84% des entreprises suisses sondées par Deloitte estiment que l’Industrie 4.0 peut stimuler la compétitivité du secteur.
Le principal challenge pour la digitalisation du secteur industriel suisse est à chercher du côté des ressources. Selon l’enquête de Deloitte4, seul 4% des entreprises estiment que leurs collaborateurs ont toutes les compétences requises. Tandis que dans l’étude de CSC, 46% des entreprises jugent que le marché du travail manque de personnes combinant des compétences IT et des connaissances logistiques ou industrielles.

Alors que la pénurie de collaborateurs IT est déjà un problème en Suisse, et que ceux-ci sont largement absorbés par le secteur des services, le problème du manque de talents pourrait devenir épineux, avec la menace que ce soit cette fois les activités industrielles à plus forte valeur ajoutée qui soient délocalisées.

Références:

  1. www.industrie2025.ch
  2. «Industry 4.0 - Challenges and solutions for the digital transformation and use of exponential technologies », Deloitte, 2014
  3. «Industry 4.0 - The role of Switzerland within a European manufacturing revolution », Roland Berger Consultants, 2015
  4. «Industrie 4.0 - Studie im Ländervergleich DACH“, CSC, 2014
Webcode
5654

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